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La Rochefoucauld : L'écrivain

Publié le 01/04/2011

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Ce livre si court des Maximes a pourtant une grande importance dans l'histoire non cette fois de la langue, mais du style. Ici encore nous assistons au travail de l'écrivain : il est très instructif de comparer les formes différentes que La Rochefoucauld donne à sa pensée au cours des éditions successives. On y discerne, avant tout, un travail de condensation. C'est sous forme d'analyse morale et dans le cadre d'une petite dissertation que la réflexion s'est présentée tout d'abord à La Rochefoucauld. Puis il supprime les premières assises, ce qui était la préparation, ce qui l'a mis sur le chemin de la maxime définitive. Il ne veut garder de la pensée que l'essence. Il pousse ce souci au point qu'on sent parfois l'effort : il arrive que la maxime ainsi comprimée tourne à l'énigme. Ceci est particulièrement curieux. Nous voyons que souvent La Rochefoucauld supprime l'image, le mot qui faisait relief : il est occupé, non, comme d'autres, à égayer et à rendre plus brillant son style, mais à l'éteindre. Il veut que la concision de la phrase et l'exactitude du mot fassent tout le mérite de la forme. C'est par là que La Rochefoucauld est de la famille des grands écrivains du XVIIe siècle. Son style qui n'a ni la passion et l'éclat de celui de Pascal, ni l'ingéniosité de celui de La Bruyère, est un des modèles les plus achevés de la prose classique.

 

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« ~ 1 Lorsqu'il renonce à l'action en 1652, après ce combat du faubourg Saint-Antoine, que lui reste-t-il de tant de vaines entreprises? Son château de Verteuil à moitié rasé, et ce coup de mous­ quet qui lui perça la figure et dont il pensa rester aveugle.

S'il était mort en ce jour, à l'approche de sa quarantième année, quelle pâle image nous eût transmis âe lui l'histoire! C'est à peine si on l'eût distingué parmi tous les grands « cabaleurs » de l'époque.

C'est à l'instant qu'il se prend à méditer dans le fauteuil où le clouera de plus en plus la goutte, qu'il déploie toute son envergure, entre Pascal et La Bruyère, au seuil de ce qui fut le véritable début du « Grand Siècle ».

Son ennemi, le cardinal de Retz, a justement décelé ce « je ne sais quoi » qui le rendait impropre à s'accomplir dans l'ambition.

Et sans doute est-ce parce que tout ce qui touche à ce domaine était voué, chez lui, à une sorte d'échec, que Voltaire a pu dire de ses Mémoires, où transparaît presque exclusivement encore l'homme politique et le courtisan, qu'on « les lit seule­ ment, alors que l'on connaît par cœur les Maximes ».

On a remarqué justement que l'esprit des Maximes c'est celui du Jansénisme sans la grâce; on n'y trouve que la faiblesse de l'homme démuni des divins secours qui l'aideraient à s'élever au-dessus de « la fausseté de tant de vertus apparentes ».

Elles furent composées lorsqu'il n'était encore que sous l'affectueuse protection de cette marquise de Sablé, d'un commerce si sûr, en tout ce qui concernait les lettres, qu'Arnauld lui sou­ mettait le texte de son Discours sur la Logique.

Peut-être faut-il nous féliciter qu'il n'eût pas encore noué avec Madame de La Fayette, de vingt ans plus jeune que lui, cette tendre liaison qui ne devait cesser qu'à sa mort; car, blessée par leur pessimisme, elle n'eut de cesse qu'elle ne fût parvenue à force de constance et de douceur à pouvoir déclarer un jour : « Monsieur de La Rochefoucauld m'a donné de l'esprit, mais j'ai réformé son cœur.

» Il disait au chevalier de Méré, en parlant des Maximes : « Pour avoir décelé les défauts de l'esprit et du cœur de la plupart du monde, ceux qui ne me connaissent que par là pensent que j'ai tous les défauts comme si j'avais fait mon portrait.

» Cependant les témoignages abondent sur la fidélité de son amitié et la générosité de son cœur.

Des relations si suivies qu'il eut avec Madame de La Fayette devait sortir une postérité plus durable que celle de la chair et du sang, et quand on s'arrête aux qualités de construction qui distinguent la Princesse de Clèves des autres ouvrages de son amie, on comprend la part que La Rochefoucauld prit à cette œuvre, cet hiver de 1677, où « ils s'enfermèrent tous deux pour préparer quelque chose ( I) », retrouvant par le souvenir un peu de « cette première beauté de l'âge où ils ne s'étaient pas connus et où ils n'avaient pu s'aimer (2) ».

L'homme qui écrivit de la raison qu'elle nous trahit dès lors qu'il s'agit d'envisager la mort, puisque au lieu de nous en inspirer le mépris, elle ne sert « qu'à nous découvrir ce qu'elle a d'affreux et de terrible », a dû subir sa fin en toute lucidité.

S'il est vrai que l'illusion sur laquelle se fonde la croyance même en notre vie est que « la mort, c'est ce qui arrive aux autres », La Rochefoucauld, condamné à une mort lente, sut se désolidariser de lui-même, jusqu'à se devenir étranger.

« Son état est une chose digne d'admira­ tion.

Du reste, c'est la maladie et la mort de quelqu'un d'autre.

Il n'en est pas affecté (3).

)) Au milieu de tant de vues sans espoir, pour tout ce qui avait trait au commerce des hommes, il gardait cette foi en Dieu qui permet de contempler fixement le soleil de la mort.

Etrange fortune réservée à ces trois cent seize maximes, constituant le principal d'une œuvre qui s'enlève tout entière sur un fond d'amertume et de mélancolie! Par l'examen de conscience auquel elles nous convient, se reforme, de génération en génération, l'intérêt, mêlé d'inquiétude, que nous inspire ce moraliste, à la fois notre confesseur et notre confident.

Madame de Sévigné écrivait, trois jours après qu'elle eut assisté à sa fin : « Nous sommes mercredi, et Monsieur de La Rochefoucauld est toujours mort.

)) Ce qui lui paraissait invraisemblable l'était effectivement; c'est pourquoi nous pouvons dire aujourd'hui : deux siècles ont passé et Monsieur de La Rochefoucauld est toujours vivant.

(1) Madame de Sévigné.

(2) Sainte-Beuve.

(3) Madame de Sévigné.

22I. »

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