Le roman naturaliste ne se livre-t-il pas à une déformation et à une simplification de la réalité ?
Publié le 17/01/2022
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LE SUJET se présente sous la forme d'une question. Celle-ci contient une critique qui a pu être adressée au roman naturaliste : il présente des personnages grossièrement analysés, un contexte social schématisé, parce qu'il veut démontrer, appliquer une méthode se voulant scientifique. Le sujet vous invite à mesurer la validité de cette critique. En même temps, le naturalisme est indissociable du réalisme. Il faut à coup sûr partir de ce constat, puis s'interroger sur les termes de « déformation « et de « simplification «. Le roman de Zola que vous avez étudié, prioritairement celui-ci - même si des références à d'autres romans sont possibles -, procède-t-il à une simplification des caractères et des situations ?
«
Quelques membres de la famille échappent à la malédiction de l'hérédité, quelques éléments sains qui perpétuentl'espèce.
Transition
On a pu cependant juger que l'application de ces lois scientifiques —mais aujourd'hui fortement démenties — avaitquelque chose de mécanique et ne rendait pas compte de l'âme humaine.
Qu'en est-il de cette déformation ?
IL Un univers social simplifié
Incontestablement, d'autres romanciers nous éclairent davantage sur la complexité de l'être humain sans négligerpour autant la peinture d'un milieu Mauriac dans Thérèse Desqueyroux ou Gide dans Les Faux-monnayeurs sont infiniment plus précieux que Zola, si l'on veut comprendre la haine de l'individu pour son milieu
Un monde manichéen
Les personnages de Zola peuvent se répartir en deux catégories : ceux dont l'énergie, l'ambition, le cynismeassurent la réussite, ceux qu'une faiblesse secrète et congénitale destine à l'échec et à l'anéantissement.
Enbref, les forts et les faibles.
Dans L'Oeuvre, Fagerolles représente le premier camp, mais aussi l'écrivain plein d'ardeur et de générosité, Pierre Sandoz, Claude est, on l'a vu, écrasé par l'hérédité et entraîne dans sa chuteChristine.
Un univers manichéen, opposant moins les bons aux mauvais que les forts en bonne santé aux faiblesfragiles, ne souffre pas les nuances, les soudains accès de doute et de vulnérabilité des forts, par exemple, lessursauts d'énergie et de vitalité des faibles.
La vision naturaliste impose ce manichéisme.
1.
L'illustration d'une thèse prime sur la peinture exacte et nuancée 2.
Il semble bien que la volonté de vérifier à tout prix une hypothèse, celle de l'influence de l'hérédité et du milieu,dicte l'invention romanesque et conduise à un schématisme psychologique.
En fait, c'est le romancier lui-même quisubirait le déterminisme ! On peut se douter dès les premiers chapitres de L'OEuvre que Claude Lantier sera terrassé par son angoisse, que son équilibre mental sera définitivement affecté par ses échecs multiples.
Le champ despossibles se ferme, le rôle du hasard, de la bonne fortune, dis
paraît.
Ce qui survient dans la vie du personnage n'est pas de l'ordre de l'accidentel.
On peut dire que lespersonnages zoliens contredisent ce que Paul Valéry reproche au roman : le caractère arbitraire, gratuit, dénué desens de chaque épisode de l'action.
Ici tout est nécessaire, tout conduit à l'anéantissement progressif dupersonnage.
Or c'est ce déterminisme qu'on peut qualifier de simpliste.
3.
Le déterminisme et le darwinisme induisent une représentation simplifiée
Par ailleurs, la partition que nous évoquions entre faibles et forts, ce combat au sein de la société qui se solde parl'écrasement politique, moral ou matériel des faibles, est une émanation de la théorie darwinienne appliquée non plusaux espèces animales et végétales mais à l'homme en société d'après Darwin, les éléments les plus sains, les plusrobustes, les plus habiles aussi, survivent seuls, s'adaptent au milieu Zola a lu Darwin et applique également sathéorie.
Cependant, il n'est pas interdit de penser que toute existence subit des influences diverses et complexes etqu'elle conserve en même temps une marge d'initiative, de liberté, qu'elle se forge en se dégageant progressivementde ces influences.
Un déterminisme rigide, systématique ne peut éclairer la réalité humaine.
Transition
Il faut bien admettre que la réalité sociale et psychologique que le roman naturaliste prétend étudier subit unealtération, une simplification.
Celle-ci ne permet-elle pas de considérer le roman non plus comme un documentinformatif mais plutôt comme un récit fabuleux, laissant libre cours à la rêverie ?
III.
De la déformation de la réalité à la vision mythique
Plutôt que de voir dans cette déformation une lacune du réalisme, considérons-la comme la manifestation forte del'imaginaire du romancier.
Tout se passe comme si Zola lui-même était fasciné par les lieux qu'il évoque, par lesforces fantastiques qui peuplent le monde supposé réaliste qu'il évoque.
1.
Des lieux réels aux lieux mythiques
Au fil du roman, quand se joue l'affrontement entre l'individu contre une force d'oppression, les lieux prennent une dimension fantastique.
Ils ne sont plus la copie docile du réel, mais agissent comme des personnages surhumainsqu'on rencontre dans les mythes et les légendes.
Ainsi, on a souvent souligné le caractère monstrueux de la mine dans Germinal, ce « puits dévorateur » qui avale « sa ration quotidienne d'hommes » est un Minotaure moderne au fond de son labyrinthe.
Les mineurs sont lesvictimes tragiques de la révolution industrielle, le tribut à payer au Progrès.
Dans L'OEuvre, c'est le dernier tableau de Claude dans son atelier qui prend la forme fantastique d'une idole.
»
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