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Le Jardinier et son Seigneur, de La Fontaine

Publié le 15/02/2011

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fontaine

Un amateur de jardinage, Demi-Bourgeois, demi-Manant, Possédait en certain village Un jardin assez propre, et le clos attenant. Il avait de plant vif fermé cette étendue. Là croissait à plaisir l'oseille et la laitue, De quoi faire à Margot pour sa fête un bouquet, Peu de jasmin d'Espagne , et force serpolet. Cette félicité par un Lièvre troublée Fit qu'au Seigneur du bourg notre homme se plaignit: Ce maudit animal vient prendre sa goulée Soir et matin, dit-il, et des pièges se rit. Les pierres, les bâtons y perdent leur crédit. Il est sorcier, je crois. Sorcier, je l'en défie, Repartit le Seigneur. Fut-il diable, Miraut En dépit de ses tours, l'attrapera bientôt. Je vous en déferai, bon homme, sur ma vie. Et quand ? Et dès demain, sans tarder plus longtemps. La partie ainsi faite, il vient avec ses gens. Ca, déjeunons, dit-il, vos poulets sont-ils tendres ? La fille du logis, qu'on vous voie, approchez. Quand la marierons-nous ? quand aurons-nous des gendres ? Bon homme, c'est ce coup qu'il faut, vous m'entendez, Qu'il faut fouiller à l'escarcelle. Disant ces mots, il fait connaissance avec elle, Auprès de lui la fait asseoir, Prend une main, un bras, lève un coin du mouchoir ; Toutes sottises dont la Belle Se défend avec grand respect ; Tant qu'au père à la fin cela devient suspect. Cependant on fricasse, on se rue en cuisine : De quand sont vos jambons ? ils ont fort bonne mine. Monsieur, ils sont à vous. Vraiment, dit le Seigneur, Je les reçois, et de bon coeur. Il déjeune très bien ; aussi fait sa famille, Chiens, chevaux et valets, tous gens bien endentés : Il commande chez l'Hôte, y prend des libertés, Boit son vin, caresse sa fille. L'embarras des Chasseurs succède au déjeuné. Chacun s'anime et se prépare : Les trompes et les cors font un tel tintamarre Que le bon homme est étonné. Le pis fut que l'on mit en piteux équipage Le pauvre potager : adieu planches, carreaux ; Adieu chicorée et poreaux; Adieu de quoi mettre au potage. Le lièvre était gîté dessous un maître chou, On le quête, on le lance : il s'enfuit par un trou, Non pas trou, mais trouée, horrible et large plaie Que l'on fit à la pauvre haie Par ordre du Seigneur ; car il eût été mal Qu'on n'eût pu du jardin sortir tout à cheval. Le bon homme disait : Ce sont là jeux de Prince. Mais on le laissait dire ; et les chiens et les gens Firent plus de dégât en une heure de temps Que n'en auraient fait en cent ans Tous les lièvres de la province. Petits Princes, vuidez vos débats entre vous. De recourir aux Rois vous seriez de grands fous. Il ne les faut jamais engager dans vos guerres, Ni les faire entrer sur vos terres.

Commentaire.    Les sources :    Ce récit semble basé sur l'observation directe et, par l'interprétation personnelle que le poète donne aux faits, ceux-ci paraissent s'inscrire dans la réalité; l'enchaînement d'épisodes pris sur le vif donne à l'ensemble un caractère d'authenticité.    L'impression d'ensemble :    Il s'agit d'un fait divers en apparence de minime importance, dont le cadre est un village de France, et susceptible de défrayer une chronique de clocher. La Fontaine, avec un art très sûr, révèle le sens intime de cet épisode superficiellement insignifiant, et l'élève à la hauteur de la tragi-comédie et du drame. Il se montre peintre de caractères qui vivent, réagissent, évoluent. Par cette mobilité constante, il nous emporte dans l'élan même de la vie. La bonhomie dédaigneuse du Seigneur devient du cynisme, et la confiance ingénue du paysan fait place à la révolte et à la haine. 

fontaine

« Les sources : Ce récit semble basé sur l'observation directe et, par l'interprétation personnelle que le poète donne aux faits, ceux-ci paraissent s'inscrire dans la réalité; l'enchaînement d'épisodes pris sur le vif donne à l'ensemble un caractèred'authenticité. L'impression d'ensemble : Il s'agit d'un fait divers en apparence de minime importance, dont le cadre est un village de France, et susceptiblede défrayer une chronique de clocher.

