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LE POÈME ET LE CHANT DANS IPHIGENIE DE RACINE

Publié le 09/04/2011

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LE POÈME ET LE CHANT DANS IPHIGENIE DE RACINE    Il ne faut jamais perdre de vue que la tragédie est un poème dramatique et que sa plus secrète essence réside peut-être dans le vers. Commençons par le plus facile.    Poésie de l'histoire. L'action d'Iphigénie sur le plan de l'histoire ou de la tragédie met en scène l'une des plus prestigieuses aventures de l'humanité; c'est la ruée vers l'Asie, l'expédition des plus forts, sinon des plus intelligents, prêts à « tenter Thétis au moyen des rames « pour dépouiller une vieille civilisation, mais en même temps pour lui infuser un sang nouveau; l'action se déroule entre deux guerres, la prise de Lesbos par Achille, le prise de Troie par tous les Grecs rassemblés. Les tableaux ne manquent pas de l'île ravagée; les promesses abondent du carnage troyen. La bataille est à l'honneur; Ulysse, Achille la désirent ou l'appellent; la guerre fraîche et joyeuse surgit partout, même dans l'esprit troublé d'Agamemnon :    Tu te souviens du jour qu'en Aulide assemblés Nos vaisseaux par les vents semblaient être appelés. Nous partions et déjà par mille cris de joie, Nous menacions de loin les rivages de Troie.    (I, 1)

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« Ne te couvriront pas de ses vaisseaux brisés I...

(V, 4) En tout cas, on sent la présence de la mer et jusqu'à son formidable silence à l'intérieur duquel se poursuit le va etvient des plaintes, des soupirs et des fureurs. A cette puissance capricieuse mais que l'homme peut dompter, se joignent les énergies plus confuses des vents etdes ci eux.

Or les cieux sont sourds et les vents se taisent ; un effroi indistinct monte de cette nature vide quiattend l'holocauste; c'est à une mer molle, à un azur fermé, à un air immobile que doit être offert ce chef-d'œuvrede civilisation et de grâce qu'est Iphigénie; sa blanche stature grandit dans l'espace, figure de proue, prête à partirpour l'ultime navigation.

A cette ascension s'oppose la descente aux enfers d'Eriphile et même, si l'on veut, deClytemnestre ; ces deux implacables sentent assez vite qu'elles sont possédées et anticipent sur la rencontre desFuries; les jeux du ciel et de l'enfer confèrent et infusent la poésie aux gestes et aux paroles des mortels ainsiamplifiés aux dimensions du monde.

Le sacrifice d'Iphigénie intéresse les vents, les vagues, le soleil et la nuit; sacause devient cosmique et, de son sang versé dépend le retour aux ténèbres et au chaos.

Cette étroite relation deshommes au grand Pan gonfle de sève, emplit de sang, couronne de rayons, assombrit de fumées tous cesalexandrins dramatiques.

Et quel est cet étrange monstre, dépositaire du secret des dieux, égorgeur de jeunes filles,aegipan ou loup-cervier, déjà prêt pour Alfred de Vigny? L'œil farouche, l'air sombre et le poil hérissé. (V, 6) Ce vers rèche, à l'odeur fauve, nous rejette en plein giron de Cybèle. Sourde, confuse, parfois haletante, illimitée, telle est la poésie qui flotte autour de ces cinq actes.

Mais une actionaussi pathétique n'était pas sans offrir le risque d'un lyrisme surabondant.

On pleure beaucoup chez Euripide, on ycrie, on y déclame aussi hélas ! Rien de tel chez Racine ; les vers les plus touchants, les plus nostalgiquessurgissent, on le sait, au détour imprévu des imprécations de Clytemnestre : Et moi, qui l'amenai triomphante, adorée, Je m'en retournerai seule et désespérée!... (IV, 4) L'hémistiche qui résonne le plus douloureusement aux oreilles du spectateurs, le Vous y serez, ma fille, vient secaser de lui-même dans la scène, dicté, arraché par la situation. On sait de reste que le poète, surtout le poète romantique, résiste difficilement à l'envie de provoquer les larmes.Ces voluptés d'attendrissement, dont l'étourderie de Lamartine faisait une règle d'or, n'auraient, sans doute, inspiréà Racine qu'une salutaire nausée.

Qui se plaint dans cette tragédie? Agamemnon, sans doute, mais dix vers luisuffisent.

Ce n'est pas que ces personnages se contiennent ou se maîtrisent; ils vont, au contraire, jusqu'au bout ets'expriment à fond.

La poésie au théâtre c'est, pour chaque interprète, l'effort soutenu de construction etd'explication de soi-même; or rien de plus difficile que de parler de soi parce que tout entre dans l'exposé; on a vitefait de bavarder, si on annexe toutes les broutilles découvertes en chemin.

Le vrai dramaturge ne traîne pas, etdonne, par le verbe, à chaque rôle son poids et sa densité; cette condition réalisée, même en prose, il est poète. Toute pièce de théâtre apporte une succession de scènes.

Dans Iphigénie, il y a des gens qui font des scènes àune cadence singulièrement répétée, d'autres qui les subissent; remarquons que cette considération s'applique auMisanthrope.

Quelle tentation, quand on a la manie d'empoigner les autres, de les secouer et de leur mettre à toutbout de champ le nez dans leurs sottises et dans leurs contradictions, que d'ajouter un mot, une phrase, unparagraphe de trop, de prolonger en multiples variantes les harmoniques d'une belle colère? Alceste donne souventl'impression de s'écouter rugir.

Se garder de l'emphase, ce n'est pas, pour autant, n'exprimer que l'essentiel : onpeut délayer en phrases sèches; il y a d'autre part un feu intense de la poésie dramatique qu'il ne faut pasconfondre avec l'éloquence; si Sertorius et Pompée font assaut de rhétorique, Mithridate ne prononce pas dediscours.

La valeur poétique des imprécations de Clytemnestre se mesure à l'élimination de la grandiloquence; jusquedans ses fureurs, elle ne dit que ce qu'il faut, non qu'elle se conforme à une Clytemnestre idéale inventée parquelque d'Aubignac, mais parce qu'elle se souvient toujours de ce qu'elle est elle-même.

Le personnage raciniens'impose par une excellente mémoire et ne se répète jamais.

Il ne se pare pas en chemin, il s'achève, et il necommettrait pas la faute de se couronner avant d'avoir achevé sa route.

Il va jusqu'au bout de lui-même, disions-nous plus haut, sur le plan psychologique; répétons-le sur le plan du poème, car c'est strictement de la poésie quede découvrir et d'éclairer sa propre vérité.

Le vers dramatique, c'est le trait noir qui comble les hachures.

Il ne mereste plus qu'à les écrire, disait Racine de ses pièces dont il portait en tête le plan.

Mais elles étaient écrites enpensée; l'oreille avait entendu la suggestion de l'esprit car l'intelligence a ses sens, les sens ont leur intelligence.L'harmonie racinienne est faite d'une parfaite maîtrise des relations qui unissent l'âme et le corps; personne n'y faitl'ange; si Oreste devient fou, si Eriphile meurt, c'est que cette mort et cette folie dénouent moins une intriguequ'elles n'achèvent un être.

La poésie de la tragédie, c'est d'abord la fidélité à soi-même, la promesse tenue,l'épreuve surveillée d'un accomplissement.

On voit souvent Corneille souffler sur ses héros pour les mieux enflammer;. »

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