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La vérité de la vie

Publié le 14/01/2018

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et Constant de procéder à l'analyse la plus aiguë de ses états d'âme. L'idéologie, la poésie et l'analyse constituaient, en ce début du siècle, les trois tentations majeures du genre.

 

Mme de Staël et la tentation Beaucoup de traits, dans Corinne ou de l’idéologie dans Delphine, ressortissaient aux conven-

 

tions du roman sentimental. Mais dans un cadre conventionnel, Mme de Staël trouvait le moyen de glisser nombre de ses idées. De nos jours, elle paraît plus près de Mme de Souza que de l'auteur de René, mais il ne faut pas oublier qu'elle connut en son temps, avec ses romans, un succès presque égal à celui de Chateaubriand. C'est qu'ils étaient remplis d'une idéologie qu'on chercherait en vain dans les autres romans féminins. Mme de Staël, qui << parlait >) son chapitre avant de l'écrire, y faisait passer la substance de ses improvisations brillantes. Beaucoup de développements donnent, certes, une impression de surcharge et de confusion, mais on trouverait d'abord des observations de moraliste qui se situent dans une grande tradition française, et qui, réunies, constitueraient un volume de << maximes >) ou de << pensées >) non négligeable. Ces maximes n'étaient pas sans intérêt quand elles soulignaient les complexités ou les contradictions du cœur humain. Il faudra, certes, bien des années, — presque un siècle, pour qu'une telle << psychologie » soit inscrite dans les pensées et les actions des personnages au lieu d'être exposée par l'auteur de façon abstraite.

 

A côté des réflexions ou des analyses d'une moraliste, il y avait, surtout dans Corinne, toute une part lourdement didactique qui était consacrée à Rome et à l'Italie. Mais ce qui nous paraît maintenant illisible a séduit nombre de ses contemporains. Si trente ans plus tard Stendhal devait se garder d’introduire dans La Chartreuse de Parme ses notes de voyage en Italie, Mme de Staël n'a pas hésité à mêler ses notes de voyage à l'histoire de Corinne. Il y avait parfois du charme dans l'évocation de la campagne romaine ou de Venise, mais on était loin des subtiles et puissantes musiques de Chateaubriand ou de Barrès.

 

Surtout, à l'aube du xixe siècle, Mme de Staël faisait du roman un moyen privilégié de revendications féministes. Les lectrices ont aimé ces plaintes : « Le sort d'une femme est fini, quand elle n'a pas épousé celui qu'elle aime ; la société n'a laissé dans la destinée des femmes qu'un espoir ; quand le lot est tiré et qu'on a perdu, tout est dit ... ». Ou encore : « Une promesse inconsidérée, dans un âge où les lois ne permettent pas même de statuer sur le moindre des intérêts de fortune, décidera pour jamais le sort d'un être dont les années ne reviendront plus, qui doit mourir, et mourir sans avoir été aimé ». Si Delphine, en 1802, affirmait les droits de la femme, Corinne, en 1807, affirmait ceux de la femme de génie. L'idée que la femme était victime de l'opinion du monde et de toutes les institutions sociales était défendue avec beaucoup d'insistance. Déjà, Mme de Staël agitait la question du divorce qui, cent ans plus tard (voir Un Divorce de Paul Bourget), alimentait encore la littérature romanesque. La Nouvelle Héloïse avait déjà exercé une profonde influence sur des lectrices de province. Sans bénéficier d'autant de prestige, les romans de Mme de Staël ont certainement contribué à l'évolution des mœurs.

Les avatars du roman René et Atala faisaient d'abord partie

 

et les premiers récits des Natchez. Chateaubriand, dès 1789,

 

de Chateaubriand avait entrepris cette « épopée de l'homme

 

de la nature >>. Pendant une dizaine

 

d'années, il entassa « pêle-mêle ses études, ses lectures », et il vit ce long travail aboutir à un immense manuscrit de trois mille pages. En i8oo, il commença par en extraire deux morceaux assez minces : Atala et René. Il fit paraître Atala en 1801 ; puis, il fit figurer ces deux récits, en i8o2, dans le Génie du Christianisme ; enfin, il les publia, en i8o5, après les avoir extraits du Génie comme ils l'avaient été des Natchez. Quant aux Natchez, Chateaubriand ne les fit paraître qu'après avoir élagué un manuscrit surabondant. Il est clair qu'il n'envisageait pas le roman comme un genre qui eût ses exigences et aux lois duquel il dût se soumettre : ses premiers récits n'étaient à ses yeux que des épisodes au sein d'un vaste ensemble, il pouvait indifféremment les publier à part ou les incorporer à un ouvrage théorique. Encore n'étaient-ils point constitués d'éléments spécifiquement narratifs : la narration le cédait souvent à des descriptions, à des élans lyriques, à des observations générales sur la condition humaine. Chateaubriand ne voyait dans le récit qu'un moyen de s'exprimer; il l'utilisait pour illustrer de façon vivante ses desseins apologétiques ou incarner une nouvelle forme de la sensibilité.