La Fontaine, avec un art très sûr, révèle le sens intime de cet épisodesuperficiellement insignifiant, et l'élève à la hauteur de la tragi-comédie et du drame.

Il se montre peintre decaractères qui vivent, réagissent, évoluent.

Par cette mobilité constante, il nous emporte dans l'élan même de lavie.

La bonhomie dédaigneuse du Seigneur devient du cynisme, et la confiance ingénue du paysan fait place à larévolte et à la haine.

Le triomphe de la puissance conférée par la hiérarchie sociale, et qui s'allie à la mauvaise foi,met en lumière la portée morale du texte; le dualisme s'accusera entre l'exploiteur et l'exploité, et peut-être celui-ciaiguisera-t-il secrètement ses armes.

Cependant, La Fontaine allège le réalisme amer de ce drame de l'injustice parles épisodes d'un récit qui vivifie toute notion abstraite et qui s'abstient de toute lourdeur prédicante. La composition : Elle est remarquable par la structure serrée et la rapidité d'un récit qui ne laisse place à aucune stagnation entre laprésentation du personnage, sa conversation avec le Seigneur, le repas et la chasse, parce que l'intérêt y estconstamment soutenu. Explication littérale : Un amateur de jardinage, Demi-bourgeois, demi-manant, Possédait en certain village Un jardin assez propre, et leclos attenant.

Il avait de plan vif fermé cette étendue» Là croissait à plaisir l'oseille et la laitue, De quoi faire àMargot pour sa fête un bouquet, Peu de jasmin d'Espagne, et force serpolet.

La Fontaine, lui-même errant et bohème, se plaît à faire ressortir le caractère respectable de ce bonheur simple dejardinier et de petit propriétaire, et tout ce qui s'attache de douceur de vivre à un modeste domaine de France,cultivé et arrondi.

Il insiste sur le caractère pimpant de ce jardin, embelli avec ingéniosité et amour; il nous montrela beauté rustique des légumes bien en chair, et celle des fleurs simples, qui sont des témoignages d'affection auxfêtes familiales, qu'elles rehaussent modeste parure.

Le pittoresque est sobre, sa fin est toute psychologique.

LaFontaine.

dans la complexité du réel, émonde, choisit et suggère plus qu'il ne peint.

Les vers se déploient avec unegrâce paisible. Cette félicité par un lièvre troublée Fit qu'au Seigneur du bourg notre homme se plaignit. « Ce maudit animal vient prendre sa goulée Soir et matin, dit-il, et des, pièges se rit; Les pierres, les bâtons yperdent leur créait : II est sorcier, je crois — Sorcier? Je l'en défie, Répartir le Seigneur : fut-il diable, Miraut, En dépit de ses tours l'attrapera bientôt.

Je vous en déferai, bon homme,sur ma vie.

— Et quand? — Et dès demain, sans tarder plus longtemps.

» Le mot « félicité » insiste sur l'impression de quiétude heureuse, et d'aise parfaite.

D'autre part, la situation dupaysan, empiétant sur deux classes, constitue une sorte de compromis social : demi-bourgeois, il se sent assez prèsdu Seigneur pour oser solliciter son avis; d'autre part, à l'égard du demi-manant, le Seigneur manifeste une morguequi accusera les distances; il lui fera payer cher un service dont il sera le seul bénéficiaire.

La Fontaine, avec unesympathie attendrie, se plaît à nous montrer le lièvre mettant l'homme en échec, et poursuivant si paisiblement sonentreprise de vandalisme; l'accent du discours à Madame de la Sablière imprègne ce récit, où par une espèce detransposition en majeur l'animal, par sa fuite espiègle, déjoue les pièges que flaire son instinct infaillible.

De plus, LaFontaine suggère l'accent du terroir, le débit sans aisance, les intonations un peu traînantes du paysan, en mêmetemps qu'il reproduit les termes concrets du langage populaire : « pierres » « bâtons », et les tournures quasi-proverbiales. Chez le Seigneur, la lourdeur ironique et insolente du ton s'accusent par la répétition du terme « sorcier », où ilsouligne la naïveté du paysan qui prête au lièvre un pouvoir maléfique.

Il insiste sur ce que le bouleversement deJacques Bonhomme lui paraît comporter de méprisable sottise.

En proposant un remède, il songe à l'invitation quecelui-ci implique, et à la prise de possession d'un domaine dans lequel il s'installera de plein droit.

De là,l'empressement significatif qui situe la date de la chasse dans l'avenir le plus proche.. »

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