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« Le Misanthrope » (1666) et Molière

Publié le 02/03/2020

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UN HOMME À ABATTRE

Durant les années suivantes (1664-1666), le combat s’intensifie, les positions se raidissent. En 1664, Tartuffe qui dénonce l’hypocrisie religieuse met le feu aux poudres. De bonne ou de mauvaise foi, les esprits pieux lui font un procès d’intention, en le soupçonnant d’attaquer, par ce biais, la véritable religion.

C’est le déchaînement de la haine et de l’intolérance. On va jusqu'à souhaiter sa mort, comme le curé Pierre Roulle qui, dans Le Roi glorieux au monde, ou Louis XIV le plus glorieux de tous les rois du monde (1664), note: «Il (Molière) méritait par cet attentat sacrilège et impie un dernier supplice exemplaire et public et le feu même avant-coureur de celui de l’enfer, pour expier un crime si grief1 de lèse-majesté divine, qui va ruiner la religion catholique, en blâmant et jouant sa plus religieuse et sainte pratique, qui est la conduite et direction des âmes et des familles par de sages guides et conducteurs pieux. »

Les accusateurs eurent finalement le dernier mot : la pièce fut interdite aussitôt après la première représentation, et cette interdiction ne fut levée qu’en 1669. Louis XIV, le protecteur de Molière, n’avait pas pu ou n'avait pas voulu défendre son protégé. Cet abandon n’est-il pas d’ailleurs un témoignage des rapports contrastés qui lièrent les deux hommes ? Certes Molière était utile au roi, en s’attaquant aux usurpateurs de pouvoir : mais le monarque, tout au moins à cette époque, devait encore tenir compte de la puissance toujours redoutable des groupes de pression.

Certes, il commence à écrire, mais ce n'est qu’accessoi-rement ; et il ne s'agit pas de compositions très élaborées : La Jalousie du Barbouillé ou Le Médecin volant ne sont en réalité que des canevas ténus, reprises de la tradition populaire italienne de la commedia dell'arte. Exploitant le comique facile des gestes et des mimiques, ce ne sont là que de rapides diversions : ces petites pièces, selon l'usage de l’époque, avaient pour but de faire patienter le public avant le début du spectacle tragique ou de rompre la tension de la représentation en l’achevant sur l’éclat franc et tonifiant du rire. L'Etourdi et Le Dépit amoureux sont déjà des œuvres d'une plus haute tenue, mais elles sont fortement inspirées d’auteurs italiens.

Cette situation se maintiendra non seulement durant toute cette période d’apprentissage, mais persistera encore après l'installation de Molière à Paris en 1658. Une sorte de malentendu s'instaure entre le public et le comédien. Sa sensibilité tragique est méconnue : lorsqu’il joue pour la première fois à la cour le 24 octobre 1658, c’est Le Docteur amoureux, au comique sans nuances, qui obtient le succès ; ce sont les sources vives du rire, au détriment des tragédies, qui séduisent le public parisien ; lorsqu’on 1661, il donne son Dom Garde de Navarre, essai dans le genre héroïque proche de la tragi-comédie, il connaît un échec mémorable.

Bref, Molière est considéré comme le continuateur des « farceurs », ces interprètes des farces, comédies qui provoquent le gros rire à coups d'effets peu nuancés, ce qui attire sur lui des appréciations variées, au gré des motivations de ses juges : c’est un amuseur de talent pour le roi et la cour dont il devient le fournisseur attitré des divertissements ; c’est un rival redoutable et bientôt détesté pour ses confrères qui constatent avec amertume la montée de son succès ; c'est un grotesque, dont le refus des règles de l’écriture et les atteintes aux bienséances, dues à son désir de rendre compte de la réalité de la vie, sont condamnés par les érudits.

« Ce sont ces ambiguïtés, ces contradictions qui expli­ quent peut-être pourquoi Molière abandonnera rapide­ ment ce sommet atteint durant ces deux ans, avec Tartuffe (1664), Dom Juan (créé le 15 février 1665) et Le Misanthrope (1666).

L'ascension qui l'aura conduitjusque­ là avait été rude et longue ; la descente sera beaucoup plus rapide.

Le triomphe de la comédie «politique» aurait pu être irrésistible : les circonstances le rendirent éphémère.

Ainsi en va-t-il de la vie culturelle profondément dépen­ dante de tout un environnement historique.

COMIQUE RECONNU ET TRAGÉDIEN CONTRARIÉ Avant d'en venir à ce stade de son inspiration, Molière a connu une évolution sensible.

Entre ses débuts et ces années 1664-1666, l'image qu'il offre au public s'est considérablement modifiée.

Voilà plus de vingt ans qu'il a noué ses premiers liens avec l'univers du théâtre.

Ce bourgeois, décidé à échapper au monde du commerce dont font partie ses parents, expérimente d'abord le métier d'acteur, avant de se lancer dans la grande aventure de l'écriture.

Après une expé­ rience parisienne malheureuse (1643-1645), à la tête d'une troupe de comédiens ambulants, il parcourt les campa­ gnes, donne des représentations dans des lieux scéniques de fortune, mène une existence mouvementée, riche d'expériences humaines et techniques, mais aussi pleine de dangers et d'impondérables(1645-1658).

Ce ne sont pas alors les rôles comiques qu'il interprète de façon privilé­ giée.

C'est plutôt la tragédie qu'il joue.

Voilà qui peut paraître surprenant de la part d'un homme qui se posera, par la suite, comme le maître incontesté de la comédie.

Mais le paradoxe n'est qu'apparent: tout naturellement, il s'efforce de servir le répertoire qui s'offre à lui, à une époque où le genre comique, qui ne sort que difficilement de sa léthargie, ne produit qu'un petit nombre d'œuvres théâtrales.

10. »

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