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Le rôle de la lecture

Publié le 24/03/2011

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lecture

   Enfant, adolescente, la lecture était non seulement mon divertissement favori mais la clé qui m'ouvrait le monde. Elle m'annonçait mon avenir : m'identifiant à des héroïnes de roman, je pressentais à travers elles mon destin. Dans les moments ingrats de ma jeunesse elle m'a sauvée de la solitude. Plus tard, elle m'a servi à étendre mes connaissances, à multiplier mes expériences, à mieux comprendre ma condition d'être humain et le sens de mon travail d'écrivain. [...]    La joie de lire : elle ne s'est pas émoussée. Je suis toujours émerveillée par la métamorphose des petits signes noirs en un mot qui me jette dans le monde, qui précipite le monde entre mes quatre murs. Le texte le plus ingrat suffit à provoquer ce miracle. « J. F. 30 ans, sténo-dactylo exp. ch. travail trois jours par semaine «. Je suis des yeux cette petite annonce et la France se peuple de machines à écrire et de jeunes chômeuses. Je sais : le thaumaturge, c'est moi. Si devant les lignes imprimées je demeure inerte, elles se taisent; pour qu'elles s'animent, il faut que je leur donne un sens et que ma liberté leur prête sa propre temporalité, retenant le passé et le dépassant vers l'avenir. Mais comme au cours de cette opération je m'escamote, elle me semble magique. Par moments, j'ai conscience que je collabore avec l'auteur pour faire exister la page que je déchiffre : il me plaît de contribuer à créer l'objet dont j'ai la jouissance. Celle-ci se refuse à l'écrivain : même quand il se relit, la phrase née de sa plume se dérobe à lui. Le lecteur est plus favorisé : il est actif et cependant le livre le comble de ses richesses imprévues. La peinture, la musique suscitent en moi, pour la même raison, des joies analogues ; mais les données sensibles y jouent un rôle immédiat plus important. En ces domaines, je n'ai pas à effectuer le surprenant passage du signe au sens qui déconcerte l'enfant quand il commence à épeler des mots et qui n'a pas cessé de m'enchanter.    [...] Cependant, je ne lis pas n'importe quoi. A moins de me situer dans une perspective sociologique ou linguistique, la page des petites annonces ne me retiendra pas. Quelles conditions faut-il pour qu'aujourd'hui un texte me prenne?    Il y en a de bien des espèces et les bénéfices que j'en retire sont très divers. En certains cas, je parcours l'ouvrage sans abandonner ma place au centre de mon propre univers dont je me borne à combler les lacunes. Lorsque je referme le volume, je me trouve avoir acquis certaines connaissances. A cette lecture informative s'oppose la lecture communication. L'auteur ne prétend pas alors me livrer un savoir mais transmettre à travers son œuvre le sens vécu de son être dans le monde. Son expérience existentielle est irréductible à des concepts ou à des notions : elle ne m'instruit pas. Mais le temps d'une lecture, je vis dans la peau d'un autre. Ma vision de la condition humaine, du monde, de la situation que j'y occupe peut en être profondément modifiée. Il y a un critère assez net qui distingue ces deux catégories de livres. Le document informatif, je peux le résumer dans mon propre langage, livrant ainsi à un tiers un savoir universel ; dans une œuvre littéraire, le langage est un jeu, c'est par lui que l'expérience vécue est donnée dans sa singularité : on ne saurait la communiquer avec d'autres mots. C'est pourquoi le texte imprimé sur la jaquette d'un bon roman et qui prétend le résumer le trahit toujours ; c'est pour cela aussi qu'un écrivain est si embarrassé quand on l'interroge sur un travail en cours : il ne peut pas faire connaître ce qui est par définition un non-savoir.    Simone de Beauvoir, Tout compte fait, 1972.    1. Vous résumerez ce texte en 180 mots. Une marge de 10 % en plus ou en moins est admise. Vous indiquerez à la fin de votre résumé le nombre de mots employés.    2. Vous expliquerez le sens, dans le texte, des expressions suivantes :    a) je m'escamote ;    b) le langage est un jeu.    3. L'expérience de la lecture prenante décrite par Simone de Beauvoir correspond-elle à ce que vous attendez d'un texte?

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« J'aime de nombreux genres de lectures : certaines m'apportent des connaissances objectives, d'autres me font partde l'expérience de l'auteur, et me permettent de vivre une autre vie, qui modifie ma vie personnelle.

Unecaractéristique les distingue : le texte documentaire peut se résumer, l'œuvre littéraire ne le peut pas, car on nesaurait l'exprimer avec d'autres mots; d'où l'impossibilité pour l'auteur de fournir des explications sur son ouvrage. II.

Vocabulaire. 1.

« Je m'escamote.

» « Escamoter », c'est faire disparaître un objet sans que les spectateurs s'en aperçoivent.

