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La recherche de l'expressivité ou le roman hors de soi (Diderot)

Publié le 30/06/2015

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diderot

Refusé, décentré, le roman, avec Jacques, semble ne pouvoir exister que hors de soi, dans la dissémination d'une écriture qu'anime, avant tout, l'exigence d'expressivité. Tel le grand comédien selon le Paradoxe, tel le Neveu jouant l'homme-orchestre, Diderot polygraphe : philosophe-roman­cier, poète-musicien, dramaturge-peintre... est à la recherche d'une langue sans frontières qui transgresse la barrière des genres et même la différence des arts. Cette expressivité du récit, Jacques la vise par le recours à trois langages qui ne sont pas spécifiquement narratifs : l'écriture poétique, langage du symbole ; l'écriture picturale, langage de l'espace ; l'écriture théâtrale, dialogue et langage du corps.

Texte poétique, Jacques l'est de façon moins évidente que d'autres récits : expressionnisme de La Religieuse, tempo musical du Neveu, « écriture blanche « des Deux Amis. Rares sont les passages où intervient, de façon autonome, la fonction poétique, cette écriture « hiéroglyphique « (Dide­rot) où l'énoncé, polysémique, connotatif, donne à sentir la matérialité du langage. Il arrive ainsi que le récit s'arrête pour faire place au chant, à une prosodie dont le rythme, les assonances scandent une émotion proprement lyrique :

« Le premier serment que firent deux êtres de chair ; ce fut au pied d'un rocher qui tombait en poussière f...) O enfants ! toujours enfants !... « (p. 125).

 

Cette parole proférée par personne (« Je ne sais de qui sont ces réflexions «...), cette citation sans auteur, empreinte de sérénité matérialiste, n'est pas un « topos « gratuit sur la fugacité du temps : exprimant la mobilité universelle, elle se rattache au thème de l'inconstance amoureuse. Autre texte sans référence : la consolation que le maître psalmodie à l'adresse de Jacques, discours déplacé qui irrite

diderot

« 48 Jacques, le bouleverse et l'arrache à son chagrin.

Cette vertu curative, la parole poétique la doit ici à un propos quasi fataliste sur la mort (pp.

53-54).

Plus fréquent, le recours à la fable -procédé de la conversation philosophique - multiplie les historiettes à fonction d'apologue.

Illustrative ou symbolique, la fable, dans sa brièveté, peut avoir la précision saisissante de l'histoire « vraie », narrée par l'hôtesse (le chien du meunier), par le maître (la mort de Socrate, l'anneau de mariage) ou par l'auteur (Esope en prison, l'histoire du limonadier).

Jacques aussi prodigue les apologues : la fable grivoise de la gaine et du coutelet, la fable du bâillon, l'apologue des chiens, parabole de la domination, l'apologue inspiré par le cheval du maître, etc.

Ajoutons-y le débat sur la fable de Garo.

Or cette parole symbolique de la fable sert de substitut positif à l'allégorie, « la ressource ordinaire des esprits stériles » (p.

26) : Dide­ rot ne nous en propose un spécimen (l'allégorie du château immense), que pour faire le procès de ce genre à mi-chemin du discours poétique et du conte philosophique, dont lui­ même avait abusé, non sans ironie, dans ses premiers récits.

De fait, la fable s'insère mieux que des allégories alambi­ quées dans les structures paradigmatiques de ce roman (cf.

ch.

6) où la poésie émane d'un système symbolique d'autant plus prégnant que l'univers du fataliste est, par excellence, celui des signes analogiques et des enchaînements de cause à effet.

Le symbolisme de Jacques se lit à plusieurs niveaux.

Une maxime lapidaire donne pourtant à penser (« chacun a son chien ») ; une fable aux dénotations transparentes (gaine et coutelet, symboles sexuels) suggère des connota­ tions multiples (folklore, Eros populaire ...

).

Plus souvent, le symbole affiche sa polysémie : à un signifiant opaque correspond un signifié pluriel.

Ce sont des objets condensa­ teurs de mythes : la gourde, le chapeau, attributs du génie de Jacques.

Ce sont des animaux aux significations ambi­ guës : le chien, image d'une fidélité inhumaine ou figure d'un apologue sur la volonté de domination ; le cheval dont les écarts, les disparitions scandent le récit et excitent la cogitation des deux voyageurs.

Ce sont des situations qui se répètent de façon troublante : les chutes, le ballet des duellistes, la symphonie en noir d'un convoi funèbre.

Ce sont des lieux romanesques : le château, l'auberge louche. »

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