Devoir de Philosophie

Le roman est-il un moyen incomparable d' « atteindre au vrai » ? (Stendhal)

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

stendhal
Le roman se vend bien. De tous les genres littéraires non documentaires, il est le seul à toucher encore un vaste public; son succédané la nouvelle semble trop mince pour entraîner un mouvement durable d'intérêt; l'essai est trop abstrait; quant à la poésie elle est devenue si abstruse qu'elle ne parvient plus guère à franchir les étroites limites du cénacle qui l'a vue naître. Et pourtant, sans parler de la « crise du roman » qui, tel le serpent de mer, revient avec une régularité métronomique sous la plume des journalistes à l'ouverture de chaque saison littéraire, le roman a quelque peu mauvaise presse. Rousseau déjà l'accusait de « donner une fausse idée de l'homme » et en interdisait, la lecture à son cher Émile, à l'exception toutefois de Robinson Crusoé dont les vertus éducatives pouvaient compenser le caractère fictif de l'aventure. Car c'est bien son caractère de fiction arbitraire qu'on reproche au roman : pourquoi donc inventer des histoires quand la vie réelle, chaque jour, en présente à nos yeux d'authentiques? La langue courante ne s'y trompe pas, pour qui faire un roman, c'est raconter une histoire peu vraisemblable, et en tout cas fausse. Les déclarations des romanciers du XIXe siècle où ceux-ci prétendent faire oeuvre véridique sont-elles alors autre chose que des plaidoyers pro domo? Que penser d'un Stendhal, quand il écrit, non sans paradoxe : « J'ai écrit dans ma jeunesse des biographies (Mozart, Michel-Ange) qui sont une espèce d'histoire. Je m'en repens... On ne peut plus atteindre au vrai que dans le roman. » Le roman est-il réellement comme le prétend Stendhal un moyen unique, ou pour le moins incomparable, « d'atteindre au vrai »? Et s'il ne l'est plus, l'a-t-il au moins été un jour?
stendhal

« compenser le caractère fictif de l'aventure.

Car c'est bien son caractère de fiction arbitraire qu'on reproche auroman : pourquoi donc inventer des histoires quand la vie réelle, chaque jour, en présente à nos yeuxd'authentiques? La langue courante ne s'y trompe pas, pour qui faire un roman, c'est raconter une histoire peuvraisemblable, et en tout cas fausse.Les déclarations des romanciers du XIXe siècle où ceux-ci prétendent faire oeuvre véridique sont-elles alors autrechose que des plaidoyers pro domo? Que penser d'un Stendhal, quand il écrit, non sans paradoxe : « J'ai écrit dansma jeunesse des biographies (Mozart, Michel-Ange) qui sont une espèce d'histoire.

Je m'en repens...

On ne peutplus atteindre au vrai que dans le roman.

» Le roman est-il réellement comme le prétend Stendhal un moyen unique,ou pour le moins incomparable, « d'atteindre au vrai »? Et s'il ne l'est plus, l'a-t-il au moins été un jour?Il faut remonter à Balzac pour voir le roman considéré comme une affaire sérieuse.

Avant lui, certes, on avait écritbien des romans, mais c'était là une question de peu d'importance, un genre mineur que Fénelon par exemple ne citemême pas dans la Lettre à l'Académie, bien qu'il soit personnellement l'auteur d'un magnifique roman pédagogique,les Aventures de Télémaque.

Le roman est destiné à divertir, à émouvoir les dames surtout, par la peinture desentiments exaltants et d'aventures peu communes; ou dans le meilleur des cas à faire réfléchir en présentant sousla forme plaisante d'un conte des vérités philosophiques.

Mais, pour être profond, Candide pas plus que les LettresPersanes ne cherche à se présenter autrement que comme une aimable fiction; s'il a des prétentions «philosophiques », il n'en a pas d'historiques, de géographiques ou de scientifiques en général.Avec Balzac, au contraire, les ambitions du roman ne connaissent plus de bornes : il ne s'agit pas moins que «d'embrasser à la fois l'histoire et la critique de la Société, l'analyse de ses maux et la discussion de ses principes »(Avant-propos à la Comédie Humaine).

Partant « d'une comparaison entre l'Humanité et l'Animalité », Balzac se veuten quelque sorte le zoologue de la Société de son temps, exposant dans un livre les différentes « espèces sociales »comme Buffon l'avait fait avec les « espèces zoologiques »; il prétend non seulement faire oeuvre vraie, mais utile,combler une lacune dans les oeuvres de la science historique : « En lisant les sèches et rebutantes nomenclaturesde faits appelées histoires, qui ne s'est aperçu que les écrivains ont oublié, dans tous les temps, en Égypte, enGrèce, à Rome, de nous donner l'histoire des moeurs.

