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Lecture analytique : l’arrivée à New York : « Pour une surprise, c'en fut une […] Moi j'avais une autre combinaison en tête, en même temps que la fièvre », p. 184-5 (Littérature)

Publié le 21/10/2011

Extrait du document

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      Pour une surprise, c’en fut une. À travers la brume, c’était tellement étonnant ce qu’on découvrait soudain que nous nous refusâmes d’abord à y croire et puis tout de même quand nous fûmes en plein devant les choses, tout galérien qu’on était on s’est mis à bien rigoler, en voyant ça, droit devant nous…

      Figurez-vous qu’elle était debout leur ville, absolument droite. New York c’est une ville debout. On en avait déjà vu nous des villes bien sûr, et des belles encore, et des ports et des fameux mêmes. Mais chez nous, n’est-ce pas, elles sont couchées les villes, au bord de la mer ou sur les fleuves, elles s’allongent sur le paysage, elles attendent le voyageur, tandis que celle-là l’Américaine, elle ne se pâmait pas, non, elle se tenait bien raide, là, pas baisante du tout, raide à faire peur.

      On en a donc rigolé comme des cornichons. Ça fait drôle forcément, une ville bâtie en raideur. Mais on n’en pouvait rigoler nous du spectacle qu’à partir du cou, à cause du froid qui venait du large pendant ce temps-là à travers une grosse brume grise et rose et rapide et piquante à l’assaut de nos pantalons et des crevasses de cette muraille, les rues de la ville, où les nuages s’engouffraient aussi à la charge du vent. Notre galère tenait son mince sillon juste au ras des jetées, là où venait finir une eau caca, toute barbotante d’une kyrielle de petits bachots et remorqueurs avides et cornards.

      Pour un miteux, il n’est jamais bien commode de débarquer de nulle part mais pour un galérien c’est encore bien pire, surtout que les gens d’Amérique n’aiment pas du tout les galériens qui viennent d’Europe. « C’est tous des anarchistes « qu’ils disent. Ils ne veulent recevoir chez eux en somme que les curieux qui leur apportent du pognon, parce que tous les argents d’Europe, c’est des fils à Dollar.

      J’aurais peut-être pu essayer, comme d’autres l’avait déjà réussi, de traverser le port à la nage et de me mettre à crier : « Vive Dollar ! Vive Dollar ! « C’est un truc. Y a bien des gens qui sont débarqués de cette façon-là et qui après ça on fait des fortunes. C’est pas sûr, ça se raconte seulement. Il en arrive dans les rêves des biens pires encore. Moi j’avais une autre combinaison en tête, en même temps que la fièvre.

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« Parce que la ville est spéciale, elle attire l’ œ il, comme le montre le champ lexical de l’étonnement : « surprise, étonnement, croire, découvrait, voyant, figurez-vous, spectacle » ; le lecteur est même pris à partie : c’est quelque chose qu’il ne faut pas manquer.

Cela est également distrayant, comme en témoigne les références au rire : « on s'est mis à rigoler, rigolé comme des cornichons, ça fait drôle ».

L'emploi d'un lexique familier et de la tournure impersonnelle en « ça » rend les personnages ridicules, eux qui pourtant se plaisent à dire qu’ils ont presque tout vu.

Le décalage burlesque se fait sentir avec la répétition de « debout », « raide » et « droite » qui donne une image très austère du lieu, et ce avant même que le bateau n’accoste.

La ville se cache derrière « la brume », qualifiée de « grise » et « rose », montrant déjà son ambivalence.

New-York est dominatrice et puissante, elle est personnifiée en femme autoritaire : elle se « tenait bien raide, ne se pâmait pas, pas baisante ».

Elle n’a pas une image accueillante, elle semble déshumanisée : les rues sont des « crevasses », terme péjoratif, il y a du vent et des nuages qui « s’engouffraient ».

Les nombreuses personnifications témoignent du malaise des galériens, le verbe « finir » montre que la ville se débarrasse de ceux qu’elle ne veut pas ; c’est aussi un verbe qui peut signifier mourir.

La brume « rapide et piquante » montre qu’elle contre-attaque.

La ville, stupéfiante au premier abord, entraîne vite la peur comme l’avoue le narrateur : « raide à faire peur ».

Encore une fois, la raideur préfigure la mort, la raideur cadavérique.

La ville n’a rien d’humain et le rire des galériens est peut-être un rire nerveux, un rire de défense. 2) La critique du rêve américain a.

La loi de l’argent Le champ lexical de la richesse est présent dans l’extrait : « pognon, argents d’Europe, fils à Dollar, Vive Dollar, fortunes » ; cela montre la préoccupation première des habitants de la ville et le motif d’émigration ; les verbes « recevoir, apportent » donnent l’image d’une ville qui engloutit et qui ne donne rien en retour.

La personnification « tous les argents d’Europe, c’est des fils à Dollar » est une critique du transfert des capitaux des pays européens vers les Etats- Unis : financièrement, l’Europe dépend des Etats-Unis ; le Dollar engloutit tout ; la métonymie « tous les argents » désigne ceux qui vont amener de l’argent aux Etats-Unis, par n’importe quel moyen ; mais ce qui compte, ce ne sont plus les personnes, juste le billet vert.

La ville rejette ceux qui voudraient profiter d’elle : elle maintient à l’écart les « anarchistes » mais aussi les « remorqueurs avides » en refluant une eau boueuse, qualifiée du terme puéril de « caca ».

Ainsi la ville se protège des prédateurs. b.

L’ironie du désespoir Dernier paragraphe : « traverser le port à la nage, se mettre à crier » sont des verbes d’actions qui montrent le ridicule de la situation ; les migrants n’ont plus rien à perdre, ils feraient n’importe quoi pour se faire accepter aux Etats-Unis.

Le narrateur emploie le terme « truc » qui peut être compris comme « un truc à essayer » ou comme un « trucage », c'est-à-dire une feinte, un mensonge, une manipulation.

Ceci est d’ailleurs corroboré par la tournure négative « pas sûre » et la juxtaposition « ça se raconte seulement » ; l’emploi de la tournure impersonnelle associée à un présentatif dégage le personnage de toute responsabilité : il ne l’a pas entendu lui-même, il n’en a pas été témoin, personne ne peut confirmer ces arrivées rocambolesques.

La rumeur enfle presque d’elle-même, le bruit court mais ce n’est pas tangible. Pour compléter ce réseau lexical de l’impalpable, le narrateur emploie le terme « rêve » qui renvoie directement au rêve américain, à cet espoir fou de croire que l’Amérique offre la fortune à tous ceux qui foulent son sol.

Le fait de comparer les gratte-ciel à des « murailles » montre qu’entre ce qu’on attend de la ville et ce qu’elle offre réellement, il y a un fossé ; ces murailles ont des « crevasses », donc des trous, des espaces d’insécurité.

Elle apparaît bien comme un leurre.. »

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