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La voie d’un solitaire : Jacques LACARRIERE, Le Monde.

Publié le 03/11/2016

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installés dans les camps de Grèce et de Tunisie - pays que je connais et que je parcours depuis trente ans -, quand je vois ces véritables colonies vivre en pleine autarcie2, sans le moindre contact avec les réalités quotidiennes et sociales du lieu d’implantation, je me dis que de colonie de vacances à colonie tout court, la distance n’est pas très grande. En fait, sans d’ailleurs toujours s’en rendre compte, les agences et les voyages continuent de coloniser les rives sud de la Méditerranée sous une forme moins violente. Non plus les terres mais les rivages, non plus par le sang mais par le soleil. En pays étranger, tout voyageur est un ami, tout voyagé est un client. Le client du soleil puisque, pour la première fois depuis des millénaires, le soleil lui aussi est aujourd’hui à vendre.

 

Jacques LACARRIERE, Le Monde.

Jusqu’à la seconde guerre mondiale, la quasi-totalité des populations n’avaient qu’un seul droit : rester sur place. Voyager -pour le plaisir s’entend - était le fait d’une minorité de gens fortunés, d’oisifs et de quelques fous, c’est-à-dire de navigateurs solitaires. Pendant ce temps, le reste du monde s’échinait à peiner et à mourir au même endroit. A la fin de la guerre, tout se mit à changer, du moins en Europe. L’Afrique, le Proche-Orient et l’Asie libérés s’offrirent aux rêves et aux loisirs de l’Occident. Et l’on put alors célébrer la naissance du principal nouveau-né de l’après-guerre : le touriste. Qu’y avait-il autour de son berceau ? Des fées qui se nommaient Etranger, Évasion, Exotisme. Et des faits qui se nomment toujours Circuits, Charters et Casinos. A tous ces rêves et ces besoins nouveaux, il fallait en effet des infrastructures. Alors se multiplièrent des agences de tourisme qui s’empressèrent de quadriller de par le monde les cadastres du paradis.

 

Rappelons d’abord une simple étymologie. Etre en vacances, cela veut dire être vacant, être disponible, être vide aussi. Et ce vide, des centaines d’affairistes ne tardèrent pas à en profiter, c’est-à-dire à le combler avec profits. Dans un monde où notre vie quotidienne est de plus en plus organisée et programmée par d’autres - notre lieu de travail, nos horaires, nos moyens de transport, nos habitudes alimentaires et même nos chaines (quel mot symbolique !) de télévision, - on pourrait croire que nos loisirs et nos désirs échapperaient à ces contraintes. Eh bien, pas du tout ! Là encore, la plupart préfèrent s’en remettre à d’autres, à des agences spécialisées, du soin de programmer leur liberté. Alors, transporté par le transporteur, accompagné par l’accompagnateur, animé par l’animateur, voire surveillé par le surveillant, le touriste doit avoir l’impression de redevenir un enfant, de revivre le temps chéri de la prise en charge. 

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« se rétrécit, se ralentit.

Bien entendu, chacun est libre de voyager à sa guise, seul, à pied, en roulotte, en deltaplane ou par milliers dans des charters.

Mais à quoi bon transporter son corps à l'autre bout du monde si c'est pour conserver en ·soi, immobiles et indé­ crottables, ses manies et ses préjugés ? Au contraire du voyageur qui, lui, choisit librement son voyage et sait prendre ses risques, le voyagé ne choisit rien, expérimente peu.

On ne lui en laisse d'ail­ leurs pas le loisir, si l'on peut dire.

Ce qu'il veut, en réalité, c'est le plus posible de soleil, le moins posible d'indigènes.

Il recher­ che un monde climatisé, aseptisé, une reproduction « mais en chromo1 ))' de sa vie terne.

Quand je vois les milliers de touristes installés dans les camps de Grèce et de Tunisie -pays que je connais et que je parcours depuis trente ans -, quand je vois ces véritables colonies vivre en pleine autarciel, sans le moindre contact avec les réalités quoti­ diennes et sociales du lieu d'implantation, je me dis que de colonie de vacances à colonie tout court, la distance n'est pas très grande.

En fait, sans d'ailleurs toujours s'en rendre compte, les agences et les voyagés continuent de coloniser les rives sud de la Méditerra­ née sous une forme moiôs violente.

Non plus les terres mais les rivages, non plus par le sang mais par le soleil.

En pays étranger, tout voyageur est un ami, tout voyagé est un client.

Le client du soleil puisque, pour la première fois depuis des millénaires, le soleil lui aussi est aujourd'hui à vendre.

Jacques LACARRIERE, Le Monde.

(1) chromo :Imag e lit hographi que e n coul eur, artifici ell eme nt emb elli e et souv ent de mauvais goût.

(2) Autarci e : État d'un pays qui se suffit à lui-mêm e.

1.

Résumé (8 poin ts): ce texte en 170 mots (écart toléré de plus ou moins JO %)_ Indiquez sur la copie le nombre de mots que vous aurez employés_ 2.

Questions de vocabulaire (2 poin ts) :ex pliquez les mots et expressions soulignés : a) «affa iristes "• b) ((entre humains planétaires ''· 3.

Discussion (JO poin ts) : discutez, à l'aide d'exemples tirés de vos lectures, de votre expérience personnelle, l'ob� servation de Jacques LACARRI ERE: (( Plus les communications -au sens géogra phique du terme -augmentent et s'acce1èrent, plus la communication - au sens social du terme -se rétrécit, se ralentit.

". »

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