» La Comédie Humaine ne se veut pas oeuvre de fiction, maisfidèle transcription de la vérité de la société elle-même et dans son ensemble « La Société française allait êtrel'historien, je ne devais être que le secrétaire.

» Mais dit encore Balzac, « comment rendre intéressant le drame àtrois ou quatre mille personnages que présente une Société »? Au moyen, dit-il « d'un genre de compositioninjustement appelé secondaire », en faisant « concurrence à l'État Civil » par la création de « personnages dontl'existence devient plus longue, plus authentique que celle des générations au milieu desquelles on les fait naître,mais qui ne vivent qu'à la condition d'être une grande image du présent ».

Walter Scott qui, selon Balzac, avait enagissant ainsi « élevé à la valeur philosophique de l'histoire le roman » n'avait eu qu'un défaut : « il n'avait passongé à relier ses compositions l'une à l'autre de manière à coordonner une histoire complète, dont chaque chapitreeût été un roman et chaque roman une époque ».

C'est au contraire ce que va tenter Balzac : « En dressantl'inventaire des vices et des vertus, en rassemblant les principaux faits des passions, en peignant les caractères, enchoisissant les événements principaux de la Société, en composant des types par la réunion des traits de plusieurscaractères homogènes, peut-être pourrais-je arriver à écrire l'histoire oubliée par tant d'historiens, celle des moeurs.»Les «Études de moeurs » qui forment « l'assise pleine de figures » de la Comédie Humaine (les « Étudesphilosophiques » puis les « Études Analytiques » tentant sur cette base de démontrer les mobiles profonds desmouvements de l'édifice social) se présentent donc comme une peinture exhaustive de la société contemporaine deBalzac, non pas suivant un ordre chronologique qui mettrait surtout en valeur les faits évoqués, depuis la RévolutionFrançaise jusqu'à la Monarchie de Juillet, mais suivant une classification logique en ces divisions « si naturelles », ditBalzac, que sont « les Scènes de la vie privée, de province, parisienne, politique, militaire, de campagne ».

On peutdonc dire que Balzac enrichit considérablement notre connaissance de la première moitié du XIXe siècle et l'oncomprend le goût pour son oeuvre du public et de la critique marxistes bien qu'il ait été un fidèle « soutien du trôneet de l'autel » : en produisant une peinture inimitable et vraie de la société française à l'époque de la naissance ducapitalisme, Balzac n'est pas seulement un artiste, c'est-à-dire un personnage somme toute assez inutile; il est un «témoin de son temps » il fait progresser la connaissance scientifique et mérite ainsi, malgré lui, l'estime due àl'homme de progrès.

C'est là; bien sûr, une façon de lire l'oeuvre de Balzac, et ce n'est pas la seule.

Mais à toutprendre, bien des romans antérieurs à ceux de Balzac peuvent ainsi être pris dans une certaine mesure, pour destémoignages sur la société de leur époque.

Le Satyricon, le plus ancien texte que nous possédions (en partieseulement hélas! du fait du peu de goût pour cet ouvrage des copistes du Moyen Age) et qui puisse sans tropd'artifice être qualifié de roman, est au premier chef un merveilleux récit d'aventures, dont la lamentable adaptationcinématographique ne donne hélas aucune idée, mais aussi un « document » sur la vie quotidienne dans lesdifférentes classes sociales du monde romain, dont on peut faire une lecture historique ou même sociologique.

Lesromans picaresques espagnols (Lazarillo de Tormes, Guzman d'Alfaracho, etc.) ou français (Gil Blas, la Vie deMarianne, le Paysan parvenu, le Diable boiteux par exemple) présentent eux aussi les pérégrinations de leurs héros àtravers différents milieux décrits généralement avec une grande exactitude.

De même les romans de Fielding ou deSmollett donnent de la société anglaise du XVIIIe siècle une image pittoresque et criante de vérité.Pourquoi dès lors Balzac est-il considéré comme à ce point novateur? Sans doute est-ce parce qu'il est le premier àfaire des milieux sociaux qu'il étudie non plus de simples décors plus ou moins bien observés et rendus, et danslesquels évoluent dés personnages dont les aventures font en réalité tout l'intérêt de l'ouvrage, mais la véritablematière de l'oeuvre elle-même.

C'est pourquoi les descriptions prennent chez Balzac une telle importance : il fautque le lecteur soit persuadé que les choses qu'on lui présente sont vraies, que ce monde de fiction qu'est le romanaboutit à une représentation de la réalité parfaitement véridique et « objective ».

C'est pourquoi aussi l'observation,plus encore que l'imagination devient avec Balzac la qualité essentielle du romancier.

Il la définit ainsi dans FacinoCane : « Chez moi, l'observation était devenue intuitive, elle pénétrait l'âme sans négliger le corps; ou plutôt, ellesaisissait si bien les détails extérieurs qu'elle allait sur-le-champ au-delà, elle me donnait la faculté de vivre de la vie. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles