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Le Rouge et le Noir : La fin du roman

Publié le 27/06/2015

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Sur la place d'armes de Strasbourg, à la tête du quinzième régiment de hussards, un des plus élégants de l'armée, caracole le chevalier de La Vernaye, monté sur le plus beau cheval de l'Alsace. Les chevaux, les uniformes, les livrées des gens de ce jeune lieutenant sont célèbres.

Qui reconnaîtrait le petit paysan en larmes sonnant à la porte de Mme de Rénal trois ans plus tôt?

De fait, Julien a parcouru un chemin immense. De charpentier, devenu précepteur, puis secrétaire particulier d'un grand seigneur, il doit sa fortune à la séduction de la fille de celui-ci : une inscription de dix mille livres de rente, puis des terres dans le Languedoc, et enfin un brevet de lieutenant de hussards et le titre de chevalier de La Ver-naye. M. de La Mole, d'abord outré de la conduite de Julien, finit par se résigner au mariage de sa fille et rêve de bâtir une brillante situation à ce gendre inattendu. En fait, son intelli­gence et son coeur l'ont adopté; il est significatif qu'il envisage de lui faire passer sa pairie, au détriment de son fils Norbert. Julien a donc tout ce dont il rêvait au début du roman : il a troqué le triste Sabit noir du prêtre et du secrétaire pour l'uniforme rouge des hussards, il a conquis la femme la plus belle et la plus spirituelle, il est riche, il est quasiment l'héri­tier d'un pair de France. Tout ce qui rappelait son origine a été effacé : il a appris à s'habiller comme un dandy, à danser, à se battre, à monter à cheval. Le changement de nom vient consacrer cette véritable mutation du personnage. Il n'est plus Julien Sorel, fils du charpentier de Verrières, il est M. de La Vernaye, fils naturel d'un grand seigneur. La fable de son origine bâtarde, mais noble, inventée autre­fois par le chevalier de Beauvoisis qui ne voulait pas avoir

tiré l'épée contre un manant, a été reprise à propos par M. de La Mole, et va être accréditée par ses soins. La recon­naissance implicite de sa haute naissance est acceptée par le puissant abbé de Frilair - moyennant le règlement du procès qui l'opposait à M. de La Mole. Voici donc Julien anobli, aussi bien dans l'opinion publique que sur les papiers officiels. Mais l'essentiel est que Julien se mette à croire lui-même à cette histoire : « Serait-il bien possible que je fusse le fils naturel de quelque grand seigneur exilé dans nos montagnes par le terrible Napoléon ? A chaque instant cette idée lui semblait moins improbable « (p. 51o). Lui qui était animé, au début du roman, du « feu sacré avec lequel on se fait un nom « (p. 102) en accepte un tout fait du père de la jeune fille qu'il a séduite. Noble, époux d'une femme noble, il va fonder une dynastie, et se projette déjà sur l'enfant à naître - qui ne saurait être qu'un fils, puisqu'il doit être le double fortuné de Julien. En apprenant qu'il est le chevalier de La Vernaye, « sa joie fut sans bornes. On peut se la figurer par l'ambition de toute sa vie, et par la passion qu'il avait maintenant pour son fils « (p. 508). On mesure la trahison de classe de Julien : il se rêve de sang noble. Corollairement, son dieu tutélaire, son modèle, Napoléon, « l'homme envoyé de Dieu pour les jeunes Fran­çais «, est devenu « ce terrible Napoléon «, terme dont se servent ses ennemis, les aristocrates. Objectivement, en acceptant la mission secrète que lui confie M. de La Mole, quand il est l'émissaire de la conspiration ultra, il travaille contre les « deux cent mille jeunes gens appartenant à la petite-bourgeoisie « et désireux de sortir de leur médiocrité, dont il faisait partie autrefois. Il s'étonne que les conspira­teurs ultra parlent franchement devant lui : « Comment dit-on de telles choses devant un plébéien ? « (p. 444). Mais c'est que ces conspirateurs ne se trompent pas sur son appar­tenance sociale réelle à l'époque où ils l'utilisent dans leur complot. Il n'a plus rien du « plébéien révolté « qu'il était à dix-huit ans; insidieusement, lentement, il est devenu l'un des leurs. Et ils ont raison de lui faire confiance : il prend très au sérieux sa mission, il l'accomplit scrupuleuse­ment. Il a fait tout son possible pour que les étrangers viennent en France restaurer dans sa pureté l'Ancien Régime, et remettre à leur place tous ces jeunes gens pauvres et trop