S.

de Beauvoir se fait icidisparaître du même coup, comme dans un tour de prestidigitateur, au profit de ce que la lecture lui fait imaginer :ce qu'elle met d'elle-même dans la lecture disparaît d'elle-même pour transformer le texte. 2.

«Le langage est un jeu.

» Les mots ne reflètent pas exactement une réalité, ils en sont l'interprétation, plus ou moins proche.

Il n'y a pascorrespondance exacte entre le langage et ce qu'il décrit, on « joue » avec les mots pour évoquer des personnages,des objets, des situations sans les utiliser toujours de façon rationnelle. III.

Discussion. Simone de Beauvoir décrit une expérience de « lecture prenante », d'après laquelle le livre devient un objet magiquequi la transporte dans un autre monde. La lecture peut emporter le lecteur « sur un tapis volant » si son sujet s'y prête et si le lecteur l'accepte. Certaines lectures se révèlent plus aptes que d'autres à se montrer « prenantes » pour le lecteur. On imagine bien que les romans policiers, tels ceux d'Agatha Christie ou Gérard de Villiers, ou que les romans d'amourdu type de ceux de Delly, ou de la plus récente collection Harlequin, n'ont d'autre but que d'être « prenants », quede faire évader le lecteur loin de son métro bondé, et de ses ennuis quotidiens.

De la même façon, Les TroisMousquetaires d'A.

Dumas emmènent les enfants dans le monde de l'aventure, loin de leurs devoirs scolaires, LeRouge et le Noir de Stendhal, Germinal de Zola aussi bien que de nombreux grands succès actuels permettent aulecteur de vivre au xixe siècle, d'imaginer le monde des mineurs, et de se laisser entraîner dans des pays lointains :Le Bal du Gouverneur nous emmène en Polynésie, La Bougainvillée à l'lie Maurice, Le Nabab aux Indes. Les lectures de type informatif paraissent moins propices à la magie du verbe : il semble qu'on oublie moins sonunivers en lisant Le Monde ou L'Expansion, en consultant des livres de référence, ou en travaillant sur des livres declasse.

Mais ici, tout dépend de l'intérêt qu'on y porte. Enfin, certaines lectures, à première vue peu captivantes, peuvent devenir attrayantes et même envoûtantes quandon y est préparé.

C'est ainsi qu'un poème tel que Voyelles de Rimbaud peut d'abord paraître obscur et rebutant, puisprendre un sens magique : chaque voyelle, chaque mot devient évocateur de tout un monde mystérieux.

De même,A la Recherche du temps perdu de Proust semble difficile et compliqué au premier contact, mais si le lecteur, d'abordennuyé, s'obstine à continuer, il peut voir le monde de Swann et des Guermantes s'animer et vivre sous ses yeux : ilimaginera les personnages, il ira à leurs grandes soirées, il aimera et il souffrira avec eux. Le lecteur joue aussi un rôle primordial dans le caractère prenant de l'œuvre : un texte n'est pas un être vivant,c'est l'être qui le lit qui le fait vivre ou mourir.

On pourrait le comparer aux perles dont l'orient se ternit si on ne lesporte pas.

Le caractère magique de la lecture dépend à la fois de l'esprit du lecteur, et des circonstances. Certains enfants sont rêveurs, ils ont de l'imagination, ils aiment qu'on leur raconte des histoires, ces enfants-làseront sans doute plus sensibles que d'autres à la magie du livre, surtout s'ils maîtrisent suffisamment bien l'exercicede lecture pour ne pas être gênés.

Plus tard devenus adultes, certains perdent cette faculté d'imagination et derêve, ils considèrent que « tout ça, c'est des histoires », tandis que d'autres sont toujours prêts à être emportésdans un autre monde, à voir les personnages, à se croire près d'eux : combien de spectateurs ont été surpris et unpeu déçus en voyant le film Un Amour de Swann, quand ils ne reconnaissaient pas en Ornella Mutti ou Alain Delonl'Odette de Crécy et le baron de Charlus qu'ils avaient imaginés? Édouard, héros des Faux Monnayeurs d'André Gide,explique bien comment l'œuvre cinématographique constitue toujours une perte par rapport à l'œuvre littéraire, carelle apporte des limites à l'imagination du lecteur, elle fige des personnages, des paysages, et des situations.

Cetteremarque, juste pour des lecteurs capables de faire vivre une œuvre, est beaucoup plus discutable pour ceux qui nemettent rien derrière les mots : il leur manque la faculté de rêver, de voir, de croire, il leur manque l'enthousiasmequi fait croire à l'impossible. La même œuvre peut être prenante ou non pour la même personne, selon les circonstances.

Le lecteur est en effetplus ou moins réceptif selon l'endroit où il se trouve : des conversations animées, l'atmosphère d'un train debanlieue, des enfants qui jouent ne constituent pas un cadre particulièrement favorable à la concentration.

Mais. »

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