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Le regard et la parole dans Le Chevalier de la charrette de Chrétien de Troyes

Publié le 23/12/2019

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Le relais de la parole 

Le x11° siècle est une civilisation encore largement orale. Comme le regard, la parole fixe les êtres. construit leur identité à partir de ce qu'on en dit. Chrétien de Troyes en suggère toute la force à travers l'évocation de« la rumeur qui ne connaît de repos» (v. 4428). C'est elle qui décide du destin de Lancelot. Lorsqu'elle annonce la mort de Guenièvre, le héros tente de se suicider. Lorsqu'elle crie un démenti, le voilà qui reprend goOt à la vie. Parole pure, venue de nulle part, la rumeur remplace le témoignage oculaire lorsque la distance rend celui-ci impossible. Elle n'a pas moins de valeur que lui. Il faut sans doute lui attribuer, au début du roman, l'engagement de Lancelot dans la quête de la reine. Comment aurait-il pu apprendre autrement l'enlèvement de Guenièvre et le défi de Méléagant ? Absent de la cour à ce moment, le héros n'a pu assister à l'événement fondateur de l'intrigue. Comme le regard, la rumeur a pour effet de motiver l'action. A la parole s'attache un pouvoir démiurgique1. Lors de la première rencontre entre Lancelot et Méléagant, la reine Guenièvre, qui assiste au combat, révèle publiquement le nom de son champion : 

Lancelot du Lac, c'est le nom du chevalier, que je sache. 

(V. 3660-3661 ). 

Par cet aveu, elle fait renaître le héros sous sa véritable identité. Il n'est plus« le chevalier de la charrette» ou simplement « né au royaume de Logres » (v. 1930) : ces expressions assimilaient le personnage à son opprobre (la charrette) ou à son royaume (Logres), au détriment de son individualité. Dévoilé 

« se soustraire aux regards et aux jugements: il doivent donc quitter la scène sociale, pour entrer dans l'univers obscur et silencieux de la forêt.

Cette signification sociale du regard et de la parole peut servir de critère pour définir les héros des romans médié­ vaux.

Ceux qui acceptent de se plier aux structures de la col­ lectivité agissent toujours devant témoins; ceux qui ont quelque chose d'inavouable à cacher se dérobent à ce sys­ tème.

On verra que Lancelot oscille entre ces deux attitudes.

L'omniprésence des témoins dans le roman Lancelot n'affronte jamais seul les épreuves qui ponctuent sa quête.

Un public, plus où moins nombreux, assiste à toutes ses performances, heureuses ou malheureuses.

Le regard porté sur le héros signifie sa consécration ou son rejet par la société.

D'une part, ses exploits se déroulent en présence de témoins qui en soulignent la grandeur: ainsi les diffé­ rentes jeunes filles devant lesquelles il défait un adversaire, le moine qui le voit soulever la pierre tombale (v.

1915-1919), Bademagu et son fils qui assistent à sa traversée du Pont de l'Épée (v.

3155-3157), Guenièvre qui admire sa vaillance dans les combats (v.

3562-3565 et v.

5012-5013), toute la cour d'Arthur, enfin, réunie pour applaudir sa victoire défini­ tive sur Méléagant (v.

6980-6982).

D'autre part, Lancelot subit à deux reprises un déshonneur public: d'abord l'infamie de la charrette, consentie sous le regard désapprobateur de Gauvain (v.

380-381) et suivie d'un accueil humiliant par la population d'un château (v.

402-409), ainsi que par les jeunes gens de la prairie des jeux (v.

1703), puis la honte du combat «au pis», où le regard des spectateurs est tenu en éveil par le héraut qui attire leur attention sur Lancelot.

Dans cet univers de transparence totale, le regard n'est pas une forme d'indiscrétion ou de voyeurisme.

Il est per­ mis car il peut servir de preuve.

Ainsi, lorsque Lancelot assiste malgré lui au viol d'une jeune fille, celle-ci trouve un récon­ fort dans sa présence, qui prouvera la culpabilité de son agresseur: il me déshonorera sous tes yeux.

(V.

1073).

98. »

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