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Le style de La Bruyère

Publié le 13/02/2012

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Au témoignage du Buffon, "les livres bien écrits passent seuls à la postérité". Est-il étonnant dès lors que les Caractères de La Bruyère aient gardé jusqu'aujourd'hui les préférences des lettrés, sur tant d'ouvrages où les auteurs, avaient, eux aussi, esquissé avec humour et vérité, les moeurs de leur siècle ? Non pas certes que la matière du livre des Caractères soit, comparée au style, de qualité inférieure et banale; elle est de celles qui ont le don d'intéresser toujours. D'une part, les grandeurs de cette époque illustre éveillent en nous une noble émotion où se mêle, à la joie des pessimistes, une goutte d'amertume née d'une comparaison humiliante pour notre temps; puis à la vue des petitesses du xviie siècle, escorte inévitable de ses grandeurs, notre médiocrité jalouse et vindicative s'épanouit d'aise et goûte une joie maligne, à fine saveur de médisance et de revanche. C'est pour La Bruyère double mérite....

« La cause de ce morcellement, est-ce impuissance ou calcul? Impuissance, pensons-nous; et nous en avons pour preuve l'empressement meme avec lequel l'auteur s'en defend et la gaucherie dont il le fait, puis la nature de son observation qui revele un esprit plus penetrant qu'etendu.

En tout cas, it sait tirer bon parti de cette faiblesse meme, puisque grace a l'absence d'un plan etroitement none, it pent a loisir tallier et sertir ses pierres fines; surtout it pent suivre vingt ans durant les transformations des mceurs et nous donner ainsi, de la societe du grand siècle, tine image toujours plus complete. Mais si l'ensemble de son oeuvre nous apparait d'abord comme une sorte de marqueterie dont rimpression est papillotante, tons ces details, a la longue et dans.Ie repos de la memoire, poses stir an sent plan, se penetrent, se fondent et s'organisent d'eux-memes; de grandes lignes se dessinent, les masses s'accusent, la perspective se creuse, et finalement apparait un tableau fidele et précis du xviie siecIe, le plus précis peut-titre et le plus fidele que cette époque nous alt laisse d'elle-meme. Ce portrait, nous le retrouvons sans doute en feuilletant tragiques, comiques ou predicateurs du temps; mais outre que les uns et les autres sont genes par les lois etroites de leur genre, peindre la realite est pour eux un moyen, non une fin.

II en resulte qu'ils la transposent pint& qu'ils ne la traduisent.

Qu'on le veuille ou non, les personnages de Moliere touchent en somme a la caricature, tandis que les hems de Corneille sont de ceux qui hantent les reves romanesques d'un Alceste.

Par ailleurs, it y a certainement du realisme dans Racine; mais combien parvierment a l'y decouvrir sous la draperie solennelle du style? Quant aux predicateurs, si leurs sermons ou leurs oraisons funebres impliquent tine connaissance profonde de la societe contemporaine, its ne renferment souvent que des allusions claires pour leurs auditeurs, mais qui resteraient obscures pour nous si d'autres ouvrages n'etaient lit pour les eclairer.

La Bruyere adopte an contraire un genre qui ne l'astreint point a des regles meticuleuses; it n'a qu'un but, reproduire au plus pres ce monde qui l'entoure.

Et si l'on songe, connait comme pas un son métier d'ecrire, est-il etonnant qu'il alt, mieux que personne, reussi dans son entreprise? Comment ce moraliste a-t-il compris la technique du métier d'ecrivain? Quel est son style? -11 n'a pas ce style a longue traine dont les souples periodes se plient et se replient en ondulations majestueuses, et qui sled si bien au genie de Bossuet ou de Racine.

Sa pensee, née d'une observation le plus souvent familiere, se sentirait mat a l'aise sous l'ampleur de ces formes; it lai faudrait s'y guinder en des attitudes empesees et ridicules. De plus, comme elle est en meme temps le produit &heat, subtil parfois, d'une analyse tres &Ilk, elle courrait risque de tomber dans l'obscurite; l'esprit du lecteur ne parvenant pas d'un regard a l'embrasser dans toute son etendue, s'egarerait dans le labyrinths de la phrase.

Ainsi en avait-il tits des petits auteurs sortis de l'hotel de Rambouiltet.

Puisque La Bruyere tie presente it la fois qu'une parcelle exigue de verite, it n'avait done besoin que de phrasettes menues, et d'ordinaire toutes simples et unies : sujet, verbe, attribut.

A travers leur transparence limpide, on l'apercoit, cette parcelle, nette d'angles et de contours.

Chose curieuse! nous retrouvons dans la structure elementaire de to phrase de La Bruyere quelque chose de l'apparence brisee de l'ensemble.

Sauf de rares exceptions, qu'on Use une page de l'un quelconque des ecri- vains illustres du grand siecle, les idees semblent naitre Tune de l'autre; cues s'enlacent, se poussent d'un mouvement plein d'aisance; un souffle large et puissant les emporte et nous emporte avec elles.

L'impression que nous laisse la lecture d'un chapitre des Caracteres est toute differente : l'allure est saccadee, bondissante; nulle part tine tette sobriete dans I'emploi des copulatifs, conjonctions et locutions transitives; les phrases s'egrenent le plus souvent sans liaisons verbales.

Au lecteur de les nouer dune it l'autre et de retablir l'enchainement invisible.

