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LANGUE FRANÇAISE ET LITTÉRATURE (Histoire de la littérature)

Publié le 10/01/2019

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LANGUE FRANÇAISE ET LITTÉRATURE. Support et matériel de base de la création littéraire, la langue, le système linguistique — ici la langue française — est doublement une abstraction.

 

D’abord, ce n’est pas le système abstrait de cette langue (une phonologie, plus ou moins bien représentée par des formes graphiques, une syntaxe, une composante lexicale — dont on sent déjà, intuitivement, l’intense variabilité —) qui est en cause, mais, dans chaque situation sociolittéraire, des usages déterminés, de nature temporelle, géographique, sociale, et des images de ces usages, les « normes ». Ensuite, dans une description faussement unitaire qui stipule commodément l’apparition de ce qu’on nomme « le français », il faut au moins distinguer des états chronologiques entre lesquels une seule communication est possible : celle, passive, que garantit la notation écrite, et qui permet un décodage, la « lecture ».

 

Immédiatement, on remarque que l’apparition de la notion du « littéraire » en français coïncide avec celle même d’une langue qu’on peut nommer le français (et non plus le roman) : indice que toute langue, dans une société donnée, produit, parmi tous les discours, une classe de « textes » orientés vers une finalité esthétique (mêlée souvent à d’autres finalités, éthiques, religieuses...) même en l’absence d’écriture et de « lettre » (littera).

 

On sait que les historiens de la langue utilisent une périodisation large où s’opposent grossièrement, mais assez clairement, l’« ancien français » (xie-xiiie siècle), le « moyen français » (xive-début xvie siècle), le « français classique » (du xvie au xviiie siècle), le « français moderne » (de la Révolution à la première moitié du XXe siècle) et un « français contemporain » évidemment très subjectivisé. L’illusion d’optique commune en histoire fait que cette périodisation, acceptée pour le passé lointain, paraît insuffisante et est toujours contestée, à partir du français dit « moderne ».

Sans entrer dans des considérations réservées à l’histoire de la langue, on se bornera ici à donner des repères sur la situation de la langue française dans l’ensemble social concerné, aux diverses époques de notre littérature, puis, à titre d’exemples, à indiquer comment le discours littéraire subit les contraintes structurales dues à l’état de langue à chaque époque et, surtout, à la configuration sociale de la variation linguistique interne : usages et normes.

 

Enfin, la littérature a toujours eu, par nécessité, des attitudes, parfois organisées en théories, quant au langage et notamment quant à « sa » langue.

 

L'évolution du matériel littéraire

 

Si l’ancien français dès les premiers témoignages « littéraires », qui sont religieux et didactiques, qui sont versifiés et assonancés, constitue un matériel acceptable pour un discours à visée partiellement esthétique, c’est en prenant une place dans le corpus des textes notés par écrit et par rapport au latin. La Séquence de sainte Eulalie (vers 900), une Passion, la Vie de saint Léger (transcrite vers l’an 1000) pèsent de peu de poids dans la production littéraire de l’époque; mais ces textes attestent les possibilités de la langue vulgaire dite d’« oil », déjà bien distincte du bas latin contemporain et des par-lers du sud des territoires gallo-romains (qui vont devenir l’occitan). Sa structure est — très grossièrement — celle d’une langue dont la morphosyntaxe (les règles de la construction des phrases — syntaxe — et de la formation des mots — morphologie) s’appauvrit par rapport à celle du latin, rendant du même coup plus contraignant l’ordre des mots. Littérairement, le caractère récent et incertain de la notation graphique conserve à la structure phonique un rôle à la mesure de la prédominance orale. Ces textes, et ceux des XIe et XIIe siècles, sont comparables à de la musique notée. Le passage de l’assonance à la rime, dans les poèmes du XIIe siècle, l’apparition d’une prose littéraire et même poétique (début xinc siècle) marquent une évolution vers une rhétorique de l’écrit. Les aspects proprement littéraires et rhétoriques de la littérarité médiévale et de ses rapports avec la langue sont traités ici par Paul Zumthor (voir Moyen Âge : langue et littérature). On insistera donc sur la nature fondatrice du système linguistique. Par exemple, l’évolution du phonétisme (labialisation, nasalisation..., réduction des diphtongues..., amuïssement de consonnes, qui rendent la transcription graphique rapidement archaïque) et celle de la morphosyntaxe (disparition progressive de l’importance des flexions nominales, augmentation de celle de l’ordre des mots) ont évidemment des conséquences pour la formation des discours littéraires. II en va de même pour l’enrichissement lexical, les formes réempruntées au latin s’ajoutant à celles qui ont subi la longue érosion phonétique des siècles, les formes issues du fonds germanique (mots en b, en w ou en h « aspiré », par exemple) s’y joignant pour créer un stock d’éléments (préfixes, suffixes) capable d’engendrer un vocabulaire abondant, fertile en nuances qu’il nous est très difficile d’interpréter.

 

Seul l’examen attentif des différences entre discours littéraire et non littéraire, aux diverses époques, permettrait de dégager, à travers l’utilisation qui en est faite, les virtualités de l’ancien français dans la production de discours à fonction esthétique et de les comparer à celles d’autres états de langue. Malheureusement, la construction scientifique du modèle par les linguistes (les grammaires et les lexiques ou dictionnaires de l’ancien français) provient par induction, de l’observation des textes, et ces textes mêlent inévitablement les variantes discursives, les rhétoriques et les stylistiques; d’où l’incroyable difficulté d’un tel programme, peut-être même naïf et irréalisable.

 

S’il est déjà malaisé d’évaluer le disponible, le virtuel d’une maîtrise individuelle de la langue chez Balzac ou Flaubert, on imagine l’impossibilité d’une telle opération, quand il s’agit des créateurs — poètes, narrateurs, musiciens oraux des chansons de geste ou poètes scrip-teurs savants des romans courtois.

 

Le seul investissement progressif de la « littérature » par l’écriture constitua une immense révolution. Ce qui souligne une autre dimension du problème : si la « langue », le « français » conçu abstraitement, commande un grand nombre de caractères discursifs, les usages de cette langue (ici un usage écrit dominant opposé aux autres, et à des usages oraux) ont, dans leurs variations, dans leurs oppositions, une action très considérable. Cet écho discursif, et en particulier littéraire, de la variation linguistique, est fortement marqué au Moyen Âge par la variété linguistique dite dialectale. En fait, les variantes des discours littéraires, aux xiie et xiiie siècles, dans le domaine gallo-roman septentrional, correspondent à des formes dialectalisées d’un usage normalisé ou plutôt « normé », usage élaboré en grande partie à Paris, et non pas à des dialectes au sens oral et spontané du terme. Le franco-normand qui domine au XIIe siècle, le franco-picard du xiiie sont le produit — discursif et littéraire — d’un effort de substrat (vraiment normand, vraiment picard) sur un usage réglé, sur une norme qui n’a rien à voir avec un « vrai » dialecte, et qu’on a nommé le « francien ». Champenois, Chrétien de Troyes écrit bel et bien en français : il n’a ni l’usage ni même la langue de ses compatriotes paysans. Quant à l’« anglo-normand », c’est le français officiel parlé en Angleterre, un peu teinté de particularismes normands. Ainsi, littérairement, les dialectes, au sens fort du terme, ont été marginalisés très tôt.

 

Du moyen français (xivc-début xvic siècle), on peut dire qu’il scelle le mouvement constant de la syntaxe : la déclinaison du nom disparaît, l’ordre des mots en assume de plus en plus les fonctions, le s, autrefois marque du cas sujet, devient celle du pluriel, les cas sujet et régime, s’ils sont conservés, deviennent des mots différents (sire/seigneur), la conjugaison se régularise un peu (restant très complexe), et surtout, le vocabulaire prolifère pour répondre à un besoin social, lié à l’envahissement de tous les domaines par le français, à coup de traductions des ouvrages didactiques latins, par exemple. La prose des chroniqueurs (Froissart notamment) est caractéristique d’un nouveau type de discours. Du côté de la poésie, Charles d’Orléans, Christine de Pisan, Villon donnent au lecteur moderne la sensation d’une entrée en modernité, tandis que les Grands Rhétori-queurs, dans le baroquisme, donnent aux combinatoires et aux procédés formels une importance majeure, apportant une conscience parfois pesante, souvent aiguë, toujours vive du matériel verbal qui est (pour nous) la conscience poétique même; que ce soit ou non au détriment de l’« émotion » est aujourd’hui affaire d’estimation intuitive.

 

Linguistiquement, le xvie siècle renaissant appartient au « moyen français ». Mais la réflexion sur le langage (voir ci-dessous) y rétroagit sur les conditions de la création. En outre, si l’évolution des structures ne permet guère d’opposer xive-xve siècles, d’une part, xvie siècle de l’autre, la prolifération lexicale prend une autre allure. La dérivation et la composition fonctionnent plus librement; aux emprunts latins s’ajoutent les hellénismes; les relatinisations de mots de tradition se multiplient; l’italien fournit de nombreux vocables empruntés. L’illustration littéraire des pouvoirs de ce nouveau lexique est éclatante : en prose, c’est Montaigne, surtout Rabelais, mais aussi Calvin, des Périers et l'Heptaméron;

langue

« difficulté d'un tel programme, peut-être même naïf et irréalisable.

S'il est déjà malaisé d'évaluer le disponible, le virtuel d'une maitrise individuelle de la langue chez Balzac ou Flaubert, on imagine l'impossibilité d'une telle opéra­ tion, quand il s'agit des créateurs -poètes, narrateurs, musiciens oraux des chansons de geste ou poètes scrip­ teurs savants des romans courtois.

Le seul investissement progressif de la « littérature» par l'écriture constitua une immense révolution.

Ce qui souligne une autre dimension du problème : si la «lan­ gue », le « français » conçu abstraitement, commande un grand nombre de caractères discursifs, les usages de cette langue (ici un usage écrit dominant opposé aux autres, et à des usages oraux) ont, dans leurs variations, dans leurs oppositions, une action très considérable.

Cet écho discursif, et en particulier littéraire, de la va!:iation lin­ guistique, est fortement marqué au Moyen Age par la variété linguistique dite dialectale.

En fait, les variantes des discours littéraires, aux xu• et x111• siècles, dans le domaine gallo-roman septentrional, correspondent à des formes dialectalisées d'un usage normalisé ou plutôt « normé », usage élaboré en grande partie à Paris, et non pas à des dialectes au sens oral et spontané du terme.

Le franco-normand qui domine au xu• siècle, le franco­ picard du xtu• sont le produit -discursif et littéraire - d'un effort de substrat (vraiment normand, vraiment picard) sur un usage réglé, sur une norme qui n'a rien à voir avec un « vrai » dialecte, et qu'on a nommé le « francien ».

Champenois, Chrétien de Troyes écrit bel et bien en français : il n'a ni 1 'usage ni même la langue de ses compatriotes paysans.

Quant à 1' « anglo-normand », c'est le français officiel parlé en Angleterre, un peu teinté de particularismes normands.

Ainsi, littérairement, les dialectes, au sens fort du terme, ont été marginalisés très tôt.

Du moyen français (xtv•-début xvt• siècle), on peut dire qu'il scelle le mouvement constant de la syntaxe : la déclinaison du nom disparait, l'ordre des mots en assume de plus en plus les fonctions, le s, autrefois mar­ que du cas sujet, devient celle du pluriel, les cas sujet et régime, s'ils sont conservés, deviennent des mots diffé­ rents (sire/seigneur), la conjugaison sc régularise un peu (restant très complexe), et surtout, le vocabulaire proli­ fère pour répondre à un besoin social, lié à l'envahisse­ ment de tous les domaines par le français, à coup de traductions des ouvrages didactiques latins, par exemple.

La prose des chroniqueurs (Froissart notamment) est caractéristique d'un nouveau type de discours.

Du côté de la poésie, Charles d'Orléans, Christine de Pisan, Villon donnent au lecteur moderne la sensation d'une entrée en modernité, tandis que les Grands Rhétori­ queurs, dans le baroquisme, donnent aux combinatoires et aux procédés formels une importance majeure, appor­ tant une conscience parfois pesante, souvent aiguë, tou­ jours vive du matériel verbal qui est (pour nous) la conscience poétique même; que ce soit ou non au détri­ ment de l'« émotion» est aujourd'hui affaire d'estima­ tion intuitive [voir RHÉTORtQUEURSJ.

Linguistiquement, le xvr• siècle renaissant appartient au « moyen français ».

Mais la réflexion sur le langage (voir ci-dessous) y rétroagit sur les conditions de la créa­ tion.

En outre, si l'évolution des structures ne permet guère d'opposer XIV'-xv• siècles, d'une part, xvr• siècle de 1 'autre, la prolifération lexicale prend une autre allure.

La dérivation et la composition fonctionnent plus libre­ ment; aux emprunts latins s'ajoutent les hellénismes; les relatinisations de mots de tradition se multiplient; 1' ita­ lien fournit de nombreux vocables empruntés.

