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« L'Amitié n'est, pour la Rochefoucauld, qu'un commerce où l'amour-propre se propose toujours quelque chose à gagner ». La Fontaine vient de lire cette pensée et écrit à Madame de la Sablière pour lui dire ce qu'il en pense.

Publié le 09/02/2012

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rochefoucauld

 

 

Madame et chère amie,

Une fois de plus, je le constate, L'absence est le plus grand des maux.

A peine ai-je quitté Paris et votre hospitalière demeure que j'en ressens déjà la cruelle morsure. Il faut que je vous écrive. Pour vous dire quoi ? Que loin de vous je me sens comme exilé? Que ma gratitude s'est accrue avec chaque lieue qui s'interposait entre ma bienfaitrice et moi ? Oui, sans doute. Mais une autre raison m'y pousse. Je viens de lire un blasphème contre l'amitié. Mon coeur révolté éprouve un irrésistible besoin de clamer son indignation, et comme personne ici ne me comprendrait, c'est à vous qu'aussitôt j'ai pensé, à vous, mon habituelle confidente, qui vous joindrez, je le sais, à ma juste réprobation...

 

rochefoucauld

« · ·Trànsformer 1•amitié en un commerce intéressé, ayant pour unique mobile l'amour-propre, c'est nier l'amitié même, telle que les païens la ~oncevaient déjà, telle que le christianisme l'a pratiquée en la divinisant.

~n'est-ce, en effet, sinon le don spontané, sans condition, sans calcul, de deùx âmes mystérieusement attirées l'une vers l'autre? C'est même là ce qui distingue l'amitié de l'amour.

Celui-ci a d'égoïstes exigences; celle-là pratique l'oubli de soi, sous peine de n'être plus l'amitié.

Quel intérêt le fidèle Pylade avait-il à s'attacher aux pas du malheureux Oreste? Quelles satisfactions d'amour-propre pouvait-il trouver en cette sombre société? Et pourtant son amitié l'a conduit aux confins du dévouement; elle eût Sàtlvé' œ misérable, s•it eût pu l"être.

Je me demande aussi quel salaire, quel vil profit se- proposaient, en leurs amical'es relations, ees deux grands docteurs qui avaient nom Basile et Grégoire.

S'unir si étroitement qu'on en vient à n'être plus qu'une seule âme en deux corps, et cela afin de mieux aimer Dieu et le prochain, est-ce donc une jouissance où le moi «haïssable:.

est seul à trouver son compte? Mais sans aller si loin, Madame et· chère Amie, n'êtes-vous pas, pour moi, la preuve des preuves que l'amitié peut être désintéressée, et qu'elle l'est en effet? Quel avantage avez-vous jamais tiré et vous pourriez-vous proposer du commerce avec un hibou de mon espèce? Je me creuse la tête en vain; je ne trouve que charges, ennuis et contrariétés.

Semer mille bienfaits, et ne moissonner, en retour, que négligences, indélicatesses d'un distrait et d'un oublieux, triste récolte en vérité 1 Donner tout et ne rien recevoir, ce genre de « commerce :.

ne mène point à la fortune.

Ah 1 combien je sens présentement le prix de cette amitié à laquelle M.

de La Rochefoucauld feint de ne pas croire! Car il y croit, j'en suis sûr~ et en cette conjoncture le cœur est chez lui «la dupe de l'esprit:..

Qu'il y ait par le monde des âmes .assez basses pour p.rof•aner la plus belle et la plus ·sainte des choses, je n'en puis douter; trop souvent je l'ai constaté.

On cache sous le masque de l'amitié, les moins avouables des passions, les vices les plus répugnants.

Cela est, je ne le ~ie pas.

Judas n'a-t-il pas baisé son Maître pour le dèsigner aux bourreaux, et n'a-t-il pas indîgnement abuse, .ce grippe-sous, de la confiance du meilleur des amis'? Je choisis cet exemple trè.s loin de nous et aussi hideux que possihl~, afin de ne point manquer à la charité envers nos gens du « bel air » et nGs pelis-maîtres de la cour.

Ahf comme je comprends .parfois les vertueuses indignations d'Alceste en face de cette comédie de l'amitié! .•.

Mais n'est-ce point M.

de La Rochef-oucauld .qui a écrit : c l'hypocrisie est un hommage que le vice rend à la v-ertu » ? Il aurait dii se souvenir de cette judicieuse re­ marque, quand il formula son injuste sentence.

La fausse amitié glorifie la vraie.

Celle-ci, je le veux, est une dem-ée assez rare; mais grâce à Dieu, on l'a toujours trouvée et on la trouvera toujours iei-bas.

Et comme la réputation de M.

le Duc m'est plus chère que la.miemte, je souhaiterais de lui voir, sinon supprimer, du moins .modifier cette maxime qui fait tache en son recueil.

ll l'a déjà fait pour mainte autre, ,je veux croire c:p1'il .ne le refusera pas pour celle-là.

Voudriez-vous donc bien, Madame, me servir d'ambassadrice, en la circonstance '1 Vous savea quelle sympathie Mm• de Sévigné et .Mm" de La Fayette m'ont souvent témoi­ gnée.

Adressez-vous à elles de ma part.

C'est, je pense, le chemin le plus sûr, sinon le plus court.

Oserait-il refuser ,quelque chose à deux amies aussi fidèles.

aussi dëlicates.

aussi oublieuses d'elles-mêmes, à deux conso­ latrices comme il s'en trouve peut-être trois par siècle? - auquel cas vous seriez dans le nôtre la troisième.

-Non, et j'espère lire dans la prochaine édition des Maximes un correetif de ce genre : «Les .hommes. »

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