 

La tentation de l’épopée Chateaubriand admettait si peu que ses

 

premiers récits fussent des romans qu'il définissait lui-même Atala comme une « sorte de poème, moitié descriptif, moitié dramatique »L Il eût pu dire aussi : épique. Et, de fait, il rappelait qu'il avait divisé son ouvrage en prologue, récit, épilogue, ayant essayé de lui donner « les formes les plus antiques >>. Le récit lui-même était distribué en épisodes ; et cette structure épique lui conférait une dignité dont le roman, en ce début de siècle, paraissait dépourvu à un homme qui était l'héritier d'une culture classique. Si le ton de l'épopée (et, en particulier, le « style indien >>) l'exposait au risque de l'affectation, Chateaubriand entendait se garder, dans Les Natchez, d'un écueil tout aussi redoutable : la trivialité que devait comporter, selon lui, le seul compte rendu des événements. C'est pourquoi, dans ces premiers récits, Chateaubriand s'employait de toutes ses forces à atteindre le ton de l'épopée : à défaut, il les relevait par l'éclat du style ou la vibration du lyrisme. De René aux Martyrs, des Natchez aux Aventures du dernier A bencérage, on établirait sans peine une hiérarchie dont chacune de ces œuvres marque un degré. Les Martyrs étaient une épopée en prose qui représentait la plus haute ambition de Chateaubriand. A tala ou le Dernier A bencérage, qui avaient quelque chose de moins tendu, atteignaient parfois au ton de l'épopée : l'auteur ne peignait que la « belle nature >> et il voulait qu'il y eût une part d'émotion esthétique dans le pathétique qu'il se proposait de susciter. Quant aux Natchez, il était fort significatif qu'ils fussent constitués de deux parties qui avaient subi un traite-

Le roman d’analyse En 1816, Benjamin Constant publia Adolphe

 

d’ « Adolphe » qu'il avait écrit plusieurs années aupa-

 

ravant. Il s'était proposé, en 1807, de faire un roman qui fût son histoire, et s'il faut l'en croire, il l'acheva en une quinzaine de jours. Rien n'est plus frappant que la désinvolture qu'il a toujours manifestée à l'égard de ce livre. Il n'était pas, il ne se voulait pas romancier : ses écrits politiques, les soins de sa carrière, ses livres de philosophie religieuse retenaient toute son attention. Il ne fit réimprimer Adolphe que pour prévenir des contrefaçons. Il disait que ce livre lui était devenu fort indifférent et qu'il n'attachait « aucun prix à ce roman ». Il disait aussi avoir entrepris d'écrire cette anecdote dans l'unique pensée de « convaincre deux ou trois amis réunis à la campagne de la possibilité de donner une sorte d'intérêt à un roman dont les personnages se réduisaient à deux et dont la situation serait toujours la même »h Ce livre serait-il donc, en même temps qu'un lambeau de sa vie, le fruit d'une gageure esthétique ? On le voit volontiers situé entre les vérités du journal intime et les beautés d'une transposition artistique. Par un singulier paradoxe, cet ouvrage, apparemment négligé par son auteur, demeure un de nos plus purs romans. Ici encore, comme l'écrit Gaëtan Picon, « nous voyons le roman moderne naître sans le vouloir ni le savoir, en tout cas aux antipodes de l'imagination romanesque »2

 

