Devoir de Philosophie

LE THÉÂTRE de 1990 à 1994 : Histoire

Publié le 15/01/2019

Extrait du document

histoire

Sans doute affaiblie par le triomphe de la pièce humoristique et féroce à l’anglaise, qui s’est imposée en France depuis vingt-cinq ans à travers Harold Pinter et quelques autres, la comédie à la française a régulièrement décliné au cours des dernières décennies, privée, de surcroît, d’auteurs de valeur. Seules lui redonnaient quelques couleurs les reprises des pièces de Sacha Guitry ou de Marcel Pagnol. Ce repli avait alors favorisé le développement des « one-man-show », fondés sur un humour de café-théâtre volontiers égrillard. Mais, pendant les années 1990-1994, la tendance s'inverse complètement.

 

En effet, si certains des succès comiques sont des adaptations d’œuvres anglo-saxonnes (Rumeurs, de Neil Simon, adapté et joué par Jean Poiret en 1991), d’autres sont des créations d’auteurs français : ainsi Célimène et le cardinal (1992), où Jacques Rampai imagine, en alexandrins, une suite au Misanthrope de Molière ; le Dîner de cons (1993), dans lequel Francis Veber intègre, dans une construction d'imbroglios, le jeu des surréalistes qui consistait à organiser des concours d’imbéciles ; Quisaitout et Grobêta (1993), qui permet à Coline Serreau de mêler la traditionnelle « entrée de clowns » à la féerie. La comédie de mœurs fait mouche par le biais d’un humour flegmatique dans les deux pièces d’Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri, Cuisine et dépendances (1991) et Un air de famille (1994), qui brocardent avec brio et tendresse certains travers des classes moyennes, ou dans Art (1994), de Yasmina Reza, servi par Pierre Arditi, Fabrice Luchini et Pierre Vaneck, qui offre une image amusée et inattendue de la féminité des hommes d’aujourd'hui. Inspirées de la vie de Pierre et Marie Curie, les Palmes de Monsieur Schutz, de Jean-Noël Fenwick, conjuguent l’histoire des sciences et le divertissement, et restent à l’affiche de 1989 à 1994, presque sans interruption. Parallèlement, on redécouvre l’un des maîtres du genre, René de Obaldia, notamment avec la réussite de Monsieur Klebs et Rozalie, repris en 1993.

 

Ces succès d’auteur sont aussi des succès d'acteurs. D’autres spectacles ont en effet connu un retentissement comparable grâce à la présence de vedettes popularisées par le cinéma et la télévision. C’est le cas de Jean-Paul Belmondo interprétant Cyrano de Bergerac, de Rostand (1990), puis Tailleur pour dames, de Feydeau (1993) ; de Michel Serrault incarnant Knock, de Jules Romains (1992) ; de Francis Perrin jouant Une aspirine pour deux, de Woody Allen (1993)... Robert Hossein a su, lui aussi, s’attirer un public considérable, mais dans un registre très différent : celui de la vulgarisation de grands débats historiques ou religieux (Jésus était son nom, 1991; Je m'appelais Marie-Antoinette, 1993), avant d’imaginer un théâtre interactif, où, comme à la télévision, le public choisit le dénouement (la Nuit du crime, 1994).

 

Les succès du théâtre subventionne traduisent un même besoin de repères et de certitudes de la part du public. Au Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine, la grande fresque des Atrides (1991-1993), regroupant des tragédies d'Eschyle et d’Euripide, a créé l'événement par la force violente de son style, associant dans le jeu scénique des traditions grecques et asiatiques, et par un sens du théâtre «total» où la gestuelle, la scansion particulière du texte et la

LE THÉÂTRE...

 

Torrentielle et baroque, déclamatoire, la langue de Louis-Ferdinand Céline passe la rampe théâtrale. En 1992, Jean-Louis Martinelli met en scène l'Église, une œuvre dramatique que l'auteur de Mort à crédit a composée en 1926, avant d'entamer ses cycles romanesques. Quelque temps plus tard, Fabrice Luchini présentait Voyage au bout de la nuit avec une belle virtuosité. Ci-contre : Charles Berling dans l’Église.

musique permettent de réinventer la transcription des œuvres antiques. Mais le spectacle suivant proposé par le Théâtre du Soleil, la Ville parjure ou le Réveil des Érinyes, d'Hélène Cixous (1993), a connu un accueil plus réservé. Cette tragédie moderne qui transpose le « scandale du sang contaminé » offrait pourtant l’alliance audacieuse de deux registres : le style antique, par le biais des Érinyes revenant à la surface de la terre pour exprimer leur colère, et la représentation du monde actuel, orchestrée d’une manière provocante, proche de l’agit-prop. Aux Bouffes-du-Nord, Peter Brook propose, quant à lui, une vision dépouillée de la Tempête, de Shakespeare (1990), qui privilégie les rapports essentiels entre les personnages, et occulte les complications de l’intrigue en rappelant de ce fait son travail sur Carmen.

