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Le travail de la forme chez Stendhal

Publié le 22/01/2020

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travail

Le contrepoint : les intrusions d’auteur

Les interruptions du récit et les remarques incidentes

Ayant écrit du point de vue exclusif de Julien - fait significatif, dans ses notes, il appelle Le rouge, Julien -, Stendhal se ■ '-priverait d’une vision « objective » tant du héros lui-même que des autres personnages. Aussi compense-t-il « la restriction de champ » par des intrusions fréquentes, directes, qui lui permettent soit d’ajouter un complément d’information : « Le lecteur est peut-être surpris de ce ton libre et presque amical; nous avons oublié de dire que depuis six semaines le marquis était retenu chez lui par une attaque de goutte » (p. 321), soit de porter un jugement personnel sur son héros : « A ce coup terrible, éperdu d’amour et de malheur, Julien essaya de se justifier. Rien de plus absurde. Se justifie-t-on de déplaire? Mais la raison n’avait plus aucun empire sur ses actions » (p. 423). « Il était encore bien jeune; mais, suivant moi, ce fut une belle plante. Au lieu de marcher du tendre au rusé, comme la plupart des hommes, l’âge lui eût donné la bonté facile à s’attendrir, il se fût guéri d’une méfiance folle... Mais à quoi bon ces vaines prédictions ? » (p. 525).

A tout moment, au cœur même de chaque phrase, Stendhal introduit des notations personnelles : « Les libéraux de l’endroit prétendent, mais ils exagèrent, que la main du jardinier officiel est devenue bien plus sévère depuis que M. le vicaire Maslon a pris l’habitude de s’emparer des produits de la tonte » (p. 28).

La pointe ironique et malicieuse vient s’intercaler subrepticement et fait entendre, sans en avoir l’air, le contraire de ce qu’elle affirme.

Le jeu sur les possibles et l’emploi du conditionnel

Victor Brombert a très justement observé combien l’intervention de l’auteur se traduisait à travers le choix des temps *.

Si l’imparfait et le passé simple sont utilisés comme les temps habituels du récit, le conditionnel marque presque toujours la présence de Stendhal. Il permet de représenter le décalage entre l’omniscience, la lucidité de l’auteur et l’inconscience de ses personnages : aux gaucheries de ces derniers

point en abstrayant l’intentionnalité du héros mais à travers celle-ci, qu’il fait surgir le détail concret susceptible de nous reporter à l’unisson de l’instant1. »

Le monde n’existe pas quand Julien ne le regarde pas, les personnages s’évanouissent lorsque Julien les élimine de son champ mental (la maréchale de Fervaques disparaît brusquement dès lors que Julien cesse de s’y intéresser). Et quand Julien ne comprend pas une situation (la mise en scène de l’évêque d’Agde) ou qu’il ne saisit qu’une partie de la réalité (la réunion de la Note Secrète), nous n’en savons pas plus que lui.

Aussi les modes d’appréhension du monde dans le livre seront ceux de Julien; on peut en relever au moins deux.

• Le style des Lettres persanes ou de L’ingénu

Souvent, comme on l’a vu antérieurement, Julien est une espèce d’étranger qui perçoit les choses naïvement, sans y reconnaître les significations sociales, les codes, les convenances. Il découvre de l’extérieur un monde qui semble absurde, théâtral, sans causalité. On retrouve là par excellence le procédé des philosophes du XVIIIe siècle qui aboutit à une satire pénétrante des institutions en place. Ce regard ironique jeté sur la société est utilisé fréquemment dans Le rouge, la cérémonie de Bray-le-Haut, la soirée chez Vale-nod, les soirées des salons parisiens, les séances de la Note Secrète, les séances du Tribunal à la fin du livre. Voici, par exemple, la préparation de l’évêque d’Agde avant la cérémonie : « Un jeune homme, en robe violette et en surplis de dentelle, mais la tête nue, était arrêté à trois pas de la glace. Ce meuble semblait étrange en un tel lieu, et, sans doute, y avait été apporté de la ville. Julien trouva que le jeune homme avait l’air irrité; de la main droite il donnait gravement des bénédictions du côté du miroir.

Que peut signifier ceci ? pensa-t-il. Est-ce une cérémonie préparatoire qu’accomplit ce jeune prêtre? C’est peut-être le secrétaire de l’évêque... il sera insolent comme les laquais... ma foi, n’importe, essayons.

Il avança et parcourut assez lentement la longueur de

travail

« plan des idées, il y a chez Stendhal refus d'un style 1fondé sur l'emphase, la fausseté, l'hypocrisie.

Cette attitude s'ins­ crit encore dans la continuation du XVIIIe siècle, période durant laquelle l'expression se révèle une arme, instrument de dia­ logue ou de satire, où tout est rationnel, clair, à la taille de l'homme.

Tout au long du xrxe siècle, l'expression va au contraire cesser d'être transparente pour devenir un obstacle à l'expres­ sion, une fin en soi, une recherche autonome : " La forme littéraire développe un pouvoir second, indé­ pendant de son économie ( ...

); elle fascine, elle dépayse, elle enchante, elle a un poids; on ne sent plus la littérature comme un mode de circulation socialement privilégié, mais comme un langage consistant, profond, plein de secrets ( ...

).

Tout le xrxe siècle a vu progresser ce phénomène de concrétion.

Chez Chateaubriand, ce n'est encore qu'un faible dépôt 1 ••• » C'est contre cette tendance que Stendhal veut lutter.

Sa langue, sur plusieurs points, continue celle du xvnre siè­ cle : sobre, peu descriptive, utilisant des tours allusifs, des ellipses, préférant aux articulations logiques la juxtaposition des éléments de la phrase.

Ses descriptions des lieux et des personnages sont souvent rapides, rarement pittoresques.

Doit-on attribuer cette apparente pauvreté à une inca­ pacité ou à un parti pris délibéré ? STENDHAL ET LE RÉALISME Le refus du réalisme photographique Stendhal écarte la description pour elle-même, le tableau pittoresque en soi.

Toute réalité n'est pas nécessairement intéressante et le rôle de !'écrivain consiste à choisir ce qui est significatif.

Il ne s'agit pas de donner une " photographie » de la réalité, de l'inventorier dans ses moindres détails, mais bien de l'interpréter pour en dégager les lignes de force.

" Ori arrive à la petitesse dans les arts par l'abondance des détails et le soin qu'on leur donne 2• » 1.

ROLAND BARTHF.S, Le degré zéro de /'écriture, pp.

10-11, Seuil.

2.

STENDHAL, Rome Naples et Florence, l, p.

67, cité par GEORGF.S BLIN, Sten· dhal et les problèmes du roman, p.

32, Corti, 1953.

- 56 -. »

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