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LE DÉSENCHANTEMENT (1830-1837) d'Alfred de Vigny

Publié le 27/06/2011

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vigny

 

La Révolution de 1830 est, pour Vigny, à l'origine d'une crise où périt sa foi politique. En même temps, sa pensée religieuse, toujours à la recherche d'un point d'appui, évolue, malgré quelques oscillations, vers un pessimisme négateur. Son rêve de bonheur sentimental, enfin, s'abîme en une pénible aventure. Déjà éprouvé par les déceptions de sa jeunesse, il cède à un désenchantement universel, dont le Journal des années 1830-1837 nous permet de mesurer la profondeur.

vigny

« bouleversée, qu'il évoque sous l'aspect apocalyptique d'une roue, puis d'une fournaise.

Or, dans la lumière de cettefournaise « veillent des Esprits » qui méditent sur les futures destinées de l'homme.

Une foi ardente les anime :Chacun d'eux pousse un cri d'amour vers une idée.Voici d'abord La Mennais : il « soutient, en pleurant, la Croix dépossédée » ; il supplie le Christ de descendre uneseconde fois sur la terre pour sauver l'Église mourante ; mais ce « nouveau Jérémie » ne parvient pas à se faireentendre.

Voici Benjamin Constant, qui a lutté, pendant quarante ans, pour la Liberté, et qui vient de mourir « auxpieds de sa Déesse ».

Voici les pionniers du socialisme, qui voudraient édifier un temple du travail et de la fraternité,un temple universelOù l'Homme n'offrira ni l'encens, ni le sel, Ni le pain, ni le vin, ni le sang, ni l'hostie, Mais son temps et sa vie enœuvre convertie.Généreuses audaces ! Mais qu'en naîtra-t-il ? Le poète s'abandonne un moment au rêve d'un monde neuf.

Il craint,cependant, que l'incendie révolutionnaire ne détruise tout ; et il songe à l'Ange exterminateur qui, selon l'Écriture,doit rayer un jour de l'univers la cité sans Dieu.

Bref, l'avenir est cruellement indécis ; quant au présent, il est amer:Je ne sais d'assurés, dans le chaos du sort,Que deux points seulement, LA SOUFFRANCE ET LA MORT.La sagesse ne serait-elle pas alors de subir avec stoïcisme les misères de la condition humaine ? « Plus purs encore» que les réformateurs sont les résignés ; « pleins d'amour, de doute et de pitié », ils disent : « Je ne sais » ; et ilsboivent « jusqu'à la lie un calice odieux ».

Il faut renoncer, en tout cas, à l'espoir d'un salut immédiat : « Pourlongtemps le monde est dans la nuit ! »Ce poème si sombre, en dépit des lueurs qui le traversent, justifie bien l'attitude qu'adopte finalement Vigny devantles problèmes politiques, après la crise de 1830, Il s'est détaché des Bourbons de la branche aînée, parce qu'ils sesont eux-mêmes condamnés ; mais rien ne saurait remplacer à ses yeux la monarchie légitime.

Il ne peut approuverla monarchie de Juillet, ni donner une adhésion ferme et durable aux doctrines des novateurs.

Enveloppant dans lemême mépris tous les systèmes, il prétend que « l'ordre social est toujours mauvais » et se borne à concéder qu'ildevient parfois « supportable », ajoutant d'ailleurs que « du mauvais au supportable, la dispute ne vaut pas unegoutte de sang ».

Conservateur par dédain, plutôt que par conviction, il contemple sans passion les luttesidéologiques.

Il souhaite seulement que la servitude du citoyen à l'égard de l'État soit aussi légère que possible : «Le moins mauvais gouvernement est celui qui se montre le moins, que l'on sent le moins et que l'on paye le moinscher.

» II Un désenchantement semblable apparaît lorsque Vigny aborde les problèmes religieux, en dépit d'efforts multipliéspour retrouver des raisons de croire et d'espérer.A la veille de 1830, il avait voulu réagir contre l'esprit de ses premiers poèmes bibliques ; et il songeait à un nouveaurecueil de douze pièces qui recevrait le titre d'Élévations : « J'ai nommé ces poèmes Élévations », méditait-ild'annoncer, « parce que tous doivent partir de la peinture d'une image toute terrestre pour s'élever à des vuesd'une nature plus divine et laisser (autant que je le puis faire) l'âme qui me suivra dans des régions supérieures : laprendre sur terre et la déposer aux pieds de Dieu ».

Si l'on s'en tenait à cette déclaration, on pourrait prêter à Vignyun dessein analogue à celui de Lamartine dans ses Harmonies, qui devaient, selon la préface, « toutes se perdre etse reposer dans la contemplation de Pieu » ; et le poème intitulé Une âme devant Dieu, découvert par Pierre Flottesparmi les inédits de la collection Sangnier, contient, en vérité, des accents d'un mysticisme exalté :Dieu, je te vois ! Comment pénétrer dans ta gloire ?Aujourd'hui je sais tout, je te vois, et j'embrasse L'avenir qui n'est pas, le passé qui n'est plus, Les temps quidoivent naître et les temps révolus.Je puiserai ma force en ta force suprême, J'ose marcher vers toi, j'ose lever les yeux.

Un seul de tes regards merévèle à moi-même : Je m'étais échappé de ton sein radieux.Mais cet enthousiasme sacré dure peu.

Sans doute Vigny garde-t-il le besoin de croire en l'existence de Dieu et enl'immortalité de l'âme : « J'ai en moi ces deux désirs », note-t-il en 1830.

Seulement, le désir ne suffit pas pournourrir la foi ; et sous le même mot Élévation, on lit encore, dans le Journal de la même année, cette ligneétonnante ; « Colère.

— Dieu.

Sais-je ce que vous êtes, et si vous existez ? » Et les deux élévations qui viendrontenrichir, dans l'édition de 1837, le recueil de ses Poèmes antiques et modernes, peuvent compter parmi les poèmesles plus désabusés qu'il ait écrits : l'un est Paris ; l'autre, Les Amants de Montmorency, rapporte l'authentiqueaventure de deux jeunes gens qui se sont tués dans une auberge de la banlieue parisienne sans qu'un scrupulereligieux ait troublé leur résolution tragique :Et Dieu ? — Tel est le siècle, ils n'y pensèrent pas.Vigny pense ainsi que ces désespérés ont subi la fatalité de leur époque : ils sont des « enfants du siècle ».

Sonétat d'esprit ressemble d'ailleurs un peu à celui de Musset, qui contera le suicide de Rolla ; il est en quête d'unecertitude ; mais il ne peut triompher des obstacles que sa réflexion dresse sur son chemin.Vigny demeure donc hanté par l'idée du Malheur ou du Mal.

Il médite de plus en plus douloureusement sur la misèrede la condition humaine.

Une image revient sans cesse sous sa plume, celle d'un cachot, où les créatures sontenfermées, pour un crime qu'elles ignorent, en attendant de mourir.

Parmi ces prisonniers, il y en a « qui ne cessentde se quereller pour savoir l'histoire de leur procès, et il y en a qui en inventent les pièces ; d'autres qui racontentce qu'ils deviennent après la prison, sans le savoir.

Ne sont-ils pas fous ? » La théologie ne saurait offrir, en effet,que des « vanités désolantes ».Il appartient donc à l'homme, et à l'homme seul, de faire face à ce sombre destin.

Vigny, à cet égard, oscille entre. »

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