 

D'autres metteurs en scène choisissent d’explorer le répertoire classique en faisant appel à des acteurs très populaires. Cette méthode tend à supprimer une différence essentielle entre le secteur public (en principe moins soucieux de créer des « événements ») et le secteur privé, et attire un public nombreux. Ainsi, au Festival d’Avignon 1990, Jean-Pierre Vincent a présenté les Fourberies de Scapin, avec Daniel Auteuil, dont le jeu rapprochait le larron de Molière des loubards d’aujourd’hui. À la Criée de Marseille, Marcel Maréchal a poursuivi une collaboration avec Pierre Arditi, explorant dans une sorte de diptyque les relations entre maître et valet : après Dom Juan, de Molière (1989), ils ont interprété Maître Puntila et son valet Matti, de Bertolt Brecht (1992), incarnant à tour de rôle, d’une pièce à l’autre, tantôt le seigneur tantôt le domestique, avec un effet de contraste très réussi.

 

À la Comédie-Française, royaume des auteurs classiques, a été menée une politique discontinue en raison de la succession de ses administrateurs : Antoine Vitez, décédé subitement en 1990 ; Jacques Lassalle ; puis, en 1993, Jean-Pierre Miquel. Avant sa mort, Vitez a pu mettre en scène la Vie de Galilée de Bertolt Brecht. Sans offrir une nouvelle mise en perspective de l’œuvre comme Vitez aimait à le faire d'ordinaire, ce spectacle, dominé par l’interprétation de Roland Bertin, n’en possédait pas moins une réelle élégance. À la tête de la maison de Molière pendant trois ans, Jacques Lassalle a travaillé dans deux directions : l’affirmation d’un ton original à travers ses propres mises en scène, fondées sur la révélation méthodique et féroce des ressorts cachés des œuvres (la Fausse Suivante, de Marivaux, 1991 ; Dom Juan, de Molière, présenté en ouverture du Festival d’Avignon 1993), et sur le cosmopolitisme. En effet, nombreux sont

histoire

« LE THÉÂTRE ...

Comme Stev en Berkoff, Edward Bond est l'u n tles enfants terribles du théârre anglo-saxon.

Renouant avec une veine politique héritée de Bre cht , ses pièces dissèquent les désé quilib res sociaux conœmporains, éclairant le • m ala is e • des civilisations, les barbar ies bien policées, la pene des repères et des idéatu porteurs d'espoir.

Ci-dessus: une scèn e de Maison d'arrêt, présemée au Festival d'Avignon en 1993, dans une mise en scène de Jorge Lave/li.

© Marc Enguerand • Enguerand les metteurs en scène et les cinéastes qui ont été invités à diriger la troupe dans une œuvre de leur choix (Caligula, d'Albert Camus, mis en scène par Youssef Chahine, 1992 ; Bal masqué, de Lermontov, mis en scène par le Russe Anatoly Vassiliev, 1992).

Néanmoins, cette politique d'ouverture a donné des résultats assez mitigés.

Déjà perceptible durant les années quatre-vingt.

le retour aux classiques s'est encore accentué.

mais la recherche et la tentative de réhabilitation d'œuvres oubliées ont parfois rendu plus audacieux ce repli sur le passé.

Ainsi, la célébration du bicentenaire de la mort de Carlo Goldoni, entamé avant la date officielle de 1993, a suscité une grande curiosité pour ses comédies jusqu'alors non traduites comme pour ses pièces connues (la Serva amoroso, mise en scène à la Comédie-Française par Jacques Lassalle, 1992).

Des contemporains de Corneille presque ignorés aujourd'hui, tels que Brousse et Lam­ bert, ont été révélés par Jean-Marie Villégier, alors à la tête du Théâtre national de Strasbourg.

Octave Mjrbeau a été à plusieurs reprises réhabilité comme un pamphlétaire moderne à l'humeur cor­ rosive (Les affaires sont les affaires, mis en scène par Régis Santon, 1994).

Les auteurs du xx' siècle n'ont pas été éclipsés pour autant.

En 1992, Denise Gence a repris le rôle quasi mythique de Winnie, créé par Madeleine Renaud, dans Oh les beaux jours, de Beckett.

La même année, Jorge Lavelli a mis en scène Macbell, de Ionesco, qui constitue avec les Chaises, jouées à nouveau par Jacques Mauclair et Tsilla Chelton en 1993, deux des reprises les plus remarquées.

Paral­ lèlement, on redécouvre Montherlant (la Ville dont le prince est un enfant, avec Christophe Malavoy, 1994), Giraudoux (Ondine, mis en scène par François Rancillac, 1992), Tennessee Williams (la Nuit de l'iguane, par Brigitte Jacques, 1991), Eduardo D�.