Comme René, Adolphe était dépouillé de péripéties : c'est par la confession que le roman français, en ce début de siècle, se dégageait des conventions et en venait à la vraisemblance et à la vérité. Adolphe était aussi écrit en réaction contre le lyrisme qui avait envahi la prose narrative : le roman personnel revenait au roman d'analyse ; il rappelait, par la sobriété racée de l'expression et l'acuité de l'observation psychologique, Mme de La Fayette ou Choderlos de Laclos; il annonçait Stendhal ou Mérimée. Il appartenait à une lignée qui va de La Princesse de Clives aux Récits d'André Gide, et dont la simplicité dépouillée confère au roman français sa teinte la plus originale. Adolphe est si peu chargé de matière qu'on lui a volontiers attribué l'appellation de nouvelle : c'est, dans le domaine romanesque, l'équivalent de ce qu'est, au théâtre, la Bérénice de Racine : un drame à deux personnages. Adolphe exposait la simple histoire d'un amour, d'un faux amour, qui a vite cessé d'être un « but » pour devenir un « lien », et le héros, par pitié autant que par faiblesse, n'ose briser ce lien tout en rêvant à « l'aurore de sa liberté future ». C'est là que le roman d'analyse trouvait sa matière privilégiée : dans les sentiments qui animaient chacun de ces deux êtres et qui les faisaient bientôt s'entre-déchirer. Il n'y avait là rien d'étonnant de la part d'un auteur qui observait que << la grande question de la vie », c'est « la douleur qu'on cause ». Pourquoi eût-il été contraint d'avoir recours à des péripéties, lui qui écrivait aussi : « Les circonstances sont bien peu de chose, le caractère est tout » ? Le caractère est tout : avec quelle précision les traits en étaient-ils accusés ! Aux élans lyriques de René, à une rêverie qui rendait ses contours indistincts et le faisait volontiers se fondre dans

« et Constant de procéd er à l'analyse la plus aiguë de ses états d'âme.

L'idéologie, la poé sie et l'an alyse constituaient, en ce début du siècle, les trois tentations majeures du genre.

Mme de Staël et la tenta tion de l'idé ologie Beaucoup de traits, dans Corinne ou dans Delphine, ressortissaient aux conven­ tions du roman sentimental.

Mais dans un cadre conventionnel, Mme de Staël trouvait le moyen de glisser nombre de ses idées.

De nos jours, elle paraît plus près de Mme de Souza que de l'auteur de René, mais il ne faut pas oublier qu'elle connut en son temps, avec ses romans, un succès presque égal à celui de Chateaubriand.

C'est qu'ils étaient remplis d'une idéol ogie qu'on chercherait en vain dans les autres romans féminins.

Mme de Staël, qui ) son chapitre avant de l'écrire, y faisait passer la substance de ses impro visations brillantes.

Beaucoup de développemen ts donnent, certes, une impression de surcharge et de confusion, mais on trouverait d'abord des observations de moraliste qui se situent dans une grande tradition française, et qui , réunies, constitueraient un volume de ) ou de ) non négligeable.

Ces maximes n'étaient pas sans intérêt quand elles soulignaient les complexités ou les contrad ictions du cœur humain.

Il faudra, certes, bien des années, -presque un siècle, pour qu'une telle ) soit inscrite dans les pensé es et les actions des personnages au lieu d'être exposée par l'auteur de façon abstraite.

A côté des réflexions ou des analyses d'une moraliste, il y avait, surtout dans Corinne, toute une part lourdement didactique qui était consacrée à Rome et à l'Italie .

Mais ce qui nous paraît maintenant illisible a séduit nombre de ses contemporains.

Si trente ans plus tard Stendha l devait se garder d'introduire dans La Chartreuse de Parme ses notes de voyage en Italie, Mme de Staël n'a pas hésité à mêler ses notes de voyage à l'histoire de Corinne.

Il y avait parfois du charme dans l'évocation de la campa gne roma ine ou de Venise, mais on était loin des subtiles et puissantes musiques de Chateaubriand ou de Barrès.

Surtout, à l'a ube du xrxe siècle, Mme de Staël faisait du roman un moyen privi légié de revendications féministes.

Les lectrices ont aimé ces plaintes : « Le sort d'une femme est fini, quand elle n'a pas épousé celui qu'elle aime; la soc iété n'a laissé dans la destinée des femmes qu'un espoir; quand le lot est tiré et qu'on a perdu, tout est dit ...

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Ou encore : « Une promesse incon­ sidérée, dans un âge où les lois ne permettent pas même de statuer sur le moindre des intérêts de fortune, décidera pour jamais le sort d'un être dont les années ne reviendront plus, qui doit mourir, et mourir sans avoir été aimé ».

Si Del phine, en r8o2, affirmait les droits de la femme, Corinne, en r8 o7, affirmait ceux de la femme de génie.

L'idée que la femme était victime de l'opinion du monde et de toutes les institutions sociales était défendue avec beaucoup d'insistance.

Déjà, Mme de Staël agitait la questi on du divorce qui, cent ans plus tard (voir Un Divorce de Paul Bourget) , ali mentait encore la littérature romanesque.

La Nouvelle Héloïse avait déjà exercé une profonde influence sur des lectrices de province.

Sans bénéficier d'autant de prestige , les romans de Mme de Staël ont certainement contribué à l'évolut ion des mœurs.. »

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