La théâtralité des Liaisons dangereuses

« La théâtralité dans Les Liaisons Dangereuses de Laclos et de Frears Les Liaisons Dangereuses, oeuvre parue en 1782, dresse un tableau minutieux de la noblesse française du XVIIIe siècle et, plus précisément, des deux libertinsValmont et Merteuil qui sont responsables de l'intrigue.

Bien que ce soit un roman épistolaire, il ne peut pas être limité à un seul genre.

En effet, cette oeuvre a connuplusieurs adaptations au théâtre et au cinéma, dont celles de Howard Davies en 1987 et le film de Stephen Frears de 1988.

Nous nous demanderons sur le rôle de lathéâtralité des Liaisons Dangereuses dans l'oeuvre originelle de Laclos et dans celle de Frears.

Dans une première partie, nous étudierons la place du théâtre dans leroman et dans le film, ensuite le libertinage en tant que théâtre lui-même et, enfin, dans quelles mesures Les Liaisons Dangereuses peut être considérée une tragédie. La théâtralité est dès le début présente dans l'oeuvre si l'on considère que seul le lecteur a la pleine conscience de l'intrigue.

L'histoire est basée sur le caché, le privé,sur ce qu'on ne peut pas dévoiler ; or, rien ne peut être caché aux yeux du lecteur.

Tel comme au théâtre, il connaît tous les points de vue sur un même sujet, il saitqui joue et qui est joué.

Plus que spectateur, le lecteur est un véritable complice des deux roués, il est un intrus qui viole la privacité d'une vaste correspondance.Le théâtre est, dans le roman et dans le film un lieu essentiel pour le déroulement de l'intrigue, c'est un espace publique où les jeux sociaux prennent lieu.

En effet, il ya une mise en abîme du théâtre ; ce n'est pas seulement un lieu où l'on va pour apprécier un spectacle, mais aussi (et surtout) pour observer les autres et être observé.A la limite, peu importe ce qui est joué, l'important est d'être inscrit dans le circuit social que représentent l'Opéra, la Comédie française et la Comédie italienne, lemilieu du luxe, de l'ostentation, du libertinage.

La preuve en est, au début de la trame, Danceny, personnage jeune et naïf, est la seule personne qui devient émue enregardant le spectacle.

C'est encore par le biais du théâtre que le jeune homme fait connaissance de Cécile, stratégie mise en oeuvre par Merteuil.

Dans le film, lathéâtralité est évidente, dans la mesure où les personnages sont complètement exagérés grâce au jeu des acteurs.

Valmont, par exemple, devient véritablementinsolent et caricatural comme le souligne la scène où il fait une grimace à Mme de Volanges.

Un autre exemple est la scène où Cécile laisse tomber la clef dans levase ; ses actions sont invraisemblables, mais confèrent de l'humour à l'action.

D'autre part, dans le roman cette théâtralité peut être perçue dans les lettres des deuxlibertins, où ils exposent leurs plans de guerre et se mettent à nu.

L'exemple le plus illustratif de cette dissimulation est la lettre 81, dans laquelle Merteuil dévoile sesartifices. On ne peut oublier qu'avant tout, Les Liaisons Dangereuses est une oeuvre de libertinage et que le théâtre fait essentiellement partie de la vie du libertin.

La viesociale n'est pas plus qu'un jeu de manipulation et de tromperie.

Les roués doivent être acteurs pour pouvoir réussir dans le grande comédie sociale, c'est leur devoirde savoir administrer les autres personnes afin de satisfaire leurs propres intérêts.Dans le roman, le lecteur est complice des libertins, ils décrivent leurs tactiques l'un à l'autre.

La Marquise de Merteuil dans la lettre 81 déclare "qu'elle est son propreouvrage", c'est-à-dire, elle s'est construite elle-même, elle est son projet.

Dans la mesure où elle ne peut agir que d'après des règles qu'elle-même s'est imposée, elleperd son humanité, toute forme de spontanéité peut représenter un échec.

Outre le rôle d'acteurs, les roués dominent l'intrigue, ils sont responsables par la mise enscène, ils ont le pouvoir d'accélérer l'action, de créer ou de détruire des obstacles.

Lorsqu'ils décident de monter une barrière entre Cécile et Danceny, Merteuilintervient et la jeune fille est immédiatement éloignée de son bien-aimé.

Lorsqu'ils décident de donner place à la correspondance des deux jeunes, Valmont apparaîtavec la solution magique de la clef.D'autre part, le théâtre se traduit dans le film par le maquillage, les costumes, les mirroirs.

Le film commence par une scène qui met en parallèle Valmont et Merteuilqui sont vêtus et maquillés par les domestiques ; ils se préparent pour entrer en scène.

Cette métaphore est reprise à la fin ; Merteuil enlève, seule, son maquillage, leslumières disparaissent peu à peu, tel un rideau qui baisse ; le spectacle est fini.

Les mirroirs, présents tout au long du film, permettent de mettre en évidence le doublejeu des acteurs et l'invasion des lieux privés.

Dans la scène où Valmont entre dans la chambre de Merteuil et parle à Danceny, le spectateur peut voir le reflet de laMarquise dans le mirroir.

Elle est aussi une spectatrice de la scène, elle est également au théâtre, c'est, encore une fois, une mise en abîme. Certes, Les Liaisons Dangereuses a un caractère théâtrale, mais peut-on dire que l'oeuvre possède aussi un caractère tragique?Tout d'abord, le livre est divisé en quatre parties, comme dans une tragédie classique que l'on pourrait classifier ainsi : la première partie comme présentationgénérale, la deuxième qui expose l'intrigue, la troisième qui se concentre sur les sentiments des personnages et la quatrième comme dénouement tragique.

De plus,dès la préface le lecteur sait que l'histoire aura un dénouement malheureux : "(...) les personnes de mauvaises moeurs paraissent leur [jeunes gens] accorder sifacilement n'est qu'n piège dangereux et aussi fatal à leur bonheur qu'à leur vertu."Tourvel est peut-être l'un des personnages les plus tragiques de l'histoire.

Sa passion, qui passe par toutes les étapes, de la négation à la livraison et enfin à lacapitulation, est typique d'une héroïne tragique.

On pourrait comparer sa passion avec celle de Phèdre, dans la mesure où elle est responsable de la perte de la raisonet de la maîtrise de soi.Dans le film, Frears ajoute un aspect pathétique à cette tragédie qui n'était pas flagrant, voire absent, dans le roman.

La scène de la mort de Valmont est entrecoupéepar des flashbacks de moments qu'il a passés avec la Présidente ; le metteur en scène prend le parti selon lequel les sentiments du libertin étaient vrais.

Merteuil laisseaussi entrevoir ce qu'elle ressent pour son ami.

Ce caractère pathétique souligne encore plus fortement le tragique des Liaisons Dangereuses, et rend le film plusaccessible à un large public. Finalement, Les Liaisons Dangereuses réserve une place prioritaire, essentielle au théâtre puisque c'est une oeuvre qui traite justement d'une société basée sur leparaître et non pas sur l'être.

Et dans le roman et dans le film, cet aspect est fortement présent, par des procédés différents.

Plus que théâtrale, on peut apercevoir unedimension tragique, au sens classique, dans l'oeuvre.. »