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LE STYLE DE BALZAC

Publié le 29/06/2011

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Exalté par les uns, attaqué par les autres en plus grand nombre, le style de Balzac soulève une question fort débattue. Un bref aperçu de sa complexité portera le lecteur à l'approfondir ; une simple mise au point des griefs sur lesquels se fonde une opinion de parti pris et trop généralisante, pourra solliciter un chacun d'entreprendre son enquête à travers La Comédie Humaine afin de porter un jugement personnel. Cela vaudra mieux que de répéter sur la foi d'autrui une formule d'emprunt. Je l'ai trop souvent entendue cette sentence prononcée avec une assurance imperturbable, « Balzac est un mauvais écrivain, son style est lamentable «. S'il m'arrivait de demander les motifs de cette sévérité, on alléguait neuf fois sur dix la réponse qu'adresse Henriette de Mortsauf à son admirateur Vandenesse, trop pressant, trop brûlant : « Ma confession ne vous a-t-elle donc pas montré les trois enfants auxquels je ne dois pas faillir, sur lesquels je dois faire pleuvoir ma rosée réparatrice et faire rayonner mon âme sans en adultérer la moindre parcelle. N'aigrissez pas le lait d'une mère ! « 

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« mentalité de chaque classe s'en est ressentie.

Etant le premier qui voulut embrasser cette diversité, il dut inventerun instrument d'une souplesse égale à ses analyses minutieuses ; des métaphores colorées pour rendre les moindresnuances du monde extérieur, le relief des traits saillants, signes physiognomoniques.

Laissons de côté les critiquessecondaires, pour nous attacher aux maîtres.Taine dans ses Nouveaux Essais de Critique et d'Histoire, s'arrête longuement au style de Balzac.

Cette brillanteétude parut d'abord au Journal des Débats, février 1858 ; elle fera toujours autorité.

Comme Sainte-Beuve, Tainedonne de nombreux exemples de style amphigourique.

Retenons celui-ci : « Caroline est une seconde édition deNabuchodonosor ; car un jour, de même que la chrysalide royale, elle passera du velu de la bête à la férocité de lapourpre impériale.

Cela veut dire qu'une femme bête peut devenir méchante.

Les filles de Gorgibus, parlaient ainsi ».Vers 1830, la jeune Ecole littéraire triomphait sur les tenants de l'esprit et de la tradition classiques et de la sobreordonnance.

Taine, après Sainte-Beuve, les oppose aux aspirations tumultueuses, aux sentiments capricieux, auxcuriosités les plus variées d'un vaste public, très mêlé.

Balzac n'a pas pour auditoire les habitués des salons, gensélégants, polis, discrets.

C'est à la foule qu'il s'adresse, à la foule bigarrée que traversent mille courants d'idées,remuée d'émotions jamais contenues.

Cette foule bruyante, secouée par tant de révolutions, s'intéresse aux notionsscientifiques, se mêle de politique, de finances, d'affaires.

A public nouveau, langage nouveau.

Et Taine de conclure« qu'il y a un nombre infini de styles...

autant que de siècles, de nations et de grands esprits...

la prétention dejuger tous les styles d'après une seule règle est aussi énorme que le dessein de réduire tous les esprits à un seulmoule et de reconstruire tous les siècles sur un seul plan...

Evidemment cet homme, quoi qu'on ait dit et quoi qu'ilait fait, savait sa langue ; même, il la savait mieux que personne ; seulement il l'employait à sa façon ».Tout le monde sait quels efforts prodigieux consumait Balzac pour atteindre ce qu'il croyait être la perfection dustyle : Théophile Gauthier, Des noires terres ont raconté de quelles corrections, surcharges, ratures il couvrait lesépreuves d'imprimerie : une feuille « devenait un tohu-bohu de renvois, un labyrinthe ».

Elle était sabrée de traitsbrefs et nerveux, criblée de surcharges, zébrée de lignes, constellée de signes.

Selon Th.

Gauthier, « on eût dit lebouquet d'un feu d'artifice dessiné par un enfant ».

Balzac exigeait sans cesse des épreuves successives : il lesremaniait constamment, si bien qu'il était la terreur des ouvriers typographes — mais aussi des éditeurs, à cause desfrais énormes que coûtent ces retouches.

