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LE NOUVEAU ROMAN (Histoire de la littérature)

Publié le 25/11/2018

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histoire

Du flou au complexe : questions d'ensemble...

 

Rappelons ici, puisqu’en la matière c’est d’ensemble qu’il est question, que le Nouveau Roman ne s’est pas du jour au lendemain constitué sous la définitive enseigne d’une école. A la différence, par exemple, du surréalisme, il n’a jamais connu, souligne Jean Ricardou, de « chef, de revue, de manifeste » (le Nouveau Roman). Il lui aura fallu attendre les années 70 — deux décennies après ses premières parutions, ou trois si l’on prend comme point de départ Tropismes (1939) de Nathalie Sarraute — pour que puisse être envisagé de façon cohérente et répertoriable un corpus d’œuvres convergentes, ou du moins s’autodéfinissant comme telles. Longue traversée, on le voit, ponctuée, côté critique, d’hésitations renouvelées et de problématiques recensements, dont l’inaptitude à circonscrire un phénomène pluriel jetait les meilleurs esprits au hasard des listes flottantes et des enrôlements du jour — le Nouveau Roman, qui en était? Celui-ci, pour tel procédé? Celui-là, pour tel écart? Cependant que. côté public, se découvrait, de façon quelque peu confuse mais irréfutable, au fil de ponctuelles récompenses, une nouvelle manière, soudain, d’« écrire des histoires » (Robbe-Grillet). Citons le Voyeur d’Alain Robbe-Grillet, prix des Critiques 1955; la Modification de Michel Butor, prix Théophraste-Renaudot 1957; la Mise en scène de Claude Ollier, prix Médicis 1958; la Route des Flandres de Claude Simon, prix de F Express 1960; F Inquisitoire de Robert Pinget, prix des Critiques 1963, et, la même année, les Fruits d'or de Nathalie Sarraute, prix international de Littérature, etc.

 

Le dernier litre excepté, toutes ces fictions exhibent la même couverture blanche à deux étoiles des Éditions de Minuit : signe sans équivoque d’une percée difficile en littérature, « par la petite porte » (Jean Ricardou), des exclus ou des marginaux. Indéniablement, c’est à l’éditeur Jérôme Lindon que ces romans nouveaux ont dû, les uns de voir le jour, les autres, après quelques passages dans d’épisodiques maisons d’édition, de trouver un accueil durable. Couramment baptisé sous la plume des critiques d’alors « anti-roman », « roman de Minuit », un groupe, de fait, s’est ainsi formé, qu’une photographie de 1959 révèle, à l’époque, presque complet : s’y reconnaissent, autour de l’éditeur, outre Samuel Beckett et Claude Mauriac, six déjà de nos romanciers : Alain Robbe-Grillet, Claude Simon, Michel Butor, Robert Pinget. Nathalie Sarraute, Claude Ollier. Plus jeune, Jean Ricardou manque à l’appel. Ce sera pourtant, quelques années plus tard, son irremplaçable travail de théoricien qui, repérant dans la variété même des textes de communs réseaux de refus et de tendances, relançant entre leurs auteurs une circulation de lectures et de critiques réciproques, forcera peu à peu la cohésion d’un ensemble jusqu’alors indécis (voir bibliographie). Mieux : organisant à Cerisy-la-Salle, au cours de l’été 1971, un colloque sur le Nouveau Roman (les travaux en seront publiés dans Nouveau Roman, hier, aujourd'hui), ouvert sans exclusive à tous les romanciers comptés dans l’« avant-garde », il permettra que soient enfin rendus caducs les faux problèmes de catalogage et précisément délimité le collectif Nouveau Roman : par les Nouveaux Romanciers, la seule présence de chacun Limpliquant dans une suffisante « autodétermination », les absents (tels Beckett et Duras) s’excluant d'eux-mêmes. Le Nouveau Roman, désormais, dans sa subversive mais non moins éclatante célébrité, comptera les sept noms suivants : Butor, Ollier, Pinget, Ricardou, Robbe-Grillet, Sarraute, Simon.

 

D’un tel type de rencontre, même éclairante au plus haut point sur l’Ancien et le Nouveau, voire prolongée d’autres recherches autour d’une œuvre spécifique — rappelons, en 1973, les « Approches de Michel Butor »,

 

les colloques Claude Simon en 1974 et Robbe-Grillet en 1975 —, on aurait beau jeu de souligner l’ambiguïté. Aussi bien, miser sur d’irrécusables différences pour nier à tout prix un ensemble, valoriser au besoin un auteur pour le mieux excepter des autres, ne renverrait que trop au mythe encore régnant de l’unicité créatrice; comme si l’œuvre échappait aux courants d’une époque. Plus honnête, une constatation s’impose : s’il existe un mouvement, c’est dans la pratique même d’écritures irréductiblement individuelles, confrontées chacune à ses propres fictions, qu'il s’est lui-même reconnu. S’il existe un Nouveau Roman, c’est de ces fictions mêmes qu’il doit être dégagé.

