Devoir de Philosophie

La séduction de Dom Juan, jeu de pouvoir discursif chez Molière, ou la tragédie de la noblesse

Publié le 05/10/2013

Extrait du document

juan
Colloque « Discours et pouvoir «, Université du Caire, Octobre 2006 La séduction de Dom Juan, jeu de pouvoir discursif chez Molière, ou la tragédie de la noblesse Charles Bonn Université Lyon 2 La relation de Don Juan en général, mais plus particulièrement dans le Dom Juan de Molière, avec les discours de la Cité peut être considérée comme un vestige de celle des anciens guerriers qui n'ont pas à répondre de leurs actes à un quelconque discours de la loi. Le guerrier étant le protecteur de la Cité contre la sauvagerie ou simplement la violence extérieures, participe de cette sauvagerie ou de cette violence contre laquelle il défend les citoyens, et n'a donc pas à se soumettre à la loi qu'il défend. Aussi ne sera-t-on pas étonnés de voir que Dom Juan présente lui-même sa séduction des femmes comme une succession de conquêtes militaires (Acte 1, scène 2). Inversement d'ailleurs la guerre n'est-elle pas également alors avant tout un spectacle, dont le magnifique agencement chorégraphique sera raillé par Voltaire dans Candide au siècle suivant ? En même temps on sait que suite aux excès de la Fronde, la politique de Louis XIV n'aura de cesse de déposséder progressivement la noblesse de ses prérogatives. Ne lui enlèvet-elle pas en effet la réalité du pouvoir, de plus en plus géré par des intendants bourgeois, au service d'un Etat-valeur abstraite, encore incarné par le roi jusqu'en 1789, mais qui se substitue au pouvoir personnel de l'aristocrate sur ses terres, aristocrate qui a d'ailleurs quitté déjà ses terres pour jouer son seul paraître à la Cour, sans voir que c'est par ce jeu sur un paraître de plus en plus coupé du réel que le pouvoir étatique le piège de plus en plus ? Le personnage de Dom Juan revêt ainsi une dimension tragique, parce qu'il est un des derniers représentants d'un ordre guerrier qui n'a plus sa place dans un nouvel ordre moral, étatique et religieux auquel son père s'est déjà soumis, ce qui fait que Dom Juan ne partage plus qu'avec le Commandeur et les frères d'Elvire cet ancien ordre guerrier dont les valeurs 1 sont la vengeance et le respect de la parole donnée, mais non la soumission à une loi sociale, politique, religieuse ou morale. La séduction de Dom Juan consistera donc essentiellement à jouer des pouvoirs de son paraître nobiliaire pour restaurer un désordre ancien, pour ferrailler contre un ordre social qui tente de le soumettre à un discours moral ou religieux supposé supérieur. Et pour ce faire, puisqu'elle est de nature guerrière, sa séduction pourra se ramener à un certain nombre de stratégies. Première stratégie : l'esquive hautaine Le noble comme le guerrier n'a pas à se justifier, à répondre aux injonctions d'un quelconque discours moralisant ou prescriptif. C'est bien entendu surtout le cas lorsque ce discours est tenu par son valet. Face à Sganarelle, Dom Juan usera, soit de la menace marquant sa supériorité sociale, soit le plus souvent d'une pirouette stratégique lui permettant de ne pas répondre aux questions que son valet lui pose. Certes, à la scène 2 de l'acte 1 il explique d'abord son goût pour les femmes par une mise en parallèle de la conquête amoureuse avec la conquête militaire, dans la tirade à laquelle j'ai déjà fait allusion. Mais outre qu'il s'agit de la seule tirade dans laquelle Dom Juan semble expliquer plus que justifier son comportement, cette tirade, dans la deuxième scène de la pièce, joue surtout un rôle programmatique, nécessaire pour la compréhension du personnage par le public. Et de plus on n'a pas assez souligné que lorsqu'il s'aperçoit qu'il s'est laissé aller à répondre aux questions de son valet, Dom Juan s'empresse soudain de pousser son raisonnement jusqu'à l'absurde, en terminant sur : ...je me sens un coeur à aimer toute la terre, et comme Alexandre, je souhaiterais qu'il y eût d'autres mondes, pour y pouvoir étendre mes conquêtes amoureuses. Cette démesure toute guerrière peut être lue surtout comme une manière pour Dom Juan de parodier son propre discours, et d'annuler de ce fait qu'il ait pu le tenir. L'incompréhension de cette fin par Sganarelle, qui introduit ainsi une complicité à ses dépends entre Dom Juan et le public de courtisans qui est celui de la pièce, montre d'ailleurs que la pirouette a réussi. C'est cependant surtout avec Elvire, à la scène suivante, que cette esquive hautaine sera pratiquée deux fois. La première lorsque Dom Juan l...

juan

« 2 sont la vengeance et le respect de la parole donnée, mais non la soumission à une loi sociale, politique, religieuse ou morale.

La séduction de Dom Juan consistera donc essentiellement à jouer des pouvoirs de son paraître nobiliaire pour restaurer un désordre ancien, pour ferrailler contre un ordre social qui tente de le soumettre à un discours moral ou religieux supposé supérieur.

Et pour ce faire, puisqu’elle est de nature guerrière, sa séduction pourra se ramener à un certain nombre de stratégies.

Première stratégie : l’esquive hautaine Le noble comme le guerrier n’a pas à se justifier, à répondre aux injonctions d’un quelconque discours moralisant ou prescriptif.

C’est bien entendu surtout le cas lorsque ce discours est tenu par son valet.

Face à Sganarelle, Dom Juan usera, soit de la menace marquant sa supériorité sociale, soit le plus souvent d’une pirouette stratégique lui permettant de ne pas répondre aux questions que son valet lui pose.

Certes, à la scène 2 de l’acte 1 il explique d’abord son goût pour les femmes par une mise en parallèle de la conquête amoureuse avec la conquête militaire, dans la tirade à laquelle j’ai déjà fait allusion.

Mais outre qu’il s’agit de la seule tirade dans laquelle Dom Juan semble expliquer plus que justifier son comportement, cette tirade, dans la deuxième scène de la pièce, joue surtout un rôle programmatique, nécessaire pour la compréhension du personnage par le public.

Et de plus on n’a pas assez souligné que lorsqu’il s’aperçoit qu’il s’est laissé aller à répondre aux questions de son valet, Dom Juan s’empresse soudain de pousser son raisonnement jusqu’à l’absurde, en terminant sur : ...je me sens un cœur à aimer toute la terre, et comme Alexandre, je souhaiterais qu’il y eût d’autres mondes, pour y pouvoir étendre mes conquêtes amoureuses.

Cette démesure toute guerrière peut être lue surtout comme une manière pour Dom Juan de parodier son propre discours, et d’annuler de ce fait qu’il ait pu le tenir.

L’incompréhension de cette fin par Sganarelle, qui introduit ainsi une complicité à ses dépends entre Dom Juan et le public de courtisans qui est celui de la pièce, montre d’ailleurs que la pirouette a réussi.

C’est cependant surtout avec Elvire, à la scène suivante, que cette esquive hautaine sera pratiquée deux fois.

La première lorsque Dom Juan le fuyard renverra Elvire à Sganarelle (« Madame, voilà Sganarelle qui sait pourquoi je suis parti »), ce qui constitue d’abord en guise de réponse une monumentale gifle sociale à cette femme de la noblesse, et la seconde, sur laquelle je reviendrai, lorsqu’il fait mine de lui répondre en lui tenant le discours religieux. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles