LE TRISTAN DE THOMAS D'ANGLETERRE LES NOUVELLES

COMMENTAIRE

Un monde plein de géants

La légende de Tristan est toute traversée de souvenirs mythiques, empruntés au vieux fonds indo-européen ; au moment où on s'y attend le moins, au détour du texte très courtois et très sophistiqué de Thomas, on rencontre soudain un personnage sorti du mythe primitif, un fragment d'aventure qui ne se rattache que très mal, et de très loin, à l'histoire des amants de Cornouailles, même revue et corrigée par le mariage breton de Tristan.

L'Orgueilleux collectionneur de barbes apparaît dans le BrutdeWace, où il est mieux à sa place que dans une << mise en écrit » de la légende tristanienne, dans la mesure où le Brut parle de la << Bretagne » des temps mythiques, qu'Arthur s'emploie précisément à civiliser en la débarrassant de ses ogres et de ses géants. Mais que vient faire ici ce neveu également gigantesque, ou plutôt qu'est-ce que Tristan est allé faire en Espagne, qui rime avec Bretagne, il est vrai, au service d'un souverain à la fois roi et empereur comme une figure paternelle à demi effacée - celle de Charlemagne - qui, pas plus que Marc avant lui, lors du conflit avec le Morholt (un autre géant) ne peut trouver de champion parmi ses parents et ses courtisans ?

On n'en finit pas de rejouer la même histoire, meurtre du père et tentative de castration, structure familiale matrilinéaire qui remplace les fils par des neveux, reconnaissance d'un roi que le héros vient de sauver d'un grave péril... Celui dont Tristan sauve la barbe en Espagne n'a pas de fille apparemment ; mais pour le reste, le schéma des aventures se reproduit indéfiniment, structure cyclique inhérente au mythe, ou aussi bien obsession du fantasme indéfiniment rejoué dans un cadre nouveau.