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LE MONOLOGUE INTÉRIEUR EN LITTERATURE

Publié le 24/11/2018

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MONOLOGUE INTÉRIEUR. Le monologue, comme le soliloque au théâtre, est conventionnellement et arbitrairement — car rien ne prouve que l’on « pense » ainsi, sauf lorsqu’on pense « tout haut » et qu’on parle — calqué sur le langage oral. La distinction entre dialogue et monologue est donc, le plus souvent, marquée par le lexique et dépend seulement du verbe introducteur : « Elle n’est pas méchante, tante Estelle, pensait-elle. Mais elle m’a fait de la peine. Cette robe... comme elle m’a dit cela!... Mon Dieu, elle trouve cela naturel... Elle a oublié, elle ne peut imaginer que je pense toujours à... Elle ne disait pas de nom. Elle pleurait seulement sur une place vide dans son cœur » (Emile Henriot, Aride Brun ou les Vertus bourgeoises, 1924). La substitution du verbe « penser » ou « se dire » à « dire » ou « faire », etc., suppose une extension de l’omniscience du narrateur : en effet, si, en bonne logique béhavioriste, les propos tenus par un personnage (dialogue) peuvent être perçus par un autre, il n’en va pas de même de la pensée. La vraisemblance réaliste se trouve donc bousculée. Ainsi le postnaturalisme puis les techniques impressionnistes à la mode dans les années 20 finissent-ils, par excès de pénétration psychologique, et peut-être sous l’influence indirecte du freudisme naissant, par confondre l’intimité du personnage avec la rêverie de l’auteur lui-même et aboutissent du même coup à transformer le roman en journal; le récit à la première personne sera la seule façon d’échapper aux incohérences : « Ce matin même je les y mènerai, puisqu’elles repartent ce soir. Ah, le chien de Cerri a bougé. Sa chute, hier à Palavas. “Poverino! tutto bagnato! Giù!” Désagréable animal. Le soleil touche le drap juste à la hauteur de... Si je ne craignais pas de les réveiller, je tirerais le drap pour voir arriver le rayon sur la gorge d’Inga » (Valéry Larbaud, Amants, heureux amants, 1923). Il faut donc remarquer

« d'autre part que tout ce que l'on a appelé «courant de conscience» à la suite du stream of consciousness des romans anglo-saxons, puis ce qu'on a nommé « sous­ conversation » avec le nouveau roman (Nathalie Sar­ raute, Samuel Beckett), dépend plus des problèmes de focalisation (ou points de vue) -et notamment de l'em­ ploi du présent « scénique» ou simultané (comme on l'a vu dans l'extrait précédent) -que du monologue proprement dit.

G.

Genette considère qu'il vaudrait mieux substituer le terme de «discours immédiat» à celui de monologue «puisque J'essentiel, comme il n'a pas échappé à Joyce, n'est pas qu'il soit intérieur, mais qu'il soit d'emblée ("dès les premières lignes") éman­ cipé de tout patronage narratif, qu'il occupe d'entrée de jeu Je devant de la ··scène"» (Figures Ill).

Les marques formelles du monologue intérieur sont de deux types : langagières (syntaxiques et lexicales) ou typographiques, comme pour Je dialogue.

Dans J'extrait suivant, la pensée ne se distingue de la parole que par les verbes introducteurs : «- D'ailleurs, je ne m'en plains pas, ajouta la grande sœur.

« C'est ce qu'elle a de mieux à faire », pensa Bernard en avalant son visqui.

«- Alors on les met? demanda Polo.

«- Comment? ah oui, dit Lehameau >> (Raymond Queneau, Un rude hiver, 1939).

Mais un autre système apparaît fréquemment au niveau stylistique : J'emploi de phrases nominales, de verbes à l'infinitif, de ruptures de construction, de phra­ ses en suspens : «Le fleuve ...

Les cloches ...

Si loin qu'il se souvienne -dans les lointains du temps, à quelque heure de sa vie que ce soit -, toujours leurs voix profondes et familières chantent.

..

La nuit -à demi endormi ...

Une pâle lueur blanchit la vitre ...

Le fleuve gronde» (Romain Rolland, .lean-Christophe, 1904 ).

Édouard Dujardin, dès 1931, avait très bien analysé ce mécanisme dans le Monologue intérieur, théorisation de son récit Le5 lauriers sont coupés : « Un personnage exprime sa pensée la plus intime, la plus proche de l'in­ conscient, antérieurement à toute organisation logique.

c'est-à-dire en >on état naissant, par le moyen de phrases directes réduiu:s au minimum syntaxial (sic), de façon à donner l'impre;;sion du tout venant.

» On peut, analysant l'extrait suivant d'un récit de Camus, la Femme adultère, se demander ce qui permet de distinguer Je «discours vécu >> du reste de la narra­ tion : « La chambre était glacée.

Janine sentait Je froid la gagner en même temps que s'accélérait la fièvre.

Elle respirait mal, >on sang battait sans la réchauffer; une sorte de peur grandissait en elle.

Elle se retournait, le vieux lit de fer craquait sous son poids.

Non, elle ne voulait pas être malade.

Son mari dormait déjà, elle aussi devait dormir, il le fallait.

Les bruits étouffés de la ville parvenaient jusqu'à elle par la meurtrière.

Les vieux pho­ nographes des cafés maures nasillaient des airs qu'elle reconnaissait vaguement, et qui lui arrivaient, portés par une rumeur de foule lente.

Tl fallait dormir.

Mais elle comptait des tentes noires; derrière ses paupières pas­ saient des chameaux immobiles; d'immenses solitudes tournoyaient en elle.

Oui, pourquoi était-elle venue? Elle s'endormit sur cette question)>.

On remarque nettement la reprise du récit avec le dernier verbe au passé simple : «Elle s'endormit>>.

Pour le reste, la distinction tempo­ relle n'est pas pertinente puisque tous les verbes sont à J'imparfait, qu'il s'agisse de descriptions ou du style « indirect libre ».

Force est donc de reconnaître que « le début du discours vécu est indiqué par une redondance appuyée de la négation, caractéristique du discours oral, moins construit et souvent porté à la sur-caractérisation : Non, elle ne voulait pas être malade.

Plus loin, 1 'articula­ tion syntaxique un peu lâche se prête à traduire le flou des pensées naissantes : Son mari dormait déjà, elle aussi devait dormir, ille fallait [ ...

] La question rhétori­ que se fait aussi assez fréquente, précédée ici d'un oui pensif : Oui, pourquoi était-elle venue? Enfin les quel­ ques métaphores poétiques n'échappent pas aux fami­ liers de Camus (Derrière ses paupières passaient des chameaux immobiles); s'il se les permet dans le discours vécu, dans le récit, en écrivain moderne, il y a renoncé.

Nous sommes cette fois en présence de signaux vérita­ blement stylistiques, et non plus syntaxiques >> (H.

Weinrich, le Temps, Le Seuil).

Mais le plus souvent, il n'y a pas de distinction entre une réflexion de l'auteur et Je monologue intérieur du personnage : «Et l'homme répondait toujours, de sa voix enrouée par les intempéries des saisons : "Encore rien c'te fois, ma bonne dame" .

«C'était une femme assurément qui empêchait de répondre.' «Jeanne avait résolu de partir tout de suite >> (Mau­ passant, Une vie, 1883).

Quels indices textuels permettent de distinguer par qui la phrase mise ici en italique est prononcée? [Voir aussi VERS ET VERSIFICATION).. »

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