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LA RENTRÉE DES CLASSES. ANATOLE FRANCE, Le Livre de mon Ami.

Publié le 04/07/2011

Extrait du document

« Je vais vous dire ce que me rappellent, tous les ans, le ciel agité de l'automne, les premiers dîners à la lampe, et les feuilles qui jaunissent dans les arbres qui frissonnent; je vais vous dire ce que je vois quand je traverse le Luxembourg dans les premiers jours d'octobre, alors qu'il est un peu triste et plus beau que jamais ; car c'est le temps où les feuilles tombent une à une sur les blanches épaules des statues. Ce que je vois alors dans ce jardin, c'est un petit bonhomme qui, les mains dans les poches et sa gibecière au dos, s'en va au collège en sautillant comme un moineau. Ma pensée seule le voit, car ce petit bonhomme est une ombre ; c'est l'ombre du moi que j'étais il y a vingt- cinq ans. Vraiment, il m'intéresse, ce petit: quand il existait, je ne me souciais guère de lui ; mais, maintenant qu'il n'est plus, je l'aime bien. Il valait mieux, en somme, que les autres moi que j'ai eus après avoir perdu celui-là. Il était bien étourdi; mais il n'était pas méchant, et je dois lui rendre cette justice qu'il ne m'a pas laissé un seul mauvais souvenir; c'est un innocent que j'ai perdu : il est bien naturel que je le regrette; il est bien naturel que je le voie en pensée et que mon esprit s'amuse à ranimer son souvenir. « (ANATOLE FRANCE, Le Livre de mon Ami: Le Livre de Pierre, Nouvelles Amours, X, Les Humanités, p. 154).

MATIÈRE. — Vous ferez, sur ce texte, en les rangeant dans un ordre méthodique, les remarques que vous jugerez nécessaires. Conseils Pratiques. — Indiquez les divisions de cet extrait, et tâchez de rendre compte de la disproportion des parties : pourquoi la dernière est-elle la plus importante? Pourquoi l'écrivain s'y attarde-t-il avec plus de complaisance ? Étudiez alors successivement : le cadre (et dans cette partie : le cadre général, puis le paysage) ; — montrez plus rapidement comment est dessinée légèrement la silhouette du « petit bonhomme «, — arrêtez-vous plus longuement aux idées exprimées par l'homme d'aujourd'hui, lorsqu'il contemple dans sa « pensée « le gentil écolier d'autrefois. La phrase essentielle est : «vraiment, il m'intéresse, ce petit«. Pourquoi et comment m'intéresse-t-il? Entrez dans les sentiments de l'auteur. Et certes, il n'y a pas vingt-cinq ans que vous alliez en classe : vous y allez encore, et vous y retournerez demain. Mais songez aux «rentrées «, déjà lointaines : revoyez l'époque où, au début d'octobre, vous veniez rejoindre vos camarades et vos maîtres. Vous n'avez pas toujours eu une serviette sous le bras; vous aussi, vous avez porté sur le dos la « gibecière « des enfants. Souvenez vous, et vous comprendrez mieux, bien que le recul ne soit pas le même, les émotions et les réflexions que vous venez de lire.

« II Le double cadre appelle des souvenirs doux et mélancoliques : le ciel d'octobre, la lampe qui s'allume pour le repasdu soir, les feuilles jaunissantes sous la brise fraîche ; trois traits évocateurs, que nous pouvons enrichir de nosobservations ; deux sont empruntés à la nature, le troisième à la vie familiale : entrelacement touchant et délicat.Paysage plus précis : le Luxembourg, dans les premiers jours d'octobre, avec la tristesse qui lui donne une nouvellebeauté.

Un seul détail nous fera voir cette beauté et goûter cette tristesse : la chute des feuilles sur les statues.C'est un art sobre, qui peint d'impression, ou plutôt qui esquisse plus qu'il ne peint ; il ne montre pas, il laissedeviner ; il n'explique pas, il suggère davantage.

Le mot de « classique » ne suffirait pas ici.

C'est un art « attique »entre tous.

Ce promeneur du Luxembourg s'est égaré plus d'une fois dans les jardins d'Académos.Et, s'il connaît le secret d'évoquer un paysage en quelques mots, il connaît également celui de camper, en deux outrois coups de crayon, une silhouette.

Le croquis du petit bonhomme est lestement enlevé.

Pas de couleur :qu'importe la nuance de la blouse ou celle de la casquette? Sur l'écran que l'imagination éclaire d'une pâle lueur, lafigurine paraît toute mince, et elle passe vite, comme pressée de disparaître.

Trois traits, dont deux marquent uneattitude et le troisième l'allure.

