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Le bonheur bourgeois des Grégoire - Deuxième partie, chapitre I - Germinal de Zola

Publié le 17/01/2022

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Du reste, les bonheurs pleuvaient sur cette maison. M. Grégoire, très jeune, avait épousé la fille d'un pharmacien de Marchiennes, une demoiselle laide, sans un sou, qu'il adorait et qui lui avait tout rendu, en félicité. Elle s'était enfermée dans son ménage, extasiée devant son mari, n'ayant d'autre volonté que la sienne ; jamais des goûts différents ne les séparaient, un même idéal de bien-être confondait leurs désirs ; et ils vivaient ainsi depuis quarante ans, de tendresse et de petits soins réciproques. C'était une existence réglée, les quarante mille francs mangés sans bruit, les économies dépensées pour Cécile, dont la naissance tardive avait un instant bouleversé le budget. Aujourd'hui encore, ils contentaient chacun de ses caprices : un second cheval, deux autres voitures, des toilettes venues de Paris. Mais ils goûtaient là une joie de plus, ils ne trouvaient rien de trop beau pour leur fille, avec une telle horreur personnelle de l'étalage, qu'ils avaient gardé les modes de leur jeunesse. Toute dépense qui ne profitait pas leur semblait stupide.

La première partie de Germinal occupe une journée d'une douzaine d'heures (de 3 h du matin à 15 h 30); la deuxième partie, légèrement décalée, occupe à peu près le même laps de temps, soit une quinzaine d'heures (de 6 h du matin à 21 h).  Ces deux parties se réfèrent à la même journée (un lundi de mars 1866), ce qui montre à quel point, tout en étant distinctes, elles sont solidaires, voire indissociables.  Tout entière centrée sur l'activité professionnelle des mineurs, la première partie s'achève sur la décision, prise par Etienne, de partager les souffrances et les luttes de ces derniers.  La deuxième partie complète cette exposition en intégrant la vie des mineurs dans l'environnement social : leurs conditions de vie s'opposent totalement à celles des bourgeois et de leurs familles, des Grégoire, des Deneulin et des Hennebeau.

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« cependant, cette entorse faite au principe domestique d'économie a renforcé le bonheur du couple ; dépenser, pourleur fille, l'argent qu'ils se refusent à eux-mêmes, leur procure « une joie de plus ».

Octroyant ainsi à Cécile lasatisfaction de « chacun de ses caprices », les Grégoire peuvent, sans déroger à leurs principes, s'offrir l'exceptionqui confirme la règle, obtenir une sorte d'assurance narcissique de leur générosité, aussi bien que de leur amour.Rien, en effet, n'est « trop beau pour leur fille », alors qu'eux, à l'inverse, restent fidèles aux « modes de leurjeunesse ».

Ce luxe exceptionnel, consenti en faveur de Cécile, est la consécration même de leur réussite, à la foisfinancière, conjugale et familiale. Le bonheur d'un couple exemplaireLe bonheur des Grégoire nous est présenté dans des termes hyperboliques : un pluriel intensif (« les bonheurs »)indique les manifestations successives, nombreuses et variées, du bonheur ; il se renforce encore de la métaphoreaugmentative (« pleuvaient »), qui met l'accent sur l'appréciation (quantitative) d'une possession cumulative.Mais la quantité se convertit en une qualité inégalable : la somme des « bonheurs » équivaut à la «félicité »,bonheur complet et permanent, ce que confirme la stabilité inébranlable de leur existence quotidienne : « et ilsvivaient ainsi depuis quarante ans, de tendresse et de petits soins réciproques.

» A l'origine de cette félicité, il y ala tendresse, c'est-à-dire l'amour désintéressé : M.

Grégoire épouse une jeune fille dépourvue d'attraits extérieurs, «une demoiselle laide, sans un sou » que, pourtant, « il adorait et qui lui avait tout rendu, en félicité ».Dans cet univers du tout ou rien, la réciprocité qui unit le donateur et le donataire est parfaite.

M.

Grégoire donneson adoration à cette femme qui, ne possédant rien, lui donnera « tout » en échange : la «félicité ».

Dans ce couplesi harmonieusement assorti, les deux partenaires ne constituent qu'un seul être.

Le repli du couple sur lui-même («elle s' était enfermée dans son ménage »), la fusion de deux volontés en une seule (elle n'a « d'autre volonté que lasienne »), celle du mari, I 'identité des goûts (« jamais des goûts différents »), tout suggère l'indivisibilité d'uneseule et même unité.L'univers des Grégoire est celui de la communion mystique dans une même foi : Mme Grégoire voue à son mari unvéritable culte, se montrant « extasiée » devant lui : elle partage encore avec lui « un même idéal de bien-être »,qui, précise le narrateur, « confondait leurs désirs ». CONCLUSION : LA RELIGION DU CAPITALLa religion des Grégoire, comme le narrateur le suggère dans les lignes qui précèdent ce passage, n'est autre que lareligion de la mine, qui les fait vivre de leur rente.

La seule action transmise, de père en fils, aux Grégoire (10 000francs en 1760, soit un denier) a centuplé en un siècle (le denier s'est converti en un million) et, bien que la criseait réduit à 600 000 francs ce million, les Grégoire continuent d'entourer leur mine d'un culte idolâtre car c'est ellequi, « depuis un siècle nourrissait leur famille à ne rien faire ».Le recours au vocabulaire religieux (« adorait », « félicité », « extasiée », « idéal »), dans notre passage, trouve unprolongement dans le contexte, plus significatif encore : le narrateur fait allusion à « une divinité », « une foiobstinée », en affirmant que « Dieu n' était pas si solide ».

Nous avons là un champ lexical de l'idolâtrie, qui révèle ladévotion des Grégoire au dieu Capital ; mais ce profit de la rente, provenant d'un capital qui fructifie, ce n'est paseux qui l'acquièrent : « un peuple de mineurs, des générations d'affamés l'extrayaient pour eux, un peu chaque jour,selon leurs besoins.

» Quelques pages plus loin, Deneulin précisera cyniquement : « l'argent que vous gagnent lesautres est celui dont on engraisse le plus sûrement.

» L'antagonisme du travail et du capital, thème de Germinal, n'a peut-être pas d'effet plus destructeur quel'étranglement de Cécile par Bonnemort (7e partie, chapitre IV).

Cet acte criminel, qui confronte le plus vieil ouvrieret la plus jeune bourgeoise, n'est-il pas la revanche perverse de « cent années de travail et de faim » (7e partie,chapitre IV) sur « un siècle » de prospérité (2e partie, chapitre II) ?Cécile disparue, les Grégoire sont anéantis.

La résignation séculaire des mineurs ne cautionnant plus l'harmoniepréétablie de leur univers, les Grégoire ont perdu toute raison de vivre.

Il était périlleux pour eux de laisser Cécileseule et sans défense dans une maison étrangère, hors de l'enceinte protectrice de la « maison » familiale, quedéserte parfois le dieu lare de la mine.. »

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