Filippo (Sik-Sik et le haut de forme, par Jacques Nichet, 1991), Odon von Horvath (Légendes de la forêl viennoise, par André Engel, 1992) ...

En 1992, la mise en scène de /'tg/ise, de Céline.

par Jean- Louis Martinelli, avec Charles Berling, restitue à l'auteur de Voyage au bout de la nuit une dimension théâtrale peu connue du public.

Les responsables de programmation ont semblé préférer certains auteurs étrangers du répertoire contemporain, trouvant dans leurs œuvres une violence et une singularité propres à refléter la bru­ talité incohérente de notre société.

Dans de nombreux festivals et théâtres subventionnés, les pièces des Autrichiens Thomas Bernhard et Peter Handke, de l'Allemand Botho Strauss, des Anglais Edward Bond, Steven Berkoff, Gregory Motton, de l'Américain Tony Kush- LE THÉÂTRE ...

Etoile montaille du jeune théâtre français, le meueur en sc è n e Stéphatw Braunschweig, ancien élève d'Amoine Vit e z, signe des mises en scène dépouillées, avec la rigueur d"wr horloger.

Büchner, Brecht, Horvarh, Tchekhov, Klei st et Shakespeare som quelques-um tle ses auteurs féJiches.

© Rubind · Enguerand LE THÉÂTRE ..

.

Révélation de l'année 1993, le jeune Éric-Emmmrue/ Sch mitt orchestre, dam sa pièc e le Visiteur, la rmcontre ino pin ée de Sigmund Freud avec Dieu, dans une Vie nne otl résonnent déjà des bruits dt borre macabres.

Ci-contre: Roben Rimbaud et Jos i an e Stolént, qrû interprète la fille de Freud.

© Brigiue Enguerand • En guerand ner et du Suédois Lars Norén, ont donné le ton -un ton volontiers âpre et sauvage.

Les mises en scène de le Temps et la Chambre, de Botho Strauss (par Michel Dubois dès 1989, puis par Patrice Chéreau en 1991), et de Maison d'arrêt, d'Edward Bond (par Jorge Lavelli en 1993).

illustrent avec éclat cette tendance qui consiste à chercher la " modernité,.

de !"autre côté des frontières.

U N NOUVEAU LANGAGE DRAMATIQUE? De nouveaux auteurs français et francophones se frayent néanmoins un chemin, mais demeurent souvent en retrait.

Face à Nathalie Sarraute, Robert Pinget, Roland Dubillard, François Billet­ doux, Jean-Claude Grumberg et Michel Vinaver, régulièrement à l'affiche, seul Bernard-Marie Koltès (mort en 1989) a atteint le statut d'auteur consacré.

Ses pièces ont déjà fait l'objet de nombreuses reprises.

et Robe riO Zucco, sa tragédie posthume (créée en Alle­ magne dans une mise en scène de Peter Stein en 1990, mise en scène en France par Bruno Boeglin en 1993) a connu un succès de scan­ dale : elle conte la traque d"un tueur, calquée sur l'actualité.

Le déve­ loppement d'un nouveau et jeune théâtre français a également animé l'actualité dramatique de ces cinq dernières années.

Valère Novarina (Je suis, 1991) a poursuivi une œuvre au langage totalement original, où les mots sont comme distordus dans une rage désespérée.

Deux auteurs ont connu, sur des scènes privées, un triomphe dépassant le cadre d'une saison: Éric-Emmanuel Schmitt et Jean-Marie Besset.

Avec le Visiteur (1993), où il imagine un dialogue entre Freud et Dieu, Schmitt donne une chance nouvelle au genre décrié du théâtre philosophique -de manière plus habile que Bernard-Henri Lévy, dont la première pièce, le Jugement dernier (1992), n'a pas recueilli les suffrages escomptés.

Quant à Jean-Marie Besset, il décrit dans Ce qui arrive et ce qu'on attend (1993) les mutations moraJes et sexuelles des classes dominantes et politiques au moyen de dialogues qui asso­ cient le mot d'auteur à la française et le sous-entendu à la façon anglo-saxonne.

Dans le même temps, d'autres auteurs dramatiques ont connu des succès plus brefs : Jean-Christophe Bailly, à l'écriture secrète et philosophique (Pandora, mis en scène par Georges Lavau­ dan!, 1992), Jean-Louis Bourdon, aux farces noires et argotiques (le Landau qui fait du bruit, 1993), Xavier Durringer, qui restitue dans une prose syncopée les tumultes des sociétés suburbaines (Une envie de tuer ...

sur le bout de la langue, 1991), Didier-Georges Gabily, explorateur des marges sociales et des sphères de l'inconscient. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles