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L'arrière-plan socio-historique et La fonction des personnages secondaires dans Le Lys dans la vallée.

Publié le 22/02/2012

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Regard sceptique donc, que celui manifesté par le voisin des Mortsauf et qui soumet pour la première fois l'espace clos du domaine au jugement extérieur. Il s'y cultive pourtant une sorte d'idéal utopique, qui n'est pas sans rappeler le Rousseau de La Nouvelle Héloïse : tout y converge pour favoriser l'autarcie ; la polyculture y est de mise, et n'est relayée que par un système d'échange interne, voire de troc, incluant les métayers alentour.

« de rivalité, celle que lui oppose une puissante bourgeoisie incarnée par M.

de Chessel, prête à s'arroger ses droits etses titres.

Discrètement méprisé par le comte, fanatique de l'Ancien Régime, Frapesle n'en est pas moins florissant,et manifestement servi par la puissance financière de son propriétaire et administrateur.

Si la micro-société deClochegourde forme bien le centre du récit, elle ne s'en trouve pas moins soumise à des comparaisons qui,objectivement, jouent peu en sa faveur et remettent précisément en cause la position centrale de l'ancienne aristocratie (p.

94; p.

109) : or, ce sont ceux qu'on aperçoit peu dans le récit qui, progressivement, monopolisent lepouvoir.

Pendant ce temps, Henriette et Félix, hypnotisés par leur impossible amour, doivent se contenter de jouerles ménages (pp.

261 sqq.), de perdre en faux-semblants la force qui les unit. Car, en définitive, ce qui fait le plus défaut à la famille de Mortsauf, c'est la capacité à « se mêler aux hommes etaux événements » (p.

369) en acceptant de perdre, si nécessaire, ces illusions et ces principes que Félix devra d'ailleurs lui-même abandonner.

Le « coup de baguette de la Restauration » (p.

148), en rétablissant un ordreartificiel et des privilèges sans fondement, dissuade ces seigneurs-paysans de saisir l'opportunité d'une entrée dansle monde, parmi ces figures d'arrière-plan qui se plaisent cependant à les condamner : qu'on se souvienne ainsi dessoupçons nourris par la duchesse de Lenoncourt à l'égard de sa fille, qu'elle croit voir cultiver une intrigue avecFélix, lorsque son refus de rentrer à la cour n'est destiné qu'a masquer l'incapacité de son mari (p.

149).

Là encore,la clôture de Clochegourde sur son secret ne peut tout à fait ôter le risque du jugement social et de la relégation. C'est dans un sens identique qu'interviennent, à de rares moments, les remarques du roi : « Si tu veux être quelquechose en politique, ne t'amuse pas à parlementer avec les morts», semble-t-il glisser à Félix (p.

340), tandis quecelui-ci ne cherche qu'à se soustraire au regard d'une société qui l'appelle et qui le juge. Balzac et son monde : l'individu face au jeu social « Il n'y a pas de principes, il n'y a que des circonstances », révèle Vautrin à Rastignac dans Le Père Goriot. Comment mieux dire que la capacité d'un homme à parvenir dans la société moderne dépend de son pragmatisme etde son pouvoir d'user des uns et des autres ? C'est à partir de là que le roman balzacien se charge de tout son sens, en tant que roman d'apprentissage, apprentissage vécu par Félix sous laforme d'un violent contraste entre la fougueuse Anglaise au coeur froid et la chaste Henriette, et qu'il ne peutéprouver que par l'expérience du monde.

Mme de Mortsauf, en l'introduisant dans la société (cf.

lettre, pp.

202 sqq.), l'a par là même convié à satisfaire les désirs que celle-ci fait naître, à commencer par le désir amoureux (cf. La Peau de chagrin).

Soucieuse de rectitude et de continence, elle n'a pas compté avec les réalités physiologiques et morales, en un mot avec les attraits que dispense la vie sociale et qui rendent caduque sa tentative pourconcilier entre eux des ordres étrangers les uns aux autres : « Notre attachement fia la tentative insensée, l'effort de deux enfants candides essayant de satisfaire leur coeur, les hommes et Dieu», reconnaît-elle enfin (p.

312). Tout le roman de Balzac peut donc se lire, de façon anachronique et naturaliste, comme la confrontation d'unpersonnage à divers milieux, auxquels ses résolutions et ses principes ne sauraient résister.

Cet amour qu'il professeà l'égard d'Hendette et qui prétend « recommencer le Moyen Âge » (p.

274) ne peut se conserver qu'en milieu clos,hors du monde, loin de ses préoccupations égoïstes de la recherche du plaisir, poussée jusqu'au blasphème (p.

286).Il s'accommode très mal des tentations offertes par la splendeur de la vie mondaine, et le seul lieu où il se préserveen dehors de Clochegourde, c'est la mémoire du narrateur érigée en cénotaphe.

Or, d'un autre côté, l'ambition queFélix professe partout, en réclamant une position, l'expose aussi au jugement du monde.

Si le dévouement politiquelui apporte l'appui du roi (pp.

219-220), les progrès de sa carrière exigent aussi leur lot de conquêtes amoureuses :qu'on prenne de nouveau bien garde à l'importance que revêt l'opinion anonyme dans la décision de Félix desuccomber aux charmes de lady Dudley (p.

279), opinion qui rend plus délicat encore le sort de Mme de Mortsauf :on le rapprochera ainsi de celui de Julie d'Aiglemont dans La Femme de trente ans', acculée à la honte d'un adultère, quand Mme de Mortsauf vit au contraire le drame de la fidélité conjugale.

Pourtant,l'attachement qu'elle professe à l'égard de sa vallée relève aussi, pour une large part, d'uneattitude de crainte : celle de voir exposer ses sentiments aux aléas de l'existence, et enparticulier à la présence des autres, si déterminante dans la mise au jour d'une jalousiequ'elle avoue (p.

375). Seule demeure, en définitive, la loi de l'éternel défi, que relève Félix, par un travail insensible et froid (p.

384), ou celle de la charité ignorée, pratiquée par Mme de Mortsauf.

Ce désirobstiné de parvenir, qui subsiste dans l'esprit de Félix même après la mort d'Henriette,n'exclut pourtant nullement la possibilité d'un échec : pour preuve, la réponse de Natalie (pp.385 sqq.), qui voue son amour renaissant à l'incompréhension, le niant jusque dans son expression.

Mais si Natalie se montre caustique à l'égard du lyrisme de son amant, la lettrede Marsay à Paul de Manerville, à la fin du Contrat de mariage, formule plus cyniquement encore l'inutilité de la littérature comme miroir des sentiments et l'opportunité des relations soigneusement cultivées : deux constatsdont Félix, en conciliant la pratique révolue de la confession et la fréquentation d'un pouvoir déclinant, ne sembleguère mettre à profit. Il en résulte que la présence relativement discrète des personnages secondaires et del'arrière-plan socio-historique dans le récit ne saurait être imputé aux insuffisances du. »

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