De la, une tension d'esprit qu'il est necessaire de renouveler it tout moment, et c'est, sur une route plane et fort belle d'ailleurs, comme une pierre faudrait ranger a chaque pas.

II est vrai que chacun de ces efforts est amplement pays par la secousse agre.able qu'imprime it l'intelligence l'idee jamais banale, toujours claire et presentee d'une maniere piquante.

En definitive cependant, menus efforts et menues secousses se resolvent en une sorte de trepidation qui, d'abord delicieuse, devient vite fatigante. La cause de ce morcellement, est-ce impuissance ou calcul? Impuissance, pensons-nous; et nous en avons pour preuve l'empressement même avec lequel l'auteur s'en défend et la gaucherie qpnt il le fait, puis la nature de son observation qui révèle un esprit plus pénétrant qu'étendu.

En tout cas, il sait tirer bon parti de cette faiblesse même, puisque grâce à l'absence d'un plan étroitement noué, il peut à loisir tailler et sertir ses pierres fines; surtout il peut suivre vingt ans durant les transformations des mœurs et nous ~onner ainsi, de la société du grand s\ècle, une image toujours plus complete.

Mais si l'ensemble de son œuvre nous apv.arait d'abord comme une sorte de marqueterie dont J'impression est papillotante, tous ces détails, à la longue et danSo le repos de la mémoire, posés sur un seul plan, se pénètrent, se fondent et s'organisent d'eux-mêmes; de grandes lignes se dessinent, les masses s'accusent, la persl?ective se creuse, et finalement apparaît un tableau fidèle et précis du xvn• siècle, le plus précis peut-être et le plus fidèle que cette époque nous ait laissé d'elle-même.

Ce portrait, nous le retrouvons sans doute en feuilletant tragiques, comiques ou prédicateurs du temps; mais outre que les uns et les autres sont gênés par les lois étroites de leur genre, peindre la réalité est pour eux un moyen, non une fin.

Il en résulte qu'ils la transposent plutôt qu'ils ne la traduisent.

Qu'on le veuille ou non, les personnages de Molière touchent en somme à la caricature, tandis que les héros de Corneille sont de ceux qui hantent les rêves romanesques d'un Alceste; Par aiHenrs, il y a certainement du réalisme dans Racine; mais combien parvienn.ent à l'y découvrir sons la .

draperie solennelle du style? Quant aux prédicateurs, si leurs sermons ou lt.>urs oraisons funèbres impliquent une connaissance profonde de la société contemporaine, ils ne renferment souvent que des allusions claires pour leurs auditeurs, mais qui resteraient obscures pour nous si d'autres ouvrages n'étaient là pour Jes éclairer.

La Bruyère adopte au contraire un genre qui ne l'astreint point à des règles méticuleuses; il n'a qu'un but, reproduire au plus près ce monde qui l'entoure.

Et si l'on songe, qu'il connaît comme pas un son métier d'écrire, est-il étonnant qu'il ait, mieux que personne, réussi dans son entreprise? Comment ce moraliste a-t-il compris la technique du métier d'écrivain? Quel est son style? - li n'a pas ce style à longue traîne dont les souples périodes se plient et se replient en ondulations majestueuses, et qui sied si bien au génie de Bossuet ou de Racine.

Sa pensée, née d'une observation le plus souvent familière, se sentirait mal à l'aise sous l'ampleur de ces · formes; il lui faudrait s'y guinder en des attitudes empesées et ridicules.

De plus, comme elle est en même temps le produit déhcat, subtil parfois, d'une analyse très déliée, elle courrait risque de tomber dans l'obscurité; l'esprit du lecteur ne parvenant pas d'un regard à l'embrasser dans toute son étendue, s'égarerait dans le labyrinthe de la phrase.

Ainsi en avait-il été des petits auteurs sortis de l'hôtel de Rambouillet.

Puisque La Bruyère ·ne présente à la fois qu'une parcelle exiguë de vérité, il n'avait donc besoin que de phrasettes menues, et d'ordinaire toutes simples et unies· : sujet, verbe, attribut.

A travers leur transparence limpide, on l'aperçoit, cette parcelle, nette d'angles et de contours.

Chose curieuse! nous retrouvons dans la structure élémentaire de J.a phrase de La Bruyère quelque chose de l'apparence brisée de l'ensemble.

Sauf de rares exceptions, qu'on lise une page de l'un quelconque des écri­ vains iHustres du grand siècle, les idées semblent naître l'une de l'autre; eUes s'enlacent, se poussent d'un mouvement plein d'aisance; un souffle large et puissant les emporte et nous emporte avec .

elles.

L'impression que nous laisse la lecture d'un chapitre des Caractères est toute différente : l'allure est saccadée, bondissante; nulle part une telle sobriété dans l'emploi des copulatifs, conjonctions et locutions transitives; les phrases s'égrènent le plus souvent sans 1iaisons verbales.

An .lecteur de les nouer l'une à l'autre et de rétablir l'enchaînement invisible.

De là, une tension d'esprit qu'il est nécessaire de renouveler à tout moment, et c'est, sur une route plane et ·fort belle d'ailleurs, comme une pierre qu'il faudrait ranger à chaque pas.

II est vrai que chacun de.

ces efforts est amplement payé par la secousse agréable qu'imprime à l'intelligence l'idée jamais banale, toujours claire et présentée d'une manière.

piquante.

En définitive cependant, menus efforts et menues secousses se résolvent en une sorte de trépidation qui, d'abord délicieuse, devient vite fatjgante.. »

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