LE CRIME DE JULIEN ET SES INTERPRÉTATIONS

Or, au moment où tout est gagné, voilà que tout est perdu ! Le marquis de La Mole reçoit de Mme de Rênal une lettre dénonçant Julien comme un vil hypocrite qui cherche à « disposer du maître de la maison et de sa fortune « en sédui­sant femme ou fille. Furieux de cette catastrophe imprévue, qui le frappe en plein triomphe, Julien se précipite à Ver‑

rières, achète des pistolets, et en tire deux coups, à l'église, sur Mme de Rénal.

 

Ce brusque rebondissement de l'intrigue a déconcerté, voire indigné les critiques. « Le dénouement du Rouge et le Noir est bien bizarre, et, en vérité, un peu plus faux qu'il n'est permis (...) tous les personnages perdent la tête (...) Julien, l'impeccable ambitieux, l'homme de sang-froid effrayant et de volonté imperturbable, est le plus insensé de tous « écrit Faguet (Revue des Deux-Mondes, 1892) qui voit dans cette fin « une condamnation de l'auteur «. Léon Blum a un juge­ment analogue : « On ne conçoit de la part de Julien ni jalousie ni désir de vengeance « et il ne trouve qu'une explication à cette fin aberrante : Stendhal a suivi le canevas historique. Berthet, « modèle « de Julien, ayant voulu assassiner, Julien en fait autant, au détriment de la vraisemblance psychologique.

« tiré l'épée contre un manant, a été reprise à propos par M.

de La Mole, et va être accréditée par ses soins.

La recon­ naissance implicite de sa haute naissance est acceptée par le puissant abbé de Frilair -moyennant le règlement du procès qui l'opposait à M.

de La Mole.

Voici donc Julien anobli, aussi bien dans l'opinion publique que sur les papiers officiels.

Mais l'essentiel est que Julien se mette à croire lui-même à cette histoire : " Serait-il bien possible· que je fusse le fils naturel de quelque grand seigneur exilé dans nos montagnes par le terrible Napoléon? A chaque instant cette idée lui semblait moins improbable " (p.

510).

Lui qui était animé, au début du roman, du " feu sacré avec lequel on se fait un nom '' (p.

102) en acceptè un tout fait du père de la jeune fille qu'il a séduite.

Noble, époux d'une femme noble, il va fonder une dynastie, et se projette déjà sur l'enfant à naître -qui ne saurait être qu'un fils, puisqu'il doit être le double fortuné de Julien.

En apprenant qu'il est le chevalier de La Vernaye, " sa joie fut sans bornes.

On peut se la figurer par l'ambition de toute sa vie, et par la passion qu'il avait maintenant pour son fils " (p.

508).

On mesure la trahison de classe de Julien : il se rêve de sang noble.

Corollairement, son dieu tutélaire, son modèle, Napoléon, " l'homme envoyé de Dieu pour les jeunes Fran­ çais "' est devenu " ce terrible Napoléon "' terme dont se servent ses ennemis, les aristocrates.

Objectivement, en acceptant la mission secrète que lui confie M.

de La Mole, quand il est l'émissaire de la conspiration ultra, il travaille contre les " deux cent mille jeunes gens appartenant à la petite-bourgeoisie " et désireux de sortir de leur médiocrité, dont il faisait partie autrefois.

Il s'étonne que les conspira­ teurs ultra parlent franchement devant lui : " Comment dit-on de telles choses devant un plébéien? " (p.

444).

Mais c'est que ces conspirateurs ne se trompent pas sur son appar­ tenance sociale réelle à l'époque où ils l'utilisent dans leur complot.

Il n'a plus rien du " plébéien révolté " qu'il était à dix-huit ans; insidieusement, lentement, il est devenu l'un des leurs.

Et ils ont raison de lui faire confiance : il prend très au sérieux sa mission, il l'accomplit scrupuleuse­ ment.

II a fait tout son possible pour que les étrangers viennent en France restaurer dans sa pureté l'Ancien Régime, et remettre à leur place tous ces jeunes gens pauvres et trop -47 -. »

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