L'illustra­ tion littéraire des pouvoirs de ce nouveau lexique est éclatante : en prose, c'est Montaigne, surtout Rabelais, mais aussi Calvin, des Périers et I'Heptaméron; quant au renouvellement poétique, Ronsard et la Pléiade, mais aussi Scève, Sponde puis d'Aubigné et tout autrement Desportes en témoignent.

Indépendamment de J'évolu­ tion des poétiques, le combat pour la norme, mené très intuitivement mais avec talent par du Bellay, par Pas­ quier, etc., conduit à la condamnation des régionalismes (Pasquier critique à ce sujet Montaigne), et plus généra­ lement, à une doctrine de l'unité du français, qu'il faut «défendre» contre les envahissements déformants.

La guerre de l'orthographe entre tenants du phonétisme et ceux de la tradition étymologique, où les réformateurs échouent, est un aspect de ce combat pour 1 'unicité de la norme, qui va aboutir aux conceptions du français «classique ».

C'est au xvu• siècle que le phonétisme du français moderne s'établit : disparition des dernières diphton­ gues, recul du r roulé, etc.

Mais l'évolution phonétique et morphosyntaxique est peu significative par rapport à celle du vocabulaire qui, dans l'ensemble, se précise et s'épure.

Cependant, il ne faut pas confondre les inten­ tions, notamment littéraires, attestées par les textes de Malherbe ou de Guez de Balzac, puis des grands« classi­ ques » (désignation anachronique : voir CLASSICISME) avec les évolutions objectives, d'ailleurs elles aussi attestées par d'autres textes (les baroques, Sorel ou Scar­ ron en prose, la préciosité).

La chasse aux dérivés et composés chers aux écrivains du xvt• siècle provient d'une attitude normative; leur recul effectif traduit une tendance lexicale, d'ailleurs mineure, car la plupart de ces mots qui disparaissent appartenaient plutôt à un usage et même à un type de discours (notamment litté­ raire) qu'au fonds lexical partagé.

JI en va de même de la lutte contre le pédantisme hellénisant et latinisant, attitude éternelle, semble-t-il, et sans effet profond sur les évolutions nécessaires.

Plus important, le fait que le français, l'ayant emporté dans la majeure partie de la France, y ayant investi la plupart des fonctions nobles du langage -car pour la vie rurale et familiale, dialectes, patois et autres langues restent bien vivants- n'a plus besoin d'être« défendu » et « illustré>>.

Telle est la situation dans la partie nord de la France, en Wallonie ou à Genève, mais non pas en Occitanie.

Racine relatant à La Fontaine, en 1661, son voyage de Paris à Uzès, raconte qu'il ne peut plus guère communiquer, dans les auberges où il s'arrête, à partir de Lyon (en plein domaine franco-provençal); l'occitan parlé à Uzès lui paraît être un mélange d'espagnol et d'italien, langues grâce auxquelles il parvient à se faire comprendre.

Là, dans les milieux cultivés, le bilinguisme ou plus exactement la «diglossie >> (bilinguisme où une langue domine l'autre) est de règle.

Diglossie, car la langue vernaculaire est privée de prestige et on note qu'à Marseille, le provençal est remplacé par le français, dans l'usage écrit, vers le milieu du xvn• siècle.

On estime qu ·à la fin du xvm• siècle, encore, la moitié des habitants de la France était incapable de parler le « français stan­ dard>> .

C'est au réglage interne de ce français qu'on s'emploie, avec des distinctions sociologiques d'ailleurs en partie fictives (« la Cour et la Ville >>) qui recouvrent une répartition soci'!_le très complexe, à l'intérieur du français normatif d'Ile-de-France.

Un «français bour­ geois >> assumant les discours technique, didactique, sou­ vent scientifique et politique ...

, accepte toutes les inno­ vations lexicales nécessaires : Furetière, avant les Encyclopédistes, en est un bon témoin, dans la mesure où i 1 s'essaie à contester le modèle reçu du discours romanesque par une satire interne, le Roman bourgeois ( 1666), avant de constituer le répertoire des termes nécessaires dans son Dictionnaire ( 1690).

Mais l'évolution littéraire ne se laisse pas décrire en termes de causalité langagière : la poésie étouffe et se dessèche au contact de l'expression lexicale des réa li tés. »

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