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le jeu de feuille

Publié le 10/12/2012

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Claire LAVENANT MAISTRE PIERRE PATHELIN, ENTRE ORDRE ET DÉSORDRE. INTRODUCTION Contrairement à d'autres pays d'Europe, le théâtre apparaît tardivement en France. La théâtralité française naît au Moyen Âge mais se trouve d'abord subordonnée à l'Église. En effet, dès le IXe siècle, les clercs jouent des drames liturgiques dans les églises afin de faire revivre au peuple des scènes marquantes de la Bible. À partir du milieu du XIe siècle les représentations se font en plein air, sur le parvis des cathédrales. Le théâtre au Moyen Âge a donc un rôle au sein de la société, il rassemble le peuple autour de valeurs communes. Néanmoins, les spectacles religieux sont souvent longs et tendent à ennuyer le public. C'est pourquoi des jongleurs intègrent au spectacle des petites pièces comiques. Ces pièces vont avoir un succès de plus en plus grand au point de devenir indépendantes et de s'affranchir complètement du sérieux du spectacle religieux. Un théâtre profane se développe alors en marge du théâtre religieux si bien qu'à Arras, au XIIIe siècle, apparaît un véritable théâtre du rire dont l'un des premiers textes est Le Jeu de la feuillée d'Adam de la Halle qui rompt radicalement avec les textes sacrés. Ce théâtre se présente d'abord sous les formes rudimentaires que sont les cris, les monologues et les moralités puis s'oriente vite vers des formes plus complexes telles que les sermons joyeux, les sotties et les farces. C'est donc tout un univers qui se crée en marge de la sphère officielle et qui trouve son épanouissement entre Noël et Mardi Gras, c'est-à-dire pendant la Fête des fous. Durant cette période, le monde médiéval est vu et vécu à l'envers dans une atmosphère joyeuse et festive. Le désordre s'installe dans les rues et les différents genres dramatiques profanes trouvent un cadre tout à fait approprié à leur expression. La farce, pièce bouffonne qui s'articule autour du schéma d'un bon tour joué à une dupe, se développe largement dans cet univers. Nous avons conservé plus d'une centaine de farces mais le chef d'oeuvre du genre est indéniablement Maistre Pierre Pathelin créée au XVe siècle. Dans cette farce d'une incroyable richesse et d'une grande complexité, le désordre se manifeste à différents niveaux si bien que cette pièce peut être lue à la manière d'un palimpseste. Chaque désordre apparent cache un désordre plus profond, ce qui donne à la pièce de larges perspectives. Nous pouvons donc nous demander comment le désordre se manifeste dans la pièce. Peuton parler d'une poétique du désordre dans Maistre Pierre Pathelin ? Si oui, cela ne révèle-t-il pas un paradoxe ? L'écriture, en se faisant le vecteur même du désordre, n'est-elle pas le signe d'un nouvel ordre ? Cette tension entre l'ordre et le désordre va servir de moteur à notre étude qui consistera d'abord à s'interroger sur la mise en scène du désordre sur les plans générique et formel, puis sur le registre comique qui peut être considéré comme le registre du désordre, pour enfin nous arrêter sur l'écriture du texte qui nous dévoile un désordre qui s'inscrit au coeur même du langage. LE DÉSORDRE GÉNÉRIQUE ET FORMEL Le théâtre profane ou l'expression du désordre Il est d'abord intéressant de constater à quel point le théâtre en général et la farce en particulier se prêtent à l'expression du désordre au Moyen Âge. En effet, le théâtre profane se joue essentiellement pendant la période de la Fête des fous qui est comme l'expression de la quintessence du désordre. « Le monde qu'établissent les fous [...] fonctionne à partir Camenae n° - juin 2010. du principe d'un code du contraire « écrit Thierry Boucquey1. Nous sommes donc face à un univers renversé dans lequel on porte ses vêtements à l'envers, on chante à tue-tête, on fait du bruit... Tous les excès sont permis et la folie y règne en maître. Afin d'illustrer cet univers très éloigné du notre, Thierry Boucquey s'appuie sur la gravure de Bruegel l'Ancien intitulée La Fête des fous. Au centre de cette gravure, on peut voir un fou qui fait le poirier. Ce personnage placé la tête à l'envers donne le ton du tableau et nous informe sur l'atmosphère saugrenue qui régnait pendant la Fête. Dans ce monde renversé, un principe domine : l'inversion des hiérarchies sociales. On peut alors parler de désordre de façon littérale puisqu'au Moyen Âge, les ordres qualifiaient avant tout les ordres sociaux. Ceux-ci sont complètement bouleversés pendant la Fête. Maistre Pierre Pathelin rend compte de ce désordre. En effet, Guillaume le drapier, représentant d'une certaine bourgeoisie, se fait duper par Pathelin, avocat sans le sou, qui est lui-même trompé par un modeste berger, grand vainqueur de la farce. Le monde des fous renverse tout et semble être le monde du désordre par excellence. Cependant, on peut voir dans ces manifestations une certaine forme d'ordre même si cet ordre est celui des fous. Par exemple, pendant les festivités, on mange de la nourriture de couleur noire ou foncée. Ce détail est lourd de significations et de symboliques. La couleur noire s'oppose à la blancheur qui caractérise tout ce qui à rapport au sacré. Il existe en effet toute une codification du désordre pendant la Fête qui est organisée et encadrée par le clergé, codification que nous retrouvons dans Maistre Pierre Pathelin. C'est d'ailleurs Guillaume, le personnage le plus ancré dans la réalité rationnelle et matérielle, qui est le grand perdant de la farce. À l'endroit dans un monde à l'envers, il est perdu. Le théâtre profane est donc un genre qui se prête particulièrement bien à l'expression du désordre au Moyen Âge surtout à travers la farce. Le genre farcesque entre ordre et désordre Effectivement, la farce peut apparaître comme le genre du désordre par excellence. Elle est le genre du renversement, de l' « à l'envers «. Il s'agit de faire le contraire de ce qu'impose l'Église. Par exemple, le Décalogue dit « Tu ne voleras pas « or Pathelin vole un drap et n'est pas réellement puni de son larcin. Tout se passe comme si la farce prenait systématiquement le contre-pied des enseignements de l'Église. Notons qu'il ne s'agit en aucun cas d'une audace subversive mais plutôt d'un amusement qui a pour principe le renversement. De la même façon, la folie l'emporte sur la raison tout au long de la farce. L'exemple le plus frappant en est le « bée « de Thibault Aignelet qui triomphe de tous les discours. Le désordre semble donc déterminer le ton de la farce mais, une fois de plus, on peut se demander s'il ne s'agit pas plut&oc...

