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L'ASCENSION DE M. DESPRÉAUX

Publié le 27/06/2011

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A ses débuts, le satirique tourne le dos à la Fortune, c'est-à-dire à ceux qui dispensent argent et réputation, au roi et à la Cour. Plus indépendant que Molière, il déclame imprudemment contre le siècle et attaque Chapelain, le conseiller littéraire du pouvoir, le protégé du duc de Montausier. Il fut même soupçonné d'avoir participé à la rédaction d'un pamphlet contre Colbert, parodie des stances du Cid intitulée Colbert enragé ou Colbert percé, dont le puissant secrétaire d'Etat dut lui garder rancune. Et pourtant il paie son tribut de louanges à l'autorité et se soumet aux servitudes du métier de poète : le Discours au Roiy la Satire V, à Dangeau, contiennent les éloges rituels du prince. Le prince ne les ignore pas : Dangeau lui lit les deux poèmes. Mais ces flatteries sont insuffisantes. Le satirique a mauvaise réputation et ses ennemis ont beau jeu à le décrier. Il est trop franc, trop bourru, trop indépendant. Il semble destiné à une sorte de bohème, facilitée, il est vrai, par des revenus bourgeois.

« de ses œuvres récentes : l'Epître I remaniée et des passages du Lutrin.

Il est maintenant protégé lui aussi par degrands personnages : un prince du sang comme Condé ; un duc de Vivonne, propre frère de Mme de Montespan ; lamaîtresse du roi et sa sœur, Mme de Thianges ; le marquis de Pomponne, qui vient d'être nommé secrétaire d'Etataux affaires étrangères ; et le chirurgien Félix n'épargne pas sa peine au service de son ami.Boileau est plus sage qu'autrefois.

On en a pour preuve sa conduite avec Bussy-Rabutin.

Ce grand seigneurorgueilleux s'était moqué de l'Epître sur le Passage du Rhin : un bourgeois osait emboucher la trompette pourchanter les exploits de la noblesse de France ! Le poète, vexé, ne cacha pas qu'il se vengerait de ces moqueries parquelque trait de satire.

Bussy alors fulmina d'atroces menaces contre le nez de l'insolent.

Le comte de Limoges et leP.

Rapin durent s'entremettre et Boileau ne se refusa point à un arrangement.

Il exposa ses griefs en assurant deson profond respect le gentilhomme irascible : il ne désirait que justifier ses vers.

Bussy accepta l'hommage et renditle compliment.Despréaux abandonne même son hostilité contre Chapelain.

Il va jusqu'à s'attendrir sur le sort de son vieil adversairemalade.

A la mort de celui-ci, en février 1674, il se voit rendre par l'effet de la bonté du roi le privilège qui lui avaitété enlevé deux ans plus tôt.

Un tel bienfait demandait un remerciement.

Ici reparaît le bourru : il remercia Colbertpar un billet hautain, où il feignait de mépriser ce qui lui était rendu, et, au lieu de porter lui-même son message, il lefit remettre au suisse qui gardait la porte du ministre.

Puymorin, son frère, chargé du contrôle des Menus à la Cour,presque un personnage, fut ému de cette désinvolture et chercha à excuser le sauvage.

On dit que Colbert futenchanté de ces façons républicaines et invita le poète à dîner.

Méré raconte l'entrevue en quelques mots : « Il yalla, dit-il de Despréaux, il se lava, il mangea, il demanda à boire et s'en alla.

»Pourtant ce sauvage s'adoucissait.

Nous avons dit que dans l'édition de 1674, il effaça partout le nom de Chapelain,le remplaçant par Patelin, p*** ou Ariste.

Si le satirique fait encore entendre sa voix dans Y Art poétique et leLutrin, ce n'est plus qu'accessoire.

Il ne réagit guère à la dernière attaque de Desmarets.Le roi lui fait donner une pension de 2.000livres, dès 1674, ou peut-être en 1676 seulement.

Il peut briller : Corneilles'éteint, Molière est mort, Chapelain aussi ; Racine est son ami.

Il se sent des devoirs nouveaux.

Il insère dans Y Artpoétique et le Lutrin des dithyrambes en l'honneur du monarque.

La louange l'attire, il l'avoue dans l'Epître V :Si quelque soin encore agite mon repos, C'est l'ardeur de louer un si fameux héros...Il garde des ennemis : Montausier ne désarme pas et est même fort indigné de la générosité faite au satirique : «Bientôt le roi donnera pension aux voleurs de grand chemin », dit-il à haute voix ; et les admonestations dusouverain n'apaisent pas son irritation.

En 1677, dans l'Epître VII, Boileau tente de le calmer par un complimentdélicat.

Il énumère les lecteurs de choix auxquels ses écrits cherchent à plaire : le roi, Condé et Enghien, Colbert,Vivonne, La Rochefoucauld, et termine par ce trait :Et plût au Ciel encor, pour couronner l'ouvrage, Que Montausier voulût leur donner son suffrage !La réconciliation semble pourtant avoir tardé au moins jusqu'en 1683.Mais désormais le poète est solide en selle.

Mme de Thianges offre en 1675 pour étrennes à son neveu le duc duMaine, fils du roi et de Mme de Montespan, un jouet auquel fut donné le nom de Chambre du Sublime.

C'était unechambre en bois doré, grande comme une table, avec une alcôve et un lit ; devant le lit, un fauteuil, où était assisun personnage en cire représentant le petit prince ; auprès de lui, La Rochefoucauld et Bossuet ; non loin, Mme deThianges et Mme de La Fayette ; sur le devant, un balustre fermant la chambre ; près du balustre et au dedans,Racine, faisant signe à La Fontaine, encore au dehors, pour qu'il approche ; Despréaux avec une fourche gardait lebalustre contre sept ou huit mauvais poètes qui essayaient de le franchir indûment.

Cette allégorie marque bien laplace que tient Boileau dans l'estime de la Cour à l'époque.Il n'a rien du flatteur de profession.

Sans doute il est capable d'écrire un madrigal pour le duc du Maine.

Mais il gardeune franchise et une indépendance qui étonnent souvent.

Il commet encore des imprudences de paroles, que doitexcuser Racine, bon ami et meilleur courtisan.

Son Epître IX, à Seignelay, le fils de Colbert, où il voulait témoigner sareconnaissance à son bienfaiteur, fut jugée courte pour un secrétaire d'Etat à la Marine.

Et qu'y louait le poète ? LaVérité, la Franchise, la Droiture ! Ce langage surprenait.

Pradon disait assez justement à son ennemi :Dans ces palais dorés que tu figures mal !Crois-moi, tu n'es pas là dans ton pays natal.Ces vers datent de 1677 : c'est alors que la fortune de Boileau faillit être brisée.

Une cabale, dirigée par la duchessede Bouillon et le duc de Nevers, opposa la Phèdre de Pradon à celle de Racine.

La lutte fut vive.

Despréauxcombattit aux côtés de son ami.

Des sonnets injurieux furent échangés, où la vertu du duc et celle de la duchessefurent malmenées.

Les poètes furent menacés du bâton, peut- être bâtonnés.

Heureusement, ils avaient pour euxCondé et Enghien.

Cette protection leur inspira d'abord des sentiments de confiance que reflète l'Epître VII : lepoète y revendique les droits du génie et en appelle à la postérité d'un temporaire déni de justice.

Pourtant sonaudace et celle de Racine avaient été grandes et ils se sentirent bientôt en danger.

Il fallut se plier à unaccommodement.

Quelles en furent les conditions ? On remarque que juste à ce moment Boileau dut passer quelquetemps à la campagne.

C'est alors et là qu'il compose l'Epître VI, à Lamoignon.

Autant la VIP était fière et assurée,autant la VIe, qui a suivi et non précédé la VIIe, est humble et désenchantée.

Que s'est-il passé ? Racine, aprèsavoir envisagé de se faire chartreux, se préparait au mariage.Les deux amis eurent une compensation : ils furent chargés d'écrire l'histoire du roi.

Ils étaient ainsi sous- traits àleurs adversaires ; mais ils renonçaient à l'indépendance.

Ni l'un ni l'autre ne songea pourtant à refuser.

Ils reçurentchacun 2.000 livres de pension supplémentaire et ensemble 12.000 livres pour s'équiper.

Ils devaient suivre lemonarque dans ses campagnes.

Ils firent assez piteuse figure en 1678 ; Boileau manquait d'ardeur.

Son Epître VIII,achevée sur ces entrefaites, est une plainte autant qu'un remerciement : on sent qu'il regrette l'erreur commise ; iln'est pas historien.

Lorsqu'il mourut, il confia à son successeur Valincour les papiers qu'il avait réunis et il luirecommanda de dire à Sa Majesté « qu'il était très fâché de ce que lui et M.

Racine avaient été chargés d'un travailsi contraire à leur génie, qui n'était que pour les vers ».De 1678 à 1683, il n'écrivit rien ou presque rien : l'édition publiée à cette dernière date le prouve, à moins desupposer qu'il acheva alors le Lutrin.

Il ne rentrera dans la vie littéraire que beaucoup plus tard, en 1693, dans la. »

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