Le petit bonhomme a les mains dans les poches, soit parce qu'il fait déjà frais, lematin, et qu'il n'a pas de gants, soit par une habitude chère à beaucoup de gamins ; il porte sa gibecière au dos, sagibecière abandonnée depuis deux mois ; dans le jardin attristé, il ne marche pas, il « sautille », léger, troublé sansdoute au fond du cœur plus qu'il ne semblait l'être, mais allant tout de même avec courage vers l'inconnu de lanouvelle année.La figurine passe, elle est passée, et désormais la pensée seule s'attache au petit bonhomme qu'elle suit.L'imagination se tourne tout entière vers le dedans.

Le petit bonhomme n'existe plus, il n'a existé qu'un moment biencourt dans cet universel écoulement des choses, et si peu que, sans les circonstances qui font renaître sonsouvenir, on se demanderait s'il n'est pas une illusion.

Cette silhouette est une ombre, une de ces ombresincessamment mobiles au milieu desquelles s'agite notre vie intérieure : c'est une image que la mémoire a gardéed'une réalité essentiellement éphémère et changeante.

Ce moi que j'étais (et que je ne suis plus) a laissé derrière luiune trace immatérielle que le moi d'aujourd'hui contemple avec une curiosité affectueuse, et peut-être un peu (oh !très peu !) d'ironie.

Même quand il se plaît à ressusciter les scènes de la première enfance, nous sentons dansl'écrivain l'habitude des méditations sérieuses, des réflexions psychologiques.Vingt-cinq ans se sont écoulés : déjà ! Comme le rêve s'est vite enfui ! Comme le petit bonhomme que j'étais m'estdevenu presque un étranger.

Je ne me reconnais plus en lui.

Je l'ai perdu, comme tant d'autres moi que j'ai eus dansla suite.

Je me retrouve même moins en celui-là qu'en ceux-ci.

Le petit bonhomme vivait sans s'étudier, sanss'analyser en psychologue ; il allait, étonné, ravi.

Il semble donc impossible que nous soyons la même personne, lui,si léger, et moi, qui ai la passion de me regarder vivre (la différence est marquée par le changement de personne : ilvivait, je me souciais).

Il m'intéresse maintenant que je le retrouve dans ma mémoire plus nettement que je ne levoyais jadis, il m'intéresse parce que je juge bizarre, amusant, que ce fût moi, ce petit bonhomme si opposé au moiauquel je me suis maintenant accoutumé.Mais il m'intéresse davantage encore parce que la comparaison entre ce moi et ceux qui lui ont succédé est tout àl'avantage du premier.

Son seul défaut était « l'étourderie », qui est plutôt une qualité aimable du jeune âge.

Sagrande qualité, c'était son innocence, son impuissance à être méchant, cette fraîcheur de cœur et d'esprit quen'avait pas altérée l'analyse.

Gomme on n'aime le moi de son enfance qu'après l'avoir définitivement perdu, on nesavoure le charme de l'innocence qu'après s'en être, définitivement éloigné.

Et il y a encore ici un peu de malice,mais il y a surtout un goût très vif de la candeur, d'autant plus vif que toutes les recherches philosophiques deFrance, devenue homme, toutes ses études l'ont ramené à cette idée que la candeur était le bien le plus délicieux.L'ironie tempère l'attendrissement, mais c'est l'attendrissement qui l'emporte.

La littérature, l'érudition peuventconduire un esprit foncièrement subtil au scepticisme de l'intelligence, et en même temps le cœur peut garder cetamour de la simplicité qui se plaît à étudier l'âme enfantine, soit en recueillant ses propres souvenirs, soit enétudiant celle des petits bonshommes étourdis, mais ignorant le mal, innocents même dans leurs fautes.

L'hommeéprouve le besoin de s' en excuser : Il est bien naturel, etc.»., Nous le dispenserions de toute excuse, nous quiretrouvons avec joie, à travers les complications d'une pensée souvent fuyante, Je parfum d'ingénuité qui parfoismonte lentement de tout ce dilettantisme.Ce qui fait la grâce exquise de ce passage, c'est donc ce mélange des souvenirs de l'enfance et des .réflexions del'âge mûr, cette vision d'une âme jeune à laquelle sourit familièrement une âme tendre à la fois et blasée, c'est enfinla parfaite convenance avec laquelle sont associés ces sentiments : curiosité, ironie légère, sympathie, tristesse,regrets. III C'est la même justesse délicate qui nous séduit dans cette prose dont l'apparence de simplicité innocente est lerésultat du travail le plus souple et 'le plus minutieux.Il y a, en effet, dans ce vocabulaire facile, clair, la grâce d'une langue enfantine et ingénue ; même les idéesphilosophiques sont exprimées avec les mots les plus naturels, les moins prétentieux; aucun effort visible de style ;le petit écolier pouvait parler ainsi, sans effort, sans recherche, avec cette nonchalance fluide et aisée.

Lesrépétitions des termes, des tours, des phrases sont nombreuses ; pour qui s'est plu à écouter, comme l'écrivain, lebabil des enfants, il y a ¿bien là le ton, les gestes, le sourire, les habitudes qui donnent à leur entretien tant denaïveté.. »

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