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LE STYLE DE BALZAC

Publié le 05/04/2011

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   Emile Faguet, à qui l'on peut tant reprocher quant au style, écrit dans son Balzac, en tête de son chapitre sur le style : « Tout le monde tombe d'accord que Balzac écrivait mal. Il n'y a pas à redresser l'opinion sur ce point. Il écrivait mal. «    On le voit, le jugement est sans appel. Doumic, Lemaître (pour prendre les critiques célèbres de la fin du XIXe et du début du XXe siècle), lui ont emboîté le pas. Avant lui Sainte-Beuve avait recherché, noté, et soigneusement souligné les « fautes « de style de Balzac.    Sainte-Beuve et Faguet (et leur suite) ont raison. Ils ont épluché impitoyablement les milliers de pages de La Comédie Humaine, ce que Victor Hugo appelait « chercher les poux dans la crinière d'un lion «, et tout ce qu'ils disent est vrai. On trouve en abondance chez Balzac des fautes grammaticales, des fautes de syntaxe, des impropriétés de termes, des lourdeurs, des longueurs, des phrases mal construites, de l'amphigouri, du galimatias. C'est entendu.    Disons d'abord qu'il ne pouvait en être autrement étant données les conditions matérielles et intellectuelles de la création balzacienne que nous avons déjà étudiées. Disons ensuite que Balzac connaissait ses imperfections, qu'il en souffrait, et qu'il souhaitait ardemment les corriger. Il écrivait à sa sœur à propos du Médecin de campagne : Dis-moi tous les endroits qui te sembleront mauvais et mets les grands pots dans les petits, c'est-à-dire : si une chose peut être dite en une ligne ou deux, essaie de faire la phrase.   

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« — Ah ! ça, mon cher Nathan, quel galimatias me faites-vous là? demanda la marquise étonnée. — Madame la marquise, répondit Nathan, vous ignorez la valeur de ces phrases précieuses.

Je parle en ce momentle Sainte-Beuve, une nouvelle langue française. On a dit que bien des scènes de Balzac sont d'une qualité égale à celle des plus grands auteurs dramatiques,Shakespeare, Corneille, Racine ou Molière.

C'est vrai dans l'ensemble, mais le dialogue de Balzac n'a pas le raccourcidu théâtre, il est modelé sur le dialogue habituel et réel, d'où son échec dans le genre dramatique.

Notons pour mémoire les tragiques dialogues du Père Goriot, de La Rabouilleuse, de La Cousine Bette, des Chouans,de Splendeurs et Misères des Courtisanes, du Colonel Chabert, de l'Histoire des Treize, du Lys dans la Vallée. D'autres dialogues sont franchement comiques, avec « l'esprit de blague » de l'époque, ses calembours, sesproverbes retournés : Un début dans la vie, La Muse du Département, Les Comédiens sans le savoir, La Femme deTrente ans (la scène avec Crottat, le notaire gaffeur). Enfin tous les dialogues d'affaires, de discussions d'intérêts, les véritables combats oratoires où l'enjeu est unefortune, une situation, l'honneur d'une famille, sont menés avec une précision, une sûreté, une sciencepsychologique que nul écrivain n'a jamais dépassées (Eugénie Grandet, L'Interdiction, Béatrix, César Birotteau, LeColonel Chabert, Le Contrat de Mariage, Les Paysans). Les comparaisons.

Le style de Balzac est extrêmement imagé, les comparaisons y sont particulièrement abondanteset heureuses, surtout dans les portraits.

Comme le font de nos jours, d'une façon très directe et vivante, lesmeilleurs écrivains américains, il emprunte volontiers ses termes de comparaison au règne animal et au règnevégétal. Par exemple : le Cousin Pons a une face grotesque en forme de potiron ; l'illustre Gaudissart : une figure rondecomme une citrouille; Clotilde de Grandlieu : sa taille sèche et mince ressemblait parfaitement à l'asperge; le pèreGrandet est comparé au tigre et au boa, sa servante Nanon à un dogue, le Président Cruchot à un dindon; Gobseckl'usurier est une araignée; la baronne de Nucingen dans La Maison Nucingen : cette fleur si bien conservée avait prisl'aspect d'une rose froide et grippée, qui reste unique dans son buisson au mois de novembre. Lorsqu'il veut décrire quelque rivalité, des commérages, des aspects de la vie de province, Balzac peint directement,sans métaphores, sans bavures, et d'un trait rapide, coloré, où chaque mot est nécessaire : Essayez donc de voussoustraire à ce bavardage incessant qui, dans la dernière bourgade, scrute les actions les plus indifférentes, compteles plats de dessert chez le préfet et voit les côtes de melon à la porte du petit rentier, et qui, tous les soirs, aucoin du foyer, estime les fortunes du canton, de la ville, du département.

(Modeste Mignon) On pourrait citer de même de longs extraits des Paysans et du Curé de Village, singulièrement dans cette dernièreœuvre, les passages relatifs à la police bénévole que constituent les habitants désœuvrés d'une ville de province. Le rythme.

On a pu voir déjà dans tous les exemples que nous avons donnés du style de Balzac, (du grand style),que ce style obéissait à un rythme.

Albert Thibaudet le compare à la marche lourde et sûre d'une puissante armée.C'est vrai pour l'ensemble, pour l'impression générale que l'on garde après la lecture des œuvres aussi denses, aussiimpitoyables, aussi tragiques que Le Père Goriot, La Fille aux yeux d'or, Une ténébreuse Affaire, La Rabouilleuse oules dernières parties de Splendeurs et Misères des Courtisanes.

L'auteur nous force à suivre la rude cadence de saprose qui exprime si vivement, si violemment les drames humains jusqu'à leurs paroxysmes.

Mais dans les passagesparticuliers, où Balzac s'abandonne à de fraîches impressions ou à des descriptions poétiques, le rythme soupledonne à la phrase cette harmonie que nous avons déjà signalée : Durant la belle saison de la vie, certaines illusions,de blanches espérances, des fils argentés descendent des deux et y remontent sans avoir touché la terre.

(Préfaced'Eugénie Grandet) Mais, quel que soit l'objet dont la prose balzacienne nous propose la description, le rythme est respecté et on yretrouve toujours la gradation qui, de mot en mot, chacun d'eux participant à l'effort final, nous achemine vers lecaractère ou le trait essentiel. La langue.

Nous avons vu en quelle estime Taine tenait la langue de Balzac.

Faguet conteste vivement cette opinionfavorable, d'accord avec Sainte-Beuve.

Mais Balzac avait d'avance plaidé son procès : Nous sommes trois à Paris,disait-il, qui savons notre langue : Hugo, Gautier et moi. Ce que Balzac voulait dire par langue, traduisons-le par vocabulaire.

Il est certain que le vocabulaire balzacien estd'une extraordinaire richesse; c'est, a-t-on dit justement, « un vocabulaire d'encyclopédiste ».

Citons Claude Jamet,auteur d'une excellente étude sur Eugénie Grandet : « La peinture et la physiologie, l'histoire et la littérature, lecommerce et la mystique, l'art du tonnelier et la langue du Palais, (Balzac) paraît tout connaître.

Rien de comparableà la laborieuse érudition de Flaubert; jamais Balzac ne donne l'impression d'avoir puisé dans les dictionnaires ; sonénorme vocabulaire coule de source ; les mots les plus rares sous sa plume paraissent usuels.

Ce vocabulairebouillonnant, pléthorique, qui écraserait d'autres écrivains, Balzac le manie avec aisance.

». »

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