L'aveu direct de Phèdre (Acte Il, SC. 5, V. 670-698) - Commentaire
Publié le 30/07/2014
Extrait du document
L'aveu direct de Phèdre
(Acte Il, SC. 5, V. 670-698)
(SITUATION)
On se souvient par quel cheminement Phèdre a enfreint le silence
qu'elle s'était imposé sur sa passion : harcelée par OEnone, elle lui
a consenti une première confession (TEXTE 2). L'annonce de la
mort de Thésée est venue lever l'interdit de la fidélité conjugale.
Phèdre est alors mise en présence d'Hippolyte ; fragilisée dans ses
défenses intérieures, elle n'a pu se dominer, elle a glissé dans un
aveu involontaire et voilé (TEXTE 4).
À ce moment, rien n'est encore joué ni perdu, une situation
d'ambiguïté peut s'installer, puisque Hippolyte veut bien ne pas avoir
perçu le sens profond de ce message amoureux du Labyrinthe :
Madame pardonnez . .J'avoue en rougissant
Que j'accusais à tort un discours innocent.
(Y. 667-668)
Assurée de la discrétion d'Hippolyte, qui est offusqué mais incertain,
Phèdre pouvait encore laisser subsister le doute. La voici au
contraire qui se laisse emporter dans un aveu total.
(TEXTE)
PHÈDRE
670 Ah ! cruel, tu m'as trop entendue.
Je t'en ai dit assez pour te tirer d'erreur.
Hé bien ! connais donc Phèdre et toute sa fureur .
.J'aime. Ne pense pas qu'au moment que je t'aime,
Innocente à mes yeux, je m'approuve moi-même;
675 Ni que du fol amour qui trouble ma raison
Ma lâche complaisance ait nourri le poison.
Objet infortuné des vengeances célestes,
Je m'abhorre encor plus que tu ne me détestes.
Les Dieux m'en sont témoins, ces Dieux qui dans mon flanc
680 Ont allumé le feu fatal à tout mon sang ;
Ces Dieux qui se sont fait une gloire cruelle
De séduire le coeur d'une faible mortelle.
Toi-même en ton esprit rappelle le passé.
C'est peu de t'avoir fui, cruel, je t'ai chassé.
685 J'ai voulu te paraître odieuse, inhumaine;
Pour mieux te résister, j'ai recherché ta haine.
De quoi m'ont profité mes inutiles soins?
Tu me haïssais plus, je ne t'aimais pas moins.
Tes malheurs te prêtaient encor de nouveaux charmes.
690 J'ai langui, j'ai séché, dans les feux, dans les larmes.
Il suffit de tes yeux pour t'en persuader,
Si tes yeux un moment pouvaient me regarder.
Que disje ? Cet aveu que je te viens de faire,
Cet aveu si honteux, le crois-tu volontaire ?
695 Tremblante pour un fils que je n'osais trahir,
Je te venais prier de ne le point haïr.
Faibles projets d'un coeur trop plein de ce qu'il aime !
Hélas! je ne t'ai pu parler que de toi-même.
Phède de RACINE
«
Objet infortuné des vengeances célestes,
Je m'abhorre encor plus que tu ne me détestes.
Les Dieux m'en sont témoins, ces Dieux qui dans mon flanc
680 Ont allumé le feu fatal à tout mon sang ;
Ces Dieux qui se sont fait une gloire cruelle
De séduire le cœur d'une faible mortelle.
Toi-même en ton esprit rappelle le passé.
C'est peu de t'avoir fui, cruel, je t'ai chassé.
685 J'ai voulu te paraître odieuse, inhumaine;
Pour mieux te résister, j'ai recherché ta haine.
De quoi m'ont profité mes inutiles soins?
Tu me haïssais plus, je ne t'aimais pas moins.
Tes malheurs te prêtaient encor de nouveaux charmes.
690 J'ai langui, j'ai séché, dans les feux, dans les larmes.
Il suffit de tes yeux pour t'en persuader,
Si tes yeux un moment pouvaient me regarder.
Que disje ? Cet aveu que je te viens de faire,
Cet aveu si honteux, le crois-tu volontaire ?
695 Tremblante pour un fils que je n'osais trahir,
Je te venais prier de ne le point haïr.
Faibles
projets d'un cœur trop plein de ce qu'il aime !
Hélas! je ne t'ai pu parler que de toi-même.
(THÈMES DE COMMENTAIRE)
L'enjeu du texte
Phèdre ne supporte pas de laisser Hippolyte dans le doute, elle
choisit d'expliciter l'aveu voilé, d'éclairer sa passion de la lumière
la plus crue.
On peut supposer ses motifs : sortir d'une contrainte
de silence qui lui pèse lourdement depuis si longtemps, se déchar
ger enfin du poids du secret, conjurer la déception de l'éloigne
ment, Hippolyte stupéfait ayant voulu se retirer.
On perçoit à l'issue de cette tirade que la clarté de l'aveu crée une
situation irrémédiable ; plus de retour en arrière possible, les per
sonnages sont engagés sur la voie d'un destin contre lequel ils ne
pourront plus réagir.
On examinera donc les diverses phases de
cette élucidation..
»
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