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Le roman français au milieu de l’entre-deux-guerres

Publié le 14/01/2018

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qui veut attirer l'attention sur des inconnus, sait aussi monter en épingle les valeurs acquises. Le public qu'elle façonne reste le même : public bourgeois de culture moyenne, qui est un peu désarçonné, par exemple, par la souplesse intellectuelle de Jean Giraudoux, mais qui applaudit de confiance à ses prouesses, et même, en s'appliquant un peu, y prend du plaisir. Il y a, chez Colette, un curieux accord entre son univers, comme on dit, et les goûts du public de 1930 : il a de la sympathie pour ses mauvais garçons, pour l'amour maternel qu'on leur porte, pour la tristesse des passions comblées, pour la fraîcheur des sensations et l'amour des bêtes. Le public chrétien considère avec respect les drames religieux de Bernanos, mais il fait surtout ses délices des conflits mauriaciens, davantage à sa portée, entre la haine et la charité, entre les tourments de la chair et la nostalgie de la pureté. Ce public bourgeois de l'entre-deux-guerres, un peu las de l'inquiétude, toujours friand d'évasion, curieux de connaître un monde qu'il n'a pas encore le loisir d'explorer en touriste, dévore les romans qui le transportent en Amérique, en Afrique, en Asie. Il n'y cherche point, en général, la peinture des tensions qui portent en germe les révolutions de demain ou les guerres d'indépendance d'après-demain ; il veut du pittoresque. Dans ce monde que les romanciers, en voyageurs pressés, parcourent en tout sens, il y a des plaies qu'ils ne débrident jamais. Au demeurant, le goût de l'aventure géographique, comme de l'évasion poétique ou fantastique, est en rapport avec une sorte d'impuissance à assumer le réel. Ce qui fut le sujet de prédilection du public des années trente, c'est le conflit entre l'individu et la famille, entre le goût de la vie libre et le poids des traditions. Combien de romans, depuis le Saint-Saturnin de Schlumberger jusqu'aux Hauts-Ponts de Lacretelle, sont l'histoire d'un domaine familial ! Combien de romans sont l'histoire d'une famille bourgeoise, victime de ses divisions, de ses jalousies, en proie à des disputes d'héritage, inquiète de son avenir, et de l'avenir de ses biens ! Le génie de Mauriac, dans Le Nœud de vipères, a été d'évoquer un tel conflit à travers la conscience de celui qui doit mourir — et dans une lumière d'outre-tombe. Les Loups de Guy Mazeline, en 1932, c'était aussi l'histoire d'une famille qui se disloque. Maurois a su opposer aux valeurs traditionnelles, dans Le Cercle de famille, la libre vie d'une héroïne des temps nouveaux, qui s'accommode fort bien de ce qui n'est même plus, à ses propres yeux, une déchéance. Ce thème de l'individu et de la famille, apparaît encore dans Les Enfants gâtés de Philippe Hériat. Il y avait dans tout cela l'écho lointain du Familles, je vous hais d'André Gide, et, plus profondément, le reflet d'une transformation des mœurs, dont on peut regretter qu'elle ait été évoquée, souvent, dans un cadre trop étroit. Il est vrai que beaucoup de romanciers, dans la production courante, ont continué à peindre, comme l'observait Pierre Jourda dans le sévère bilan qu'il dressait il y a une vingtaine d'années1, les filateurs d'Elbeuf, les vignerons bordelais, les financiers parisiens. Qui plus est, ils se contentaient de les peindre dans ce que leur vie quotidienne avait d'étroit, non dans les forces profondes qui les menaient.

Il peut sembler paradoxal, à première

 

et la continuité des carrières vue, d'opérer une coupure au beau milieu

 

