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La scène de ce drame est le monde... Paul Claudel

Publié le 22/02/2012

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Paul Claudel (1868-1955), dans son drame composé de 1919 à 1924, Le Soulier de Satin, fournit d'abondantes didascalies (indications scéniques), en préambule à la première scène, afin de créer une atmosphère empreinte de familiarité, de spontanéité, d'un certain sans-gêne, qui doit être aussi savamment entretenue par les ouvreuses, les instrumentistes. Quand l'Annoncier fait son apparition, c'est pour présenter brièvement le titre de la pièce puis le lieu et l'époque où se situe le drame. Voici ce qu'il dit aux spectateurs : «Le Soulier de satin ou Le Pire n'est pas toujours sûr Action espagnole en... quelques journées. Coup bref de trompette. L'Annoncier remercie. Il poursuit: La scène de ce drame est le monde et plus spécialement l'Espagne à la fin du XVI' siècle, à moins que ce ne soit le commencement du XVIIe siècle. L'auteur s'est permis de comprimer les pays et les époques, de même qu'à la distance voulue plusieurs lignes de montagnes séparées ne font qu'un seul horizon. »
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« le chemin, les coups de feu des chasseurs.

Point n'est besoin de journal où je ne lis que le passé; je n'ai qu'àmonter à cette branche, et, dépassant le mur, je vois devant moi tout le présent.

La lune se lève; je tourne laface vers elle, baigné dans cette maison des fruits.

Je demeure immobile, et de temps en temps une pomme del'arbre choit comme une pensée lourde et mûre.

» En définitive, cet « insatiable itinérant» — comme le désigne l'un de ses meilleurs biographes, Gérald Antoine —, ce poète diplomate, ou encore, comme il se désigne lui-même dans le texte ci-dessus, ce «spectateur du théâtre du monde», qu'est Claudel, nous implique dans un drame total (à la fois personnel, historique et cosmique) qui s'attache à représenter tout le visible en tant que figuration et révélation de l'invisible.

Le surnaturel se mêleétroitement à la réalité visible avec laquelle il interfère, dans Le Soulier de satin: saint Jacques, l'Ange gardien, la Lune, l'Ombre double sont de véritables personnages. Bien plus, le drame personnel de tous les autres personnages, vécu par eux dans le déchirement et la douleur, meten évidence le conflit, dont ils sont l'enjeu, entre le visible et l'invisible : il faut que Rodrigue, à l'instar de Prouhèze,consente au «sacrifice offert à Dieu» qu'invoque Claudel dans le 27e entretien avec J.

Amrouche.

Dès lors, Le Soulier de satin apparaît comme la conclusion du drame intime de Claudel — vécu en 1900 et revécu dans toutes les oeuvres ultérieures, notamment dans Partage de Midi (1905) — mais aussi de l'expérience dramatique acquise par lui depuis Tête d'or (1889).

Si l'on admet, en effet, que Christophe Colomb et Jeanne au bûcher, écrits après Le Soulier de satin, mettent en scène des figures historiques, donc nécessairement achevées et définitives, Le Soulier de satin est une somme du génie claudélien : « Le Soulier de satin est mon testament sentimental et dramatique et je n'ai plus d'intérêt que pour les choses de Dieu.» (lettre à Eve Francis, août 1926) Ecrit de 1919 à 1924, mais pour l'essentiel, de 1922 à 1924, alors que Claudel est ambassadeur à Tokyo, Le Soulier de satin n'est représenté qu'en 1943, grâce à la collaboration avec Jean-Louis Barrault : la version intégrale de 1924, trop longue, n'était pas adaptée à la scène.

J.L.

Barrault jouera Le Soulier de satin après la guerre (en 1949, 1958, 1963, 1980) et montera également Partage de midi (1948), Christophe Colomb (1951), Tête d'or (1959). Claudel était très satisfait du travail accompli sur le plan de la réalisation théâtrale : « La technique de ce drame, volontairement ou involontairement, se rapproche beaucoup à la fois et de l'ancienne technique du théâtreélisabéthain ou de Calderon ou, plus récemment, de la technique du cinéma.» (Entretien avec J.

Amrouche, « 36e entretien ») De fait, Claudel s'accorde toutes les audaces : suppression des unités de lieu et de temps, simultanéité desévénements, mélange des genres (comédie, tragédie, ou drame), intervention du surnaturel, refus de l'illusionthéâtrale (désinvolture, improvisation délibérées dans la mise en scène et mise à distance du spectateur, ce quiéquivaut à un refus de l'illusion réaliste), tout vise à privilégier l'illusion poétique.Claudel a développé à l'extrême toutes les ressources d'une langue souple, puissante et variée, parfaitementadaptée à toutes les nuances de son théâtre, parfaitement en accord avec cette volonté de représenter le mondedans sa totalité, dans son universalité.Plus que jamais, l'oeuvre de Claudel est susceptible de capter notre intérêt.

Du reste, Antoine Vitez n'a-t-il pas,récemment, en 1987, en Avignon, représenté la version intégrale du Soulier de satin? Ce spectacle a été retransmisà la télévision, le lundi de Pâques 1989.C'est que Claudel a eu la passion du théâtre, de la pratique du théâtre, il a nourri son art du travail expérimental deses contemporains, en France et aussi bien à l'étranger, et il s'inspire dans son oeuvre de toutes les formestraditionnelles du théâtre universel (nô, kabouki, du Japon, danses d'Extrême-Orient, folklores des plus divers), sansnégliger les ressources que pouvait lui offrir la musique (Honegger a composé la musique du Soulier de satin; DariusMilhaud, surtout, est resté un très fidèle collaborateur de Claudel).La « musique » de Claudel a, du reste, inspiré Pierre Boulez, qui, dans son Dialogue de l'Ombre double, rendhommage au poète du Soulier de satin (1985).Outre la liberté sans frontières de son inspiration, Claudel nous touche également par ce sentiment de solidarité, decommunion planétaires qu'exprime son théâtre : aucune partie du monde ne saurait plus nous être étrangère.

Or, àcet égard, le poète diplomate a été le témoin privilégié de la grandeur de l'Europe, telle qu'elle s'exprime, dans leSoulier de satin, par son esprit d'aventure et d'invention, par sa démesure aussi; et, bien qu'il ait perçu, après leconflit de la première guerre mondiale, le déclin de l'Europe, Claudel retrace dans ses oeuvres l'épopée des TempsModernes comme, en leur temps, Homère et Virgile ont célébré la culture de l'Antiquité ou comme Dante a recueillien une « somme » le Moyen Age.. »

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