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La réussite sociale de Rastignac («Le lendemain, à l'heure du bal... d'une façon diabolique», pp. 204-206) - Le père Goriot de Balzac

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

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Le lendemain, à l'heure du bal, Rastignac alla chez madame de Beauséant, qui l'amena pour le présenter à la duchesse de Carigliano. Il reçut le plus gracieux accueil de la maréchale, chez laquelle il retrouva madame de Nucingen. Delphine s'était parée avec l'intention de plaire à tous pour mieux plaire à Eugène, de qui elle attendait impatiemment un coup d'oeil, en croyant cacher son impatience. Pour qui sait deviner les émotions d'une femme, ce moment est plein de délices. Qui ne s'est souvent plu à faire attendre son opinion, à déguiser coquettement son plaisir, à chercher des aveux dans l'inquiétude que l'on cause, à jouir des craintes qu'on dissipera par un sourire ? Pendant cette fête, l'étudiant mesura tout à coup la portée de sa position, et comprit qu'il avait un état dans le monde en étant cousin avoué de madame de Beauséant. La conquête de madame la baronne de Nucingen, qu'on lui donnait déjà, le mettait si bien en relief, que tous les jeunes gens lui jetaient des regards d'envie ; en en surprenant quelques-uns, il goûta les premiers plaisirs de la fatuité. En passant d'un salon dans un autre, en traversant les groupes, il entendit vanter son bonheur. Les femmes lui prédisaient toutes des succès. Delphine, craignant de le perdre, lui promit de ne pas lui refuser le soir le baiser qu'elle s'était tant défendu d'accorder l'avant-veille. A ce bal, Rastignac reçut plusieurs engagements. Il fut présenté par sa cousine à quelques femmes qui toutes avaient des prétentions à l'élégance, et dont les maisons passaient pour être agréables ; il se vit lancé, dans le plus grand et le plus beau monde 25 de Paris. Cette soirée eut donc pour lui les charmes d'un brillant début, et il devait s'en souvenir jusque dans ses vieux jours, comme une jeune fille se souvient du bal où elle a eu des triomphes. Le lendemain, quand, en déjeunant, il raconta ses succès au père Goriot devant les pensionnaires, Vautrin se prit à sourire d'une façon diabolique.
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« Eugène vogue dans l'irréel : adulé, courtisé, il en vient à éprouver de vrais émois de jeune fille ; il se féminise dansses émotions, il devient comme la coqueluche de tous : merveilleuse soirée, «il devait s'en souvenir jusque dans sesvieux jours, comme une jeune fille se souvient du bal où elle a eu des triomphes».

Cette dernière phrase souligne leclimat d'euphorie où baigne l'étudiant qui se voit un peu vite en membre de l'aristocratie. Prééminence sociale des femmes Dans les cercles aristocratiques de la vie mondaine, les femmes et les homme ne jouent pas un rôle égal. Le rôle déterminant des femmes.

Plusieurs signes viennent confirmer le propos de Mme de Beauséant sur le rôledéterminant des protectrices.

D'abord Eugène «reçut le plus gracieux accueil de la maréchale».

Ensuite, il estdistingué en sa qualité d'amant présumé de Delphine ; c'est essentiellement cela qui le pose, et non ses capacitésou ses talents éventuels : La conquête de madame la baronne de Nucingen, qu'on lui donnait déjà, le mettait si bien en relief que tous lesjeunes gens lui jetaient des regards d'envie. Les femmes vont s'employer à faire sa réussite : «Les femmes lui prédisaient toutes des succès», féminins ousociaux, on ne sait, et sans doute les deux vont-ils de pair.

Car ce sont les femmes qui animent la vie sociale enleur qualité de maîtresses de maison, ce sont elles qui reçoivent et choisissent leurs invités : «il fut présenté par sacousine à quelques femmes.., dont les maisons passaient pour être agréables».

Cet univers féminisé convient àEugène, qui vit depuis l'enfance au sein d'un véritable gynécée : sa mère, ses sœurs, la tante Marcillac, Mme deBeauséant, Delphine, Victorine, et toutes les admiratrices du bal, voilà un garçon comblé de sollicitudes féminines. Le rôle secondaire des hommes.

Les seuls hommes présents sont «les jeunes gens», pour qui l'amour est la grandeaffaire de la vie.

Aucune mention n'est faite des hommes d'âge mûr, distingués par l'éminence de leurs fonctions oul'étendue de leur fortune.

Les maris ne sont pas évoqués.

Dans cet univers féminisé, on notera aussi l'absence detout vocabulaire à connotation réaliste comme travail, argent, rentes, revenus, place, spéculation, appointements,etc.

Les jeunes gens sont en situation de dépendance intellectuelle et morale par rapport aux femmes : ilsremarquent Eugène non de leur propre initiative, mais parce qu'il a été désigné à leur attention par les femmes envue de la soirée ; ils ne l'envient pas pour ses talents, mais pour le prestige qu'il tire d'une maîtresse présumée.

Iln'y a entre lui et eux aucune communication directe. Le retour au réel Le scepticisme railleur de Vautrin s'impose brutalement, sans aucune rupture typographique, dans la suite immédiatede l'émerveillement du bal : Le lendemain, quand, au déjeuner, il raconta ses succès au Père Goriot, devant les pensionnaires, Vautrin se prit àsourire d'une façon diabolique. Cet enchaînement sans solution de continuité en dit long sur le caractère illusoire de l'ivresse mondaine del'étudiant.

En un sourire, Vautrin lui fait entrevoir la fragilité d'une réussite qui n'a pas les moyens matériels de semaintenir.

On lira avec profit la suite du texte (p.

206), où l'homme d'expérience établit avec une cruelle précision lecoût exorbitant pour Eugène de la vie où il rêve de s'engager. (conclusion) On soulignera le double intérêt du texte : c'est à la fois un tableau de la société mondaine et un tournant du récit,puisqu'il va conduire Eugène, fasciné par l'éclat de cette société, à céder aux tentations criminelles de Vautrin, quilui permettront d'y accéder. Un tableau de la société mondaine.

En nous peignant le tableau d'une vie mondaine fondée sur l'inégalité tranchéedes rôles masculins et féminins, ce texte offre un intérêt sociologique ; si l'essentiel de la vie se passe dans lessalons, si la promotion sociale dépend de l'accueil dans les grandes maisons, et non des capacités de l'esprit ou ducaractère (on parlerait aujourd'hui de compétences professionnelles), effectivement l'influence des femmes a pu êtredéterminante.

Mais on se souviendra que dans la jeunesse de Balzac, une protectrice, Mme de Berny, a été l'amanteet la conseillère ; la vision féminisée des salons dans Le Père Goriot relève donc aussi du vécu de l'auteur. Un tournant du récit.

Ce texte présente un moment clé dans le récit : il nous décrit le point culminant de l'ascensiond'Eugène.

Il paraît confirmer la vision du monde exposée par Mme de Beauséant.

Mais cette situation est aussifragile que brillante, Eugène n'ayant pas les moyens de soutenir son train de vie.

La rechute dans les soucisd'argent, et aussi les déceptions de l'amour, vont lui démontrer bientôt que son apprentissage est loin d'êtreterminé.. »

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