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La Vendange. J.-J. Rousseau (Nouvelle Héloïse) - commentaire

Publié le 10/02/2012

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rousseau

Depuis un mois les chaleurs de l'automne apprêtaient d'heureuses vendanges ; les premières gelées en ont amené l'ouverture ; le pampre grillé, laissant la grappe à découvert, étale aux yeux les dons du père Lyée, et semble inviter les mortels à s'en emparer. Toutes les vignes chargées de ce fruit bienfaisant que le ciel offre aux infortunés pour leur faire oublier leur misère ; le bruit des tonneaux, des cuves, les lègrefass qu'on relie de toutes parts, le chant des vendangeuses dont ces coteaux retentissent ; la marche continuelle de ceux qui portent la vendange au pressoir ; le rauque son des instruments rustiques qui les anime au travail ; l'aimable et touchant tableau d'une allégresse générale qui semble en ce moment étendu sur la face de la terre; enfin le voile de brouillard que le soleil élève au matin, comme une toile de théâtre pour découvrir à l'oeil un si charmant spectacle : tout conspire à lui donner un air de fête ; et cette fête n'en devient que plus belle à la réflexion, quand on songe qu'elle est la seule où les hommes aient su joindre l'agréable à l'utile.

Ce texte ne représente qu'une partie de la célèbre description. Il contient l'essentiel; il ramasse, en un raccourci heureux, tout ce que l'auteur développe dans la suite. Il nous fournit d'intéressants détails sur les idées, les sentiments de Rousseau et met en lumière son talent à peindre une scène rustique....

rousseau

« alors un peu partout.

Aucun souci de la couleur locale, du trait particulier.

C'est peut-être une qualité, et c'est peut-être un travers, car l'imagination déforme parfois les objets en intervenant dans une description ou, comme ici, elle les embellit, les idéalise à l'excès.

Ce ne sont pas les vendanges à Clarens, directement observées, que Rousseau nous dépeint; ce, sont celles des Charmettes, entrevues à travers la brume de vingt années, transformées par le prestige que leur confère un passé lointain.

Autre caractère distinctif de ce tableau : rien n'y est accusé; on pourrait même dire que rien n'y est proprement pittoresque.

Sauf ce détail, d'ailleurs important et bien noté : « le pampre grillé, laissant la grappe à découvert », aucune couleur, aucune forme ne nous apparaissent nettement...

même quand le soleil, se dégageant du brouillard matinal, éclaire le paysage.

C'est que - troisième trait - chez Rousseau les sensations auditives semblent l'emporter sur les perception.~ visuelles : il est plus musicien que peintre.

Enfin, dernier trait, Jean-Jacques, homme du xvm• siècle, - et à cet égard il est de la même famille que le Diderot des « Salons », - demande surtout des émotions à la peinture.

Ce qu'il a voulu peindre, c'est bien moins un spectacle extérieur que l'allégresse générale dans un cadre de nature·.

La sensibilité y voit un «aimable» et «charmant» spectacle; la réflexion y découvre ce que Rousseau n'a cessé de prêcher : le bonheur dans Je retour· à la vie simple, dans la recherche de «l'utile joint à l'agréable ».

, • •• Les idées, les Senti.

menis.

Une thèse soutenue avec émotion, sous forme de tableau; une démonstration éloquente par les faits : voilà ce qu'en dernière analyse nous trouvons dans cette description.

L'idée centrale, avons-nous dit, est celle que Jean-Jacques professé depuis le jour où, sur la route de Vincennes ses yeux s'ouvrirent à la lumière et trempèrent de larmes le devant de son gilet.

C'est le thème qu'il développe sous mille formes : la civilisation a empoisonné le cœur de l'homme, a fait d'un être bon et heureux un méchant et un malheureux; seul le retour à la nature, à la vie simple et rustique peut lui rendre bonté et ])onheur.

Regar­ dons ces vignerons.

Nul artifice en eux; ils s'égaient à peu de frais; ils tra­ vaillent aux champs; ils recueillent dans l'allégresse les fruits de la terre.

La suite du tableau achève de nous renseigner : ils sont heureux parce que éloignés des cités, des conventions mondaines, des cQntraintes de la civilisa­ tion; ils sont heureux parce que bons au sein de la grande ·nature.

Une idée secondaire, également chère à Rousseau, est que même dans Je plaisir il faut rechercher l'utilité.

Lorsque, dans l'Emile, il peint la maison de ses rêves, il dit :.

«J'aurais pour cour une basse-cour, pour écurie une étable avec des vaches pour avoir du laitage que j'aime beaucoup.

J'aurais un potager pour jardin et pour parc un joli verger ...

» Cette alliance de l'agréable et de l'utile rehausse visiblement à ses yeux les charmes de la.

fête à laquelle il participe.

> Faut-il nous arrêter à une troisième idée, assez curieuse, en sa banalité'! Ce ne sera peut-être pas tout à fait inutile à la compréhension du texte.

Jean­ Jacques a de spéciales raisons pour célébrer la vendange : il aime le vin.

Il l'aime pour sa saveur; il l'aime parce que le ciel otfre cette liqueur aux infortunés pour leur faire oublier leur misère.

Plusieurs fois, dans la Nou­ velle Héloïse, l'auteur entonne un couplet bachique.

Saint-Preux - qui ressemble à Rousseau comme un frère - nous avoue qu'il s'enivrait par politesse pour ses hôtes.

Et Bernardin de Saint-Pierre nous représente son maître buvant consciencieusement sa bouteille de vin à chaque repas ...

Idées et sentiments se confondent souvent chez Rousseau et H est difficile de délimiter où finissent celles-là, où commencent ceux-ci.

On peut affirmer que cette scène rustique est plus sentie qu'observée et pensée.

D'un bout à l'autre, le peintre penseur s'attendrit : · atlfiWdrissement devant la grap,pe dont le jus fera oublier leur misère aux infortunés; attendrissement à la vue de l'aimable et touchant tableau de l'aHé~resse générale...

Les yeux, les oreilles, la réflexion ne sont ici qne les auxilraires du èœur; c'est celui-ci qui veut prouver que la vendange est une fête.

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