Il arrivait qu'après ces modifications, la cinquième ou sixième épreuven'avait pas conservé un mot du texte primitif.

Pierrette, prétend Desnoiresterres, ne fut tirée qu'après la vingt-septième épreuve.

Cette application gâtait souvent son style : il arrivait que la première rédaction l'emportait sur ladernière.

Il ne sut point toujours ' éviter, comme le recommandait La Fontaine, un soin trop curieux,Et des vains ornements l'effort ambitieuxUn Auteur gâte tout en voulant trop bien faire. Cette boutade de Stendhal ne manque pas d'à-propos : « Je suppose qu'il fait ses romans en deux temps, d'abordraisonnablement, puis il les habille en style néologique avec les pâtiments de l'âme, il neige dans mon cœur et autresbelles choses ».Après Taine, les critiques n'ont guère fait que reprendre ses jugements, les uns, comme Faguet, pour aggraver lesdéfauts, les autres, comme Talmeyr, pour exalter les qualités de ce style, que d'aucuns louent et blâment dans unmême paragraphe.

Brunetière en souligne la convenance avec l'époque.

Bellessort, avec une verve enthousiaste envante la vie, la couleur, le vocabulaire étonnamment riche qui se plie aux rapports les plus imprévus entre les choseset les êtres.

Après avoir démontré la puissance de ce verbe prodigieux dans le portrait du cousin Pons, il encommente les expressions avec une justesse et un bonheur qui emportent notre assentiment et notre admiration, etnous admettons volontiers sa conclusion : « Nous n'avions rien de comparable dans notre littérature ».

Cettecritique ne se satisfait plus d'appréciations générales, de banalités : elle pénètre sa matière, elle soulève une à uneles merveilles, trouvailles de mots, par lesquelles vingt notions projettent sur le personnage, les faisceaux decouleurs les plus variées.

Ces rayons traversent son corps et font apercevoir les causes de sa manie, de safaiblesse — il est gourmand — de ses infortunes futures.

Devant ce résultat, on ne pense plus que Balzac « manquede style ».

Désormais on voudra jouir de cette magie verbale.

On ne prend plus le temps de sourire quand passentquelques impropriétés ou quelques autres vétilles, insupportables aux grammairiens : fétus que les yeux nedistinguent plus dans les bouillonnements du torrent lancé par un génie inspiré et sûr de ses effets.Il est trop aisé de s'arrêter à ce qui est critiquable dans le style de Balzac.

Personne ne conteste qu'il y ait dans sonœuvre immense des passages condamnables.

Ne voir que ceux-ci, y insister au détriment des pages trèsnombreuses où sa maîtrise d'expression atteint l'art parfait, n'est-ce pas céder à une tentation dénigrante ? Descritiques faillirent ainsi : Sainte-Beuve, Pontmartin, Caro, Lanson, Faguet, etc...

Taine a réhabilité l'écrivain.

Soninitiative intelligente ouvrit la voie à des enquêtes plus équitables.

Paul Fiat, dans ses Seconds Essais sur Balzac,montre comment les tendances du romancier, son don visuel, sa puissance d'observation et d'émotion, sa curiositéscientifique et philosophique, le fourmillement de ses connaissances, son imagination sympathisant avec toutes lesformes de la vie sensuelle et morale, ses intuitions poétiques, tous moyens servis par une richesse verbaleextraordinaire, assuraient à Balzac la précellence du génie.

Quand il écrivait, l'abondance de ses points de vueexigeait une tension dans l'effort qu'on sent en le lisant.

Mais cet effort sauvegardait son talent d'écrivain, lemaintenait au niveau des artistes les plus accomplis.

Quand cet effort n'aboutissait pas, la plume vacillait,chancelait, se traînait lourdement : on pense à l'homme égaré sur un terrain marécageux.

Pour ingénieuse qu'ellesoit, cette raison psychologique ne quitte pas les arcanes spéculatives, et, n'apportant rien de positif, ne fait pasavancer la connaissance.Il faut souhaiter que la critique persévère dans la voie où l'a engagée M.

Gilbert Mayer avec son étude approfondie,La Qualification affective dans les romans d'Honoré de Balzac.

Il montre que l'écrivain a su varier ses effets par. »

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