de l'entre-deux-guerres. Les romanciers qui ont connu leurs premiers succès au lendemain de l'armistice continuent, pour la plupart, à traiter selon leur manière les thèmes qui leur sont chers. Et il arrive fréquemment que les débutants ne répugnent guère à écrire selon d'anciennes formules. On voyait, dans les années trente, Jean Blanzat, Charles Mauban, et beaucoup d'autres, écrire de subtils romans d'analyse sentimentale. Robert Francis, qui donnait à plusieurs romans le titre trompeur d'Histoire d’une famille sous la Troisième République, ne proposait guère des études de mœurs ; il était moins l'héritier de Zola que celui d'Alain-Fournier : dans La Grange aux trois belles, il atteignait un charme poétique qui n'était pas sans évoquer Le Grand Meaulnes. Guy de Pourtalès donnait, en 1937, avec La Pêche miraculeuse, une étude de mœurs conçue selon les formules anciennes. Le roman de l'enfance poursuivait sa carrière : de L’Enfant inquiet d'André Obey, en 1919, à La Maison des Bories de Simone Ratel, en 1932, la lignée était singulièrement riche. Le roman fantastique connaissait encore de beaux succès. A la suite de Rosny aîné, qui avait jadis écrit La Mort de la terre, Jacques Spitz publiait en 1935 L’Agonie du globe. André Maurois reprenait, dans les années trente, avec Le Peseur d’âmes (1931), La Machine à lire les pensées (1936), les thèmes et les procédés d'un fantastique terrifiant auquel Rosny et Wells avaient donné ses lettres de noblesse. Le roman historique, toujours en procès, retrouvait sans cesse des succès : tel le Nez-de-cuir de Jean de la Varende, en 1937. Toute une lignée du roman d'aventure subsiste après 1930 : par-delà Cendrars, Mac Orlan ou Gilbert de Voisins, elle remonte aux romans anglo-saxons de Kipling, de Stevenson, de Jack London, de Conrad ; Fauconnier obtint, en 1931, un beau succès avec Malaisie. Il y avait des reportages un peu didactiques dans les romans que Luc Durtain consacrait à l'étude de la civilisation américaine : Quarantième Étage (1927), Hollywood dépassé (1928), France et Marjorie (1934). L'Espagne offrait à Joseph Peyré, en 1935, le cadre de Sang et Lumière. Il avait, en 1931, évoqué l'Afrique avec L’Escadron blanc, qui était peut-être son meilleur livre. On continue, dans les années trente, à conter les inquiétudes de l'adolescence, les troubles de la conscience religieuse, les conflits entre l'individu et la famille. Certes, le roman populiste, vers 1930, constituait une saine réaction contre une littérature de l'intériorité et de l'inquiétude qui avait marqué la première décennie de l'après-guerre. Mais Léon Lemonnier, avec La Femme sans péché, André Thérive avec Sans Ame ou Anna, loin d'être des précurseurs, retrouvaient la tradition estimable d'un naturalisme élargi et assagi qui, de Zola à Eugène Dabit ou à Maxence Van der Meersch, passait par Gustave Geffroy qui avait écrit, avec L’Apprentie en 1905, et Cécile Pommier en 1923, le simple et beau roman d'une petite ouvrière.

 

Des années vingt aux années trente, ce ne sont pas seulement les anciennes formules qui subsistent, ce sont bien souvent les mêmes carrières qui conti-

« souvent ? A côté de ce roman littéraire qui, bon an, mal an, produ it un ou deux beaux livres, il y a une vaste industrie du roman.

Jamais l'ex pression ancienne de littérature industrielle ne fut plus appropriée.

Toute une littérature de consommation s'étale dans les kiosques des gares : à côté des romans destinés à la jeunesse, il y a le roman-feuille ton, le roman policier, le roman d'amour.

Les collections distribuent tant bien que mal cette immense production en série.

Il va de soi que la plus grande partie de cette littérature commerciale ne relève guère du jugement critique, et concerne encore moins l'historien des lettres.

On aurait tort, pourtant, de la traiter à la légère.

Des travaux collectifs pourraient, avec profit, s'attacher à répertorier ses thèmes et ses procédés, à déterminer ses implications socio­ logiques, à analyser son contenu intellectuel et le rôle qu'il joue dans l'évo­ lution des mentalités.

D'autre part, la démarcation entre le roman littéraire et le roman de consomm ation est parfois difficile à tracer.

Pourquoi les œuvres les plus belles seraient-e lles obligatoirement les moins lues ? Pourquoi le grand succès devrait-il, a priori, susciter la méfiance ? Il n'y a, en ce domaine, que des cas d'espèce.

Où classer Simenon, par exemple ? Dès ses débuts, il apparut comme le plus prodigieu sement doué des roma nciers.

Ses innom­ brables succès, avec des œuvres de confection, sont-ils l'envers séduisant et facile de ce qui aurait pu être le sommet romanesque de ce temps ? Telles qu' elles sont, ses meilleures œuvres se situent déjà au niveau de la réussite littéraire.

Elles offrent une gamme de procédés techniques qu'il vaudrait la peine de recenser et d'ét udier.

Comme le suggérait Maurice N adeau, il faut renoncer à la. »

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