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L'autobiographie selon Rousseau

Publié le 23/06/2015

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rousseau

Confession ou justification ?

Rousseau s'écarte encore de la pratique chrétienne de la confes­sion par la manière dont il avoue ses fautes. En effet, dans bien des cas, il ne témoigne ni regret ni sentiment de pénitence. Par la construction de ses phrases, il excuse ses torts avant même de les présenter :

J'avais les défauts de mon âge; j'étais babillard, gourmand, quelquefois menteur (L. I, p. 39).

La tyrannie de mon maître finit [...I par me donner des vices [...1 tels que le mensonge, la fainéantise, le vol bid., p. 63).

Certaines farces d'enfant ne sont pourtant pas si innocentes : « je me souviens(...)d'avoir une fois pissé dans la marmite d'une de nos voisines, appelée Mme Clot « (L. I, p. 39). Mais le narra­teur s'en amuse et se justifie avec désinvolture : « J'avoue même que ce souvenir me fait encore rire, parce que Mme Clot E...] était bien la vieille la plus grognon que je connus de ma vie « (ibid.). Ce ton n'est pas tout à fait celui d'une confession.

Si on laisse de côté ces fautes présentées comme mineures, il reste trois aveux particulièrement pénibles au narrateur :

  La première faute grave tient au plaisir coupable ressenti par l'enfant tandis que Mlle Lambercier lui administre la fessée. Le narrateur prend soin de classer ce plaisir non comme « criminel « mais comme « ridicule et honteux « (L. I, p. 48). Le masochisme' de Rousseau est donc plus étrange que vraiment coupable.

  Le second aveu porte sur le vol du ruban chez Mme de Vercellis et l'accusation d'une innocente. Jean-Jacques avoue ses torts. Mais il précise que ses mobiles étaient nobles. Il a accusé Marion, parce qu'il pensait à elle et voulait lui offrir le ruban dérobé. En

outre, il ne l'a chargée que parce qu'il était intimidé. On ne lui a d'ailleurs pas laissé l'occasion de se rétracter : « Si l'on m'eût laissé revenir à moi-même, j'aurais infailliblement tout déclaré «

(L. Il, p. 127). Une dernière excuse est invoquée par Rousseau : par ses souffrances et ses remords, il a déjà expié sa faute. Dans cette confession, Jean-Jacques joue les deux rôles : celui du péni­tent qui avoue et celui du prêtre qui accorde le pardon (ou « absout «). La conclusion du passage est évidemment en sa faveur :

Si c'est un crime qui puisse être expié, comme j'ose le croire, il doit l'être par tant de malheurs dont la fin de ma vie est accablée, par quarante ans de droiture et d'honneur dans des occasions difficiles et la pauvre Marion trouve tant de vengeurs en ce monde que, quelque grande qu'ait été mon offense envers elle, je crains peu d'en emporter la coulpe avec moi (L. Il, p. 128).

  La troisième faute de Jean-Jacques est d'avoir abandonné M. Le Maître malade à Lyon. Le narrateur ne s'attarde pas sur ce « troisième aveu pénible « (L. III, p. 177). Il l'explique par le désir de retrouver Mme de Warens et par une certaine

1. Voir note 2, p. 13.

étourderie propre à la jeunesse'. En outre, il se justifie implici­tement de la faute par la difficulté de l'aveu. Faute avouée est donc déjà pardonnée ? C'est là une manière assez personnelle de pratiquer la confession.

 

Le titre de l'ceuvre ne doit donc pas nous induire en erreur : Rousseau n'avoue ses fautes que pour s'en justifier.

rousseau

« C'est justement ce Jean-Jacques devenu vieux qui raconte l'histoire de sa vie.

Ce narrateur est le même homme que l'enfant ou le jeune homme qui apparaît dans les premiers livres.

Il pos­ sède cependant la supériorité de l'expérience, qui l'aide par exemple à formuler des bilans : « Peu d'hommes ont autant gémi que moi, peu ont autant versé de pleurs>> (L.

Ill, p.

147).

Le nar­ rateur est en somme Jean-Jacques qui a vécu l'ensemble de sa vie -alors que le héros des premiers livres, encore jeune, ignore ce que l'avenir lui réserve.

L'auteur, enfin, est celui qui compose et signe le livre.

Un coup d'œil sur la couverture nous rappelle son nom: Jean-Jacques Rousseau.

Héros, narrateur et auteur sont ici la même personne.

3.

Un dernier trait de l'autobiographie concerne l'accent mis par l'auteur sur tel ou tel aspect de sa vie.

Il peut insister sur le rôle qu'il a joué dans certaines circonstances historiques, ou sur les événements dont il a été témoin.

C'est ce que firent suc­ cessivement le cardinal de Retz (au XVIIe siècle).

le duc de Saint­ Simon (au XVIIIe siècle).

Chateaubriand (au XIX" siècle) ou le géné­ ral de Gaulle (au xxe siècle).

Leurs œuvres portent le nom de Mémoires 1 • On ne parle d'autobiographie que lorsque celui qui écrit réflé­ chit sur sa personnalité plus que sur son action publique.

Le pro­ jet de Rousseau est d'ordre privé.

C'est lui qu'il veut peindre.

Il ne prétend pas apporter de témoignage sur /'époque à laquelle il a vécu.

Les Confessions possèdent ainsi tous les critères qui définis­ sent l'autobiographie.

La singularité du projet Rousseau nous avertit dès l'entrée qu'il« forme une entre­ prise qui n'eut jamais d'exemple et dont 1 'exécution n'aura point d'imitateur» (L.

1, p.

33).

Son projet n'était nullement de fonder un genre littéraire dont il deviendrait un« classique».

Il était plus audacieux et plus original.

Cette singularité tient à deux traits essentiels : la volonté d'être sincère et le désir de montrer à travers soi ce qu'est un être humain.

1.

Seul Chateaubriand fit preuve d'originalité en choisissant pour titre Mémoires d'outre-tombe.

26. »

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