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Le style, la poésie et l'humanisme d'Andromaque (Racine)

Publié le 01/05/2011

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Le génie de Racine dans Andromaque est peut- être un génie d'expression tout autant que le don de donner la vie à des âmes tourmentées. Quand il commence à écrire ses tragédies trois styles sont à la mode. Le « style Balzac « qui cherche le mouvement majestueux de la période, les effets de toutes les figures nobles de la rhétorique, comparaisons, métaphores, antithèses — le style Voiture qui lorsqu'il est mauvais est la mauvaise préciosité et lorsqu'il est bon est fait de délicatesse et d'esprit — et ce style galimatias, dont nous avons donné des exemples, qui s'efforce pour exprimer des sentiments subtils et complexes non pas d'employer un style qui les clarifie mais de recourir à une expression qui les entortille encore plus. Après des polémiques violentes qui durent, en s'aggravant, une trentaine d'années, le style Balzac passe de mode, tout au moins dans la prose. Vers 1667, il garde pourtant son emploi dans la tragédie des « grands intérêts «. On cherche les formules autoritaires, les phrases à la fois tranchantes et ingénieuses qui expriment avec force la majestueuse grandeur des desseins, la puissance inébranlable des résolutions. Ce goût éclate notamment dans les dialogues « stichomythiques «. Vers par vers, hémistiche par hémistiche, les « grandes âmes « se renvoient leurs répliques. C'est, si Ton veut, aussi bien le style Corneille (bien que Corneille ne Tait pas inventé) que le style Balzac. Racine y a eu recours à l'occasion, discrètement dans Andromaque (abondamment dans la Thébaïde), notamment quand il fait parler Oreste :

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« Et je ne puis, Seigneur, que vous aimer mieux qu'elle ! Dans Bellérophon, Bellérophon s'est épris de Philonoé qui n'ose lui avouer son amour :PHILONOÉAdieu.BELLÉROPHONVous me quittez sans me rien dire?PHILONOÉHélas !BELLÉROPHONQue me dit ce soupir !PHILONOÉAh ! ne l'entendez pas ! Et Sténobée qui s'est éprise de Bellérophon, qui croit être aimée de lui, découvre qu'il aime en réalité sa sœurPhilonoé et qu'il l'aime ardemment : As-tu bien vu l'excès de l'ardeur qui le presse?Ce qu'il sent de transports, ce qu'il prend de souci ?Ah ! sans ma sœur, peut-être, il m'aimerait ainsi. Et ce dernier vers est aussi chargé de menaces que le « Sortez » de Roxane.D'ailleurs une belle eau limpide risquerait à la longue d'être monotone.

Mais elle peut être sans cesse variée etpittoresque, sans rien perdre de sa limpidité, pour l'œil qui suit son cours.

Elle peut couler bucoliquement, comme ditBoileau, sur « la molle arène ».

Elle peut s'étaler en nappes, en lacs transparents où le paysage se mire, que l'auroreet le couchant colorent ; elle peut se précipiter en torrent fougueux, en cataractes grondantes et écumantes.

Et leP.

Bouhours dira fort bien que simplicité et limpidité ne signifient pas banalité et monotonie.

La manière de bienpenser du révérend Père comprendra quatre dialogues : i° Des pensées vraies et de celles qui n'en ont quel'apparence — 2° Qu outre la vérité il doit y avoir dans les pensées de la grandeur, de l'agrément et de ladélicatesse etc...

Par ailleurs le P.

Bouhours colligera les Pensées ingénieuses des Pères de l'Eglise.

Dès AndromaqueRacine a cherché (en même temps que le naturel et la simplicité) la délicatesse, l'agrément et la grandeur et même,parfois un peu trop, l'ingéniosité.Assurément, surtout si on le compare à ses contemporains, c'est la simplicité qui domine.

Selon l'excellenteexpression du P.

Bouhours il semble que ce que disent ces personnages ne vienne pas de l'esprit de celui qui pense,de l'auteur, mais de la chose dont ils parlent, du sentiment qu'ils éprouvent.

Nous en avons donné des exemples eton pourrait les multiplier.

Mais, constamment, ils parlent, ils pensent, ils sentent non pas tout à fait comme lecommun des mortels mais comme des gens qui ne sont pas le commun des mortels.

On a beaucoup trop abusé de cequ'on appelle le « naturalisme » ou même le « réalisme » de Racine.

Assurément on pourrait transposer le sujetd'Andromaque dans le milieu le plus vulgaire.

Sans tenir compte du double chassé-croisé qui veut que Pyrrhus n'aimepas Hermione qui l'aime, mais aime Andromaque qui ne l'aime pas, mais aime le souvenir d'Hector, tandis qu'Oresteaime Hermione qui ne l'aime pas, ce qui est, nous l'avons dit, une situation tout de même exceptionnelle, on pourraitaisément construire un drame réaliste avec la donnée de Racine.

Il est facile d'imaginer une cousine Bette de Balzacou une Gervaise de l'Assommoir aimant un homme qui la trahit pour une autre dont il n'est d'ailleurs pas aimé,poursuivant l'infidèle de prières et d'injures et se vengeant d'un coup de couteau soit sur l'homme, soit sur la rivaleinnocente.

Mais la même transposition serait possible avec bien des tragédies qui ne sont pas de Racine et qui sontantérieures à Andromaque.

Non pas avec les tragédies héroïques qui posent les « grands intérêts politiques ».

NiOthon, ni Attila ne peuvent devenir des drames bourgeois ou populaires.

Il n'en est pas de même des tragédiesgalantes qui traitent des problèmes, des « questions d'amour ».

Sans doute il y a, en amour, des « délicatesses »qui ne peuvent exister que dans des âmes raffinées ; mais le déchaînement des passions, nécessaire pour susciter la« terreur » et la « pitié » ne comporte guère ces délicatesses.

Si bien qu'on pourrait transporter maint sujet deQuinault ou de Thomas Corneille dans la vie moyenne ou populaire aussi bien que le sujet d'Andromaque.

C'est lecas, par exemple, pour notre Amalasonte.

Quel en est le thème? Une femme aime un homme qui ne l'aime pas, qui nelui a jamais fait aucune avance et qui en aime ardemment une autre.

Une jalousie féroce et sournoise nait en elle ;elle hait celle qui a la chance d'être aimée et elle ne songe qu'à se venger, par ruse et calomnies.

Rien de cela nenous oblige à supposer que nous sommes dans la vie de cour et du grand monde,Mais, en réalité, si Racine voulait être naturel, jamais il n'a pu concevoir que ce naturel devait être celui de la vie den'importe qui.

Jamais il n'a pu le confondre avec celui qu'ont exigé les écoles que nous appelons réalistes.

Latragédie, pour lui comme pour tous ses contemporains, exige une certaine atmosphère qui est en réalité uneatmosphère d'exception.

Elle est, répétons-le, une transposition d'art où les mouvements vrais, sincères de l'âmehumaine ne s'expriment qu'avec une certaine noblesse.

Et c'est pour cela que, malgré la simplicité et parfois presquela nudité du style, ce style reste fidèle aux exigences et même aux conventions du style noble qui seul peut resteren harmonie avec la somptuosité des costumes, la pompe du jeu des acteurs et de leur déclamation.

Ce style nobleexclut d'abord tous les termes jugés « bas », tous ceux qui rappellent de trop près les réalités de la vie commune.

Ilimpose par ailleurs l'emploi de certains mots et de certaines images qu'on n'emploierait pas dans cette vie commune,. »

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