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LA PRÉPARATION ET LA COMPOSITION DE PÊCHEUR D'ISLANDE (LOTI)

Publié le 22/03/2011

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   Mon Frère Yves et Pêcheur d'Islande, si différents par la composition et par l'action, se ressemblent par la place prépondérante que la Mer et la Bretagne y occupent.    C'est avec ces deux grands romans que Pierre Loti fait entrer la mer dans l'action, comme un personnage. Jusque-là, les mers sur lesquelles il navigue sont des décors accessoires, dont la peinture gracieuse n'évoque pas les souvenirs de la première rencontre qui l'avait tant bouleversé et lui avait donné un si effrayant vertige. « Evidemment c'était ça ; pas une minute d'hésitation ni même d'étonnement que ce fût ainsi, non, rien que de l'épouvante ; je reconnaissais et je tremblais. C'était d'un vert obscur, presque noir ; ça semblait instable, perfide, engloutissant ; ça remuait et ça se démenait partout à la fois, avec un air de méchanceté sinistre. Au-dessus s'étendait un ciel tout d'une pièce, d'un gris foncé, comme un manteau lourd. «

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« plutôt l'Islande à l'état de vision lointaine et étrange pour m'appesantir plus sur la mer et les pays bretons ».

Ce futpour le Tonkin que Pierre Loti fut désigné, mais des permutants le sollicitèrent de leur laisser son tour.

Il acceptad'abord cette permutation sur le désir de sa mère, mais, s'étant rendu « à contre-cœur » chez l'amiral, il n'eut pas «le courage de cette reculade » et, tout au contraire, il lui déclara qu'il se tiendrait prêt à partir.

Quand il revint dubureau, il eut une heureuse surprise.

« J'ai trouvé la femme de chambre de ma mère avec un petit mot écrit aucrayon.

C'était pour me dire de ne plus tenir compte de sa prière parce que ce serait une faute et de suivre madestinée.

Alors mes derniers scrupules ont été levés...

» En ce mois de mars 1885 l'œuvre à laquelle l'Islande devait servir de cadre était déjà commencée.

Pierre Loti seproposait même d'en soumettre les chapitres écrits à Alphonse Daudet, dont l'amitié lui était fidèle et dont ilappréciait le jugement.

S'il Voulait se rendre en Islande, c'était pour trouver sur place les accents et le ton d'uneplus grande vérité.

Il n'y alla pas.

Il alla au Tonkin, qui lui fournit des scènes du livre.

L'Islande ne resta pas pourtant« à l'état de vision lointaine et étrange ».

Cette vision se rapprocha et se précisa autant qu'il pouvait dépendre detous les renseignements scrupuleusement réunis.

Pierre Loti se servit pour décrire la mer d'Islande des impressionsqu'il avait recueillies en 1870 sur les côtes de Norvège.

Il avait navigué pendant sept mois sur le Decrés dans lesmers septentrionales.

Mais il paraît aussi avoir fait appel à ses souvenirs du cap Horn, où il s'était trouvé en 1871.Cette dernière transposition n'a rien de choquant, s'il est vi ai que les mers de l'Extrême Sud et celles de l'Extrême-Nord, ont des points de ressemblance.

Le Journal de Pierre Loti lèverait tous les doutes.

Malheureusement cettepartie en est perdue et l'on en est réduit à des conjectures. J'ai trouvé, dans les papiers de Pierre Loti, une lettre qui fixe une source plus sûre de renseignements.

Elle témoignede ses scrupules.

C'est une réponse faite par un capitaine de Paimpol, M.

Huchet du Guermeur, dont le nom estdans Pêcheur d'Islande, à une dizaine de questions qu'il lui avait posées. « 1° Du 10 au 15 mai jusqu'au 15 août, le soleil ne se couche pas en Islande..... « 7° On fait la pêche en Islande en dérivant sous la grand'Voile filée sur le bout.

Quand le navire ne dérive pascarrément, on pèse le fond de la grand'voile, ou bien l'on hisse un peu de foc, soit la moitié, soit un tiers, ce quisuffit en général. « 8° Nous n'avons le droit de pêcher qu'à trois milles de terre.

Les insulaires pèchent dans les fiords au moyen delignes de fonds. « 9° Nos bateaux, pendant toute la première pêche, restent groupés et communiquent assez souvent entre eux ;mais, pendant la deuxième pêche, ils sont beaucoup plus au large, et ils se dispersent à cause de la brume qui esttrès intense..... « 10° Ils n'ont de communications avec la terre que quand ils vont en baie livrer aux chasseurs leur première pêcheou faire de l'eau dans les bryas.

» Pierre Loti, hanté par le souci de l'exactitude, mit à profit ces renseignements techniques, et d'autres d'une naturedifférente.

Le capitaine Huchet du Guermeur lui souhaitait, en les lui donnant, « bon voyage, bon retour, bonnesanté et la rosette ».

Le voyage se fit d'abord sur le transport le Mytho (1885).

Il fut bon, comme la santé de PierreLoti.

Mais celui-ci dut faire la grimace en lisant le vœu du bon capitaine de Paimpol pour la rosette : il n'était pasencore chevalier de la Légion d'honneur et il ne le fut que le 5 juillet 1887 ! Quand cette distinction lui arriva — àl'âge de trente-sept ans — elle le trouva « dans une profonde détresse d'âme ».

Il la reçut « avec une grandeindifférence » et il disait qu'il aurait préféré à ce bout de ruban « un grand drap noir pour l'envelopper ».

(Lettre àMme Adam).

La rosette ne vint, sous la forme civile, que treize ans après, le 17 avril 1898 ! Les hommes de lettres,même s'ils avaient du génie, étaient moins pressés dans ces temps anciens que d'autres, venus depuis, dont letalent se résigne mal à attendre. Pendant la traversée du Mytho, qui dura quarante-cinq jours, Pierre Loti travailla à son roman, dont la Bretagnerestait, avec les mers d'Islande, le sujet et le cadre essentiels.

Pour la Bretagne, il n'avait qu'à se rappeler sessouvenirs, qui comptaient parmi les plus poignants de sa vie, et les parties de son Journal où il les avait consignés.

Illa connaissait depuis le Borda.

« La Bretagne, que beaucoup de gens me donnent pour patrie, a-t-il écrit dans leRoman d'un Enfant, je ne l'ai vue qu'à dix-sept ans, et j'ai été très long à l'aimer, — ce qui fait sans doute que je l'aiaimée davantage.

Elle m'avait causé d'abord une oppression et une tristesse extrêmes ; ce fut mon frère Yves quicommença à m'initier à son charme mélancolique, à me faire pénétrer dans l'intimité de ses chaumières et- de seschapelles de bois.

Et ensuite, l'influence qu'une jeune fille du pays de Tréguier exerça sur mon imagination, très tard,vers mes vingt-sept ans, décida tout à fait mon amour pour cette patrie adoptée.

» Une partie, et non la moindre, de la source et du secret de Pêcheur d'Islande est dans ces lignes, si sincères et sisimples.

Quand Pierre Loti disait : « Il y a toujours beaucoup trop de moi-même dans mes livres », ses auditeurs del'Académie Française, le jour de sa réception, pensaient ou à Aziyadé, ou au Mariage de Loti ou à Mon Frère Yves,mais la plupart ne se doutaient pas que Pêcheur d'Islande était l'un des livres où le récipiendaire, illustre et fêté,avait mis le plus de lui-même, de sa vie et de son âme.

Sa forme romanesque, moins personnelle que celle desœuvres précédentes, en cachait le caractère intime et laissait supposer une œuvre d'imagination dans ce qui était. »

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