Le naturalisme et le corps
Publié le 15/03/2015
Extrait du document
Avant Zola, qui fera de l'accouchement de Lise dans La Terre une Origine du monde à la manière de Courbet, Maupassant décrit les couches de Rosalie : sous sa robe part « un bruit singulier, un clapotement, un souffle de gorge étranglé qui suffoque «; Jeanne entend le même glouglou d'un « ventre qui se vid[e] brusquement « lorsqu'elle met son fils au monde, et c'est la même douleur d'entrailles pour la chienne tuée par l'abbé Tolbiac. Épisode exemplaire : le baron, en « maître d'école « rousseauiste croyant aux leçons de la nature, est au milieu des galopins qui « contempl[ent] cette naissance comme ils auraient regardé tomber des pommes «. L'abbé, réminiscence du frère Archangias de La Faute, incarne l'intolérance du spiritualisme chrétien face à la réalité physiologique du corps.
Pourtant une horreur instinctive écarte les hommes de la femme enceinte dans les romans de Maupassant : Julien n'a que dégoût pour Rosalie puis pour Jeanne ; Paul, dans Mont-Oriol, se détourne de Christiane dès qu'il apprend qu'elle sera mère, comme si la grossesse et l'accouchement ravalaient le désir humain aux instincts de la bête, ceux de la reproduction et de la continuation de l'espèce.
«
E X P 0 S É S F C H E S
mécanise dans les débordements ouvriers de la chair : telle une marionnette cassée,
l'ombre de Gervaise fait la culbute dans la lumière des réverbères et Coupeau, dé
vasté par l'alcool, joue
« des quilles » dans un branle de machine à vapeur.
~ Il -MAUPASSANT : UNE VISION INTIMISTE DU CORPS
Le corps dans tous ses états
Avant Zola, qui fera de l'accouchement de Lise dans La Terre une Origine du
monde
à la manière de Courbet, Maupassant décrit les couches de Rosalie : sous sa
robe part
« un bruit singulier, un clapotement, un souffle de gorge étranglé qui suf
foque
»; Jeanne entend le même glouglou d'un « ventre qui se vid[e] brus quement» lorsqu'elle met son fils au monde, et c'est la même douleur d'entrailles
pour la chienne tuée par l'abbé Tolbiac.
Épisode exemplaire: le baron,
en« maître
d'école» rousseauiste croyant aux leçons de la nature, est au milieu des galopins
qui
« contempl[ent] cette naissance comme ils auraient regardé tomber des
pommes».
L'abbé, réminiscence du frère Archangias de La Faute, incarne l'into
lérance du spiritualisme chrétien face à la réalité physiologique du corps.
Pourtant une horreur instinctive écarte les hommes de la femme enceinte dans
les romans de Maupassant : Julien
n'a que dégoût pour Rosalie puis pour Jeanne;
Paul, dans Mont-Oriol, se détourne de Christiane dès qu'il apprend qu'elle sera
mère, comme
si la grossesse et l'accouchement ravalaient le désir humain aux ins
tincts de la bête, ceux de la reproduction et de la continuation de
lespèce.
Corps-peau et conscience sexuée
Cependant Maupassant, malgré la misogynie liée à son pessimisme, analyse
avec finesse
le problème de l'altérité sexuelle.
L'enfermement de chacun dans
son propre sexe, symbolisé par l'isolement de Jeanne au couvent, rend problé
matique la découverte de l'autre : il faudra la magie de la garrigue corse pour
que Jeanne fasse l'expérience de l'orgasme, car le corps est d'abord un corps
peau : Jeanne,
au contact de la« jambe velue » de Julien, vit la dissonance de deux
épidermes qui ne sont pas faits l'un pour l'autre.
On retrouve dans Bel-Ami cette sensibilité répulsive ou fascinée à la peau de l'autre: M.
de Varenne laisse tom
ber ses cheveux gras sur le bras de Madeleine en lui baisant la main, Duroy décline
toutes les poignées de main,
« sèche et chaude », « humide et froide, fuyante entre
ses doigts »,«froide et molle», «grasse et tiède», qu'il subit, et Mme de Marelle voudrait« palper» les filles pour« voir comment c'[est] fait, ces êtres là» ...
Corps image et cadavre de soi
D'emblée, le corps parle: il dénonce la gaucherie de Duroy, marchant« comme
s'il venait de descendre de
cheval», trahi par un pantalon qui couvre ses membres
« par aventure ».
Le trapéziste des Folies-Bergère incarne un idéal de maîtrise que
démentent cheveux blancs et dents gâtées.
Le corps, c'est aussi le cadavre de soi :
Bel-Ami, apercevant sur son lit ses vêtements vides, y découvre des « hardes de la
Morgue»; aux côtés de son double, Forestier, il sentira le« souffle de charogne que
les pauvres morts couchés [ ...
]jettent aux parents qui les
veillent» ...
Conclusion.
Bien que le naturalisme vise à réhabiliter le corps, ni Maupas
sant
ni Zola ne parviennent tout à fait à l'apprivoiser.
Il demeure une puis
sance terrifiante liée
à l'énigme de l'inconscient..
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