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Le piège et la pitié dans HUIS-CLOS de SARTRE

Publié le 01/06/2010

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Nous sommes au milieu de la scène 5, alors que vient d'avoir lieu le grand «déballage« qui a mis les âmes à nu.  GARCIN  C'est un piège. Ils vous guettent pour savoir si vous vous y laisserez prendre.  INÈS  Je sais. Et vous, vous êtes un piège. Croyez-vous qu'ils n'ont pas prévu vos paroles? Et qu'il ne s'y cache pas des trappes que nous ne pouvons pas voir ? Tout est piège. Mais qu'est-ce que cela me fait? Moi aussi, je suis un piège. Un piège pour elle. C'est peut-être moi qui l'attraperai.  GARCIN  Vous n'attraperez rien du tout. Nous nous courons après comme des chevaux de bois, sans jamais nous rejoindre : vous pouvez croire qu'ils ont tout arrangé. Laissez tomber, Inès. Ouvrez les mains, lâchez prise. Sinon vous ferez notre malheur à tous trois.  INÈS  Est-ce que j'ai une tête à lâcher prise ? Je sais ce qui m'attend. Je vais brûler, je brûle et je sais qu'il n'y aura pas de fin; je sais tout : croyez-vous que je lâcherai prise? Je l'aurai, elle vous verra par mes yeux, comme Florence voyait l'autre. Qu'est-ce que vous venez me parler de votre malheur : je vous dis que je sais tout et je ne peux même pas avoir pitié de moi. Un piège, ha ! un piège. Naturellement je suis prise au piège. Et puis après ? Tant mieux s'ils sont contents.  GARCIN, la prenant par l'épaule.  Moi, je peux avoir pitié de vous. Regardez-moi : nous sommes nus. Nus jusqu'aux os et je vous connais jusqu'au coeur. C'est un lien : croyez-vous que je voudrais vous faire du mal? Je ne regrette rien, je ne me plains pas; moi aussi, je suis sec. Mais de vous, je peux avoir pitié.  INÈS, qui s'est laissé faire pendant qu'il parlait,  se secoue.  Ne me touchez pas. Je déteste qu'on me touche. Et gardez votre pitié. [...]  (I, 5)   

Cette page se situe après l'épisode des aveux, dans un de ces moments d'apaisement que Sartre ménage entre deux tempêtes. Il s'agit d'un duo entre Inès et Garcin. Ce dernier tente une énième conciliation, tandis qu'ils dressent tous deux un bilan contradictoire de la situation. S'esquisse enfin une solution pour échapper à l'implacabilité de la machine infernale : contre le piège, Garcin propose la pitié. Mettant une nouvelle fois en scène l'échec de la négociation, mais aussi de la rivalité et de la relation amoureuses, Sartre poursuit sa description de l'enfer qui apparaît progressivement comme le lieu du malentendu absolu.

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« «Tant mieux, s'ils sont contents.» La solution de la pitié A ne considérer que les indications scéniques, on assiste en cette page à l'unique moment de tendresse d'une piècequi, par ailleurs, ne représente que les heurts et les malentendus du trio.Or, si la tendresse peut s'ébaucher, ne fût-ce que de façon éphémère, c'est qu'un des personnages est parvenu às'extraire de la situation commune et qu'il contemple, pour ainsi dire de l'extérieur, la misère que tous trois partagentet que l'épisode des aveux vient de rendre patente.

Ce rôle fugace, et qui rappelle celui du choeur dans la tragédieantique, est ici assumé par Garcin.

En témoignent les accents poétiques et pathétiques de la comparaison qui vientbriser la familiarité de ses propos et les fait changer de registre : «Nous nous courons après comme des chevaux debois, sans jamais nous rejoindre [...].»Outre qu'elle dit l'éternité où rien n'arrive, cette comparaison, qui tient à la fois de la description et du commentaire,traduit son apitoiement spontané.

Ce sera donc Inès qui nommera l'émotion et prononcera, pour l'écarter, le mot quiles pourrait sauver : «[...] vous venez me parler de votre malheur [...] et je ne peux même pas avoir pitié de moi.»Sans doute, car la pitié n'a guère de sens appliquée à soi-même, elle exige au contraire que l'on sorte de soi pour semettre à la place de l'autre.

Ce que tente en vain Garcin qui vient de comprendre qu'il y a là le moyen de bloquer lamécanique infernale.

«Moi, je peux avoir pitié de vous», commence-t-il ; «Mais de vous, je peux avoir pitié »,achève-t-il, reproduisant, dans la disposition de ses propos mêmes, l'esquisse d'embrassade que les didascaliessignalent.Inès repoussera Garcin, lui renvoyant cette pitié dont elle sait qu'elle menacerait son intégrité («Ne me touchez pas.Je déteste qu'on me touche»), en permettant à autrui de la connaître «jusqu'au coeur».

Aussi feint-elle de prendrepour un geste déplacé le geste tendre par lequel son compagnon n'exprimait que sa pitié.

Retour au malentendu, quisied tant à Inès. Conclusion Ainsi pas plus que la politesse ou l'indifférence, la pitié n'est-elle la clef du piège.

Les aveux n'auront servi à riend'autre qu'à faire souffrir, et le lien qu'ils ont tissé n'aura fait qu'enchaîner davantage à sa solitude chacun despersonnages.

Cette page, une fois encore, constate l'échec de toute alliance et le triomphe récurrent dumalentendu.

Elle illustre le talent avec lequel Sartre parvient à préserver l'intensité dramatique d'une situationfausse, par nature condamnée à ne jamais évoluer.

De faux rebondissements en faux coups de théâtre, nousn'assisterons qu'à la dérive existentielle de trois personnages secs et pris à leur propre piège.. »

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