« Camenae n° –juin 2010. 2 du principe d’un code du con traire » écrit Thierry Boucquey 1.

Nous sommes donc face à un univers renversé dans lequel on porte ses vêtements à l’envers, on chante à tue -tête, on fait du bruit… Tous les excès sont permis et la folie y règne en maître.

Afin d’illustrer cet univers très éloigné du notre, Thierry Boucquey s’appuie sur la gravure de Bruegel l’Ancien intitulée La Fête des fous .

Au centre de cette gravure, on peut voir un fou qui fait le poirier. Ce personnage placé la tête à l’envers donne le ton du tableau et nous informe sur l’atmosphère saugrenue qui régnait pendant la Fête.

Dans ce monde renversé, un principe domine : l’inversion des hiérarchies sociales.

On peut alors parler de désordre de façon littérale puisqu’au Moyen Âge, les ordres qualifiaient avant tout les ordre s sociaux.

Ceux -ci sont complètement bouleversés pendant la Fête. Maistre Pierre Pathelin rend compte de ce désordre.

En effet, Guillaume le drapier, représentant d’une certaine bourgeoisie, se fait duper par Pathelin, avocat sans le sou, qui est lui -même trompé par un modeste berger, grand vainqueur de la farce.

Le monde des fous renverse tout et semble être le monde du désordre par excellence.

Cependant, on peut voir dans ces manifestations une certaine forme d’ordre même si cet ordre est celui des fous. Par exemple, pendant les festivités, on mange de la nourriture de couleur noire ou foncée.

Ce détail est lourd de significations et de symboliques.

La couleur noire s’oppose à la blancheur qui caractérise tout ce qui à rapport au sacré.

Il existe en effet toute une codification du désordre pendant la Fête qui est organisée et encadrée par le clergé, codification que nous retrouvons d ans Maistre Pierre Pathelin .

C’est d’ailleurs Guillaume, le personnage le plus ancré dans la réalité rationnelle et matérielle , qui est le grand perdant de la farce.

À l’endroit dans un monde à l’envers, il est perdu.

Le théâtre profane est donc un genre qui se prête particulièrement bien à l’expression du désordre au Moyen Âge surtout à travers la farce. Le genre farcesque en tre ordre et désordre Effectivement, la farce peut apparaître comme le genre du désordre par excellence.

Elle est le genre du renversement, de l’ «à l’envers ».

Il s’agit de faire le contraire de ce qu’impose l’Église.

Par exemple, le Décalogue dit « Tu ne voleras pas » or Pathelin vole un drap et n’est pas réellement puni de son larcin.

Tout se passe comme si la farce prenait systématiquement le contre -pied des enseignements de l’Église.

Notons qu’il ne s’agit en aucun cas d’une audace subversive mais pl utôt d’un amusement qui a pour principe le renversement.

De la même façon, la folie l’emporte sur la raison tout au long de la farce. L’exemple le plus frappant en est le « bée » de Thibault Aignelet qui triomphe de tous les discours.

Le désordre semble d onc déterminer le ton de la farce mais, une fois de plus, on peut se demander s’il ne s’agit pas plutôt d’un ordre nouveau à savoir le code des fous qui assied une certaine autorité.

La farce, derrière un désordre de surface cache une structure complexe qu i peut relever de l’ordre comme du désordre et, parfois, mettre les deux concepts en tension.

En effet, Bernadette Rey -Flaud, dans son ouvrage La F arce ou la machine à rire 2, compare la structure de la farce à celle d’une phrase dont le centre, le verbe, serait la tromperie.

Il s’agit, dans Maistre Pierre Pathelin , de ce que Bernard Faivre appelle un «affrontement inavoué 3»ce qui peut être vu comme un désordre puisqu’il passe par la promesse non tenue (Pathelin promet à Guillaume de l’argent pour le drap ainsi qu’ un bon repas) et par l’affirmation mensongère (Guillemette affirme à Guillaume que Pathelin est malade).

Mais ce désordre demande une véritable stratégie pour exister.

Paradoxalement c’est l’ordre qui crée le désordre et inversement puisque la st ructure rigoureuse de la farce 1T.

Boucquey ,Mirages de la farce : fête des fous, Bruegel, Molière , Amsterdam/Philadelphia ,Joh n Benjamins Publishing Company , 1991, p.8. 2B.

Rey -Flaud ,La F arce ou la machine à rire ,Genève, Droz, 1984. 3B.

Faivre ,Répertoire des farces françaises des origines à Tabarin ,Paris, L’imprimerie nationale ,1993.. »

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