Refus et recherches : questions de principes...

 

Complexité/complicité : lieu, donc, d’un nécessaire conflit, le Nouveau Roman, à peine libéré, sur le plan synchronique, d’un spécieux problème de démarcation, voit aussitôt, sur le plan diachronique, surgir celui de son insertion dans une modernité que l’adjectif « nouveau » — encore que vague et généreusement appliqué aux productions les plus variées — semblerait annoncer. Deux préalables le limiteront : d'abord, le Nouveau Roman n’a jamais prétendu constituer toute la modernité, dans un domaine dont, parallèlement, d’autres essais, d’autres pratiques travaillent à renouveler les formes (les écrivains du groupe Tel Quel, les revues et collectifs Change, le Chemin, etc.); en outre, il s’inscrit dans une recherche que rien ne permet de clore aujourd’hui; aventure en perpétuel dépassement — comme en témoigne par exemple la trajectoire de Michel Butor —, il ne s’offre encore qu'à de partiels bilans.

 

Cela posé, et regardant, cette fois, vers le passé, on admettra aisément que la plupart des nouveautés du Nouveau Roman étaient en germe bien avant lui. A telle enseigne que la notion — majeure ici — de « roman traditionnel » apparaît davantage comme une hypothèse de travail, à moins d’envisager quelques persistants sous-produits balzaciens. Qu’à cet égard Nathalie Sarraute (l'Ère du soupçon) découvre, dans l’insaisissable mouvance du personnage dostoïevskien, dans les mécanismes déshumanisés de Kafka la condamnation de nos éternelles figures de musée romanesques; que Butor (Essais sur le roman) renvoie au Breton du premier Manifeste une critique plus précise de la gratuité réaliste; que Ricardou (Pour une théorie du Nouveau Roman) rappelle, après Proust et Valéry, la condition exclusivement verbale de la littérature, tous dénoncent parallèlement la même « illusion représentative ».

 

Non pas traductrice d’un réel, mais productrice de formes, l’écriture moderne, depuis Mallarmé, inscrit son fonctionnement dans l’« absence » des choses. Quand donc ils destituent les multiples avatars du vieux « mythe de l'expression » — « exprimer une réalité », « exprimer un destin », « exprimer une vision du monde » —, précisent leurs négations (Alain Robbe-Grillet : « Nos romans n'ont pour but ni de faire vivre des personnages ni de raconter des histoires »; Jean Ricardou : « Le roman, ce n’est plus un miroir qu’on promène le long d’une route », etc.), ce ne sont là, somme toute, que formulations un peu abruptes de tendances point si neuves.

 

En 1950, il y a beau temps déjà que d’illustres devanciers ont réglé leur compte aux mirages du référentiel : que Flaubert a rêvé du « livre sur rien » (Lettre à Louise Colet, 16 janv. 1852), que Valéry a remisé la « marquise » au magasin des accessoires (« la marquise sortit à cinq heures », célèbre parodie d'incipit ridicules que Breton prête à Valéry). De Faulkner, nous parviennent

NOUVEAU ROMAN. Querelle à bien des égards significative que celle du Nouveau Roman. L’hydre aux sept visages ignorée, dénigrée, combattue — selon l’occasion — et périodiquement enterrée présente encore maint signe d'une vitalité que d’aucuns jugent consternante. Non qu’une certaine critique, dont l’évolution, durant ces années, est tout de même sensible, n’ait su, chez tel auteur, apprécier — quelques distributions de prix pourraient en témoigner — tel talent, tel renouvellement. Mais le discours du Nouveau Roman, pourtant si solidement établi, si « fécond » en sa « postérité » (Nathalie Sarraute), continue d’irriter non tant par la singularité d’un individu que par la conjuration d’un groupe : Catilina dans la république des lettres...

 

« Le Nouveau Roman existe-t-il? » s’interrogeait-on dans les années 55. A la vérité, quelques écrivains semblaient bien inquiétants... mais ils étaient si « différents »! Fausse alerte? Hélas!... Jusqu’à ce qu’il nous soit enfin donné de lire, dans un rassurant article de l'Encyclopœdia universalis (« Universalia », 1982), que le « Nouveau Roman est mort : vivent les nouveaux romanciers! ».

 

Diviser ainsi, c’est vouloir, à coup sûr, défendre un règne. Quel enjeu, dès lors, se trouve mis en cause? Quelle incolmatable brèche ces tirs groupés ont-ils bien pu, pourraient-ils bien encore ouvrir dans nos quiétudes?

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