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L'art et la drogue: Les paradis artificiels chez BAUDELAIRE

Publié le 17/01/2022

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drogue
«... je crois», écrivait-il, « que dans beaucoup de cas, non pas certainement dans tous, l'ivrognerie de Poe était un moyen mnémonique, une méthode de travail, méthode énergique et mortelle, mais appropriée à sa nature passionnée. Le poète avait appris à boire, comme un littérateur soigneux s'exerce à faire des cahiers de notes, il ne pouvait résister au désir de retrouver les visions merveilleuses ou effrayantes, les conceptions subtiles qu'il avait rencontrées dans une tempête précédente; c'étaient de vieilles connaissances qui l'attiraient impérativement, et, pour renouer avec elles, il prenait le chemin le plus dangereux, mais le plus direct. Une partie de ce qui fait aujourd'hui notre jouissance est ce qui l'a tué. » On peut rapprocher ces lignes du poème en prose intitulé « Enivrez-vous !» :
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« On retrouve dans ce passage de son essai sur « Richard Wagner et le Tannhäuser à Paris » la description exacteque donne Baudelaire des rêveries de l'opium clans Les Paradis artificiels.D'ailleurs, il est très conscient de ce rapprochement puisqu'il enchaîne ainsi : « Aucun musicien n'excelle, comme Wagner, à peindre l'espace et la profondeur, matériels et spirituels.

C'est uneremarque que plusieurs esprits, et des meilleurs, n'ont pu s'empêcher de faire en plusieurs occasions.

Il possède l'artde traduire, par des gradations subtiles, tout ce qu'il y a d'excessif, d'immense, d'ambitieux, dans l'homme spirituelet naturel.

Il semble parfois, en écoutant cette musique ardente et despotique, qu'on retrouve peintes sur le fonddes ténèbres, déchiré par la rêverie, les vertigineuses conceptions de l'opium.

» L'hypertrophie du moi Pourtant l'art et la drogue sont des voies radicalement opposées pour atteindre à l'Idéal.

Les excitants font accéderau surnaturel par la facilité, ils agissent sur les sens.

Plus encore ce sont des simulacres, ils combinent l'illusion et lemensonge.« Epouvantable mariage de l'homme avec lui-même », c'est ainsi que dans son livre sur Thomas De Quincey,Baudelaire définit l'effet produit par « les sombres et attachantes splendeurs de l'opium ».

En excitant de manièreartificielle et démesurée nos sens et notre imagination, les narcotiques exaltent le sentiment de toute puissance del'individualité.L'un des chapitres des Paradis artificiels s'intitule «L'homme-Dieu », l'un des effets les plus pervers du haschich oude l'opium étant l'hypertrophie du moi.

Au lieu de se fondre à l'harmonie de l'univers, d'en retrouver l'organisationsecrète par le jeu maîtrisé des mots, des formes, des sons et des couleurs, les narcotiques suivent le processusinverse; ils ouvrent sur l'infini en étendant l'individualité aux dimensions d'une nature soudain illuminée d'un sensabsolument transparent par la force de l'analogie qui fait tomber les barrières entre la réalité extérieure et l'oeilintérieur.

Mais cette révélation d'un pouvoir pareil à celui de Dieu est illusoire et dangereuse car elle repose sur unorgueil luciférien. La dissolution du moi Baudelaire opposera l'humilité de l'artiste à ce délire des grandeurs du narcomane.

Mais il introduit une autredifférence considérable entre la vision du monde créée par l'oeuvre d'art et celle que procurent, à peu de frais, lesnarcotiques.

Le haschich, et à un moindre degré l'opium, ont la faculté de dissocier les centres de la personnalité,de fragmenter l'unité de l'être intérieur en le livrant sans défense à l'anarchie des impressions qui l'assaillent.Contrairement à ce que Baudelaire affirme dans ses « Correspondances » où le poète accède à l'unité, à l'harmonie,par la grâce de l'art, dans les Paradis artificiels, il montre comment les narcotiques parviennent à rompre l'équilibreentre l'esprit et les sens.

Fasciné par l'afflux des sensations les plus intenses, l'esprit devient incapable de cette«concentration» dans laquelle Baudelaire voit la plus belle vertu du créateur : au lieu de prendre possession d'elle-même, de jouir de sa souveraineté, l'imagination devient la proie servile du monde extérieur.Au moment même où ils procurent l'illusion de la domination absolue de l'individu sur la réalité qui l'entoure, lesnarcotiques le privent de sa liberté, de son intégrité, de sa cohésion interne.Pour démontrer le terrible pouvoir de dissolution du moi exercé par la drogue, l'auteur des Fleurs du Mal se réfère àson maître Edgar Poe dont il cite plusieurs fragments tirés de ses propres traductions.

On retiendra toutparticulièrement le passage tiré des « Souvenirs de M.

Auguste Bedloe », l'une des Histoires extraordinaires:« Cependant l'opium avait produit son effet accoutumé qui est de revêtir tout le monde extérieur d'une intensitéd'intérêt.

Dans le tremblement d'une feuille, — dans la couleur d'un brin d'herbe, — dans la forme d'un trèfle, — dansle bourdonnement d'une abeille, — dans l'éclat d'une goutte de rosée, — dans le soupir du vent, — dans les vaguesodeurs échappées de la forêt, se produisait tout un monde d'inspirations, une procession magnifique et bigarrée depensées désordonnées et rhapsodiques.

»Développant la notion de dissociation, de fragmentation suggérée par ce dernier mot, Baudelaire ajoute : « Ainsi s'exprime, par la bouche de ses personnages, le maître de l'horrible, le prince du mystère.

Ces deuxcaractéristiques de l'opium sont parfaitement applicables au hachisch; dans l'un comme dans l'autre cas,l'intelligence, libre naguère, devient esclave; mais le mot rhapsodique, qui définit si bien un train de pensées suggéréet commandé par le monde extérieur et le hasard des circonstances, est d'une vérité plus vraie et plus terrible dansle cas du hachisch.

ki, le raisonnement n'est plus qu'une épave à la merci de tous les courants, et le train depensées est infiniment plus accéléré et plus rhapsodique.» Et Baudelaire termine son réquisitoire contre ces deux narcotiques par ce verdict sans appel : «Je veux, dans cette dernière partie, définir et analyser le ravage moral causé par cette dangereuse et délicieusegymnastique, ravage si grand, danger si profond, que ceux qui ne reviennent que légèrement avariés,m'apparaissent comme des braves échappés de la caverne d'un Protée multiforme, comme des Orphées vainqueurs. »

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