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LES AUTRES MONDES EN LITTERATURE

Publié le 08/02/2012

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Quand les historiens représentent la terre, Sossius Sénécion, ils relèguent aux extrémités de leurs cartes les pays qui échappent à leur connaissance, et ils inscrivent à côté de certains : « au-delà, sables arides, pleins de bêtes féroces «, ou : « marais ténébreux «, ou « froid de Scythie «, ou : « mer prise par les glaces «. Je pourrais à leur exemple, dans la rédaction de ces Vies parallèles, après avoir parcouru les temps accessibles à la vraisemblance que peut explorer une enquête historique fondée sur les faits, dire à juste titre des époques antérieures : « Au-delà, c’est le pays des monstres et des tragédies, habité par les poètes et les mythographes ; on n’y rencontre plus ni preuve, ni certitude. «

                                                           Plutarque

 

         La littérature didactique et narrative du Moyen Âge développe, en prolongement de la tradition gréco-romaine du royaume des morts, le thème chrétien du voyage de l’âme dans l’au-delà et le motif celtique de l’Autre Monde. Les trois voies peuvent interférer au gré de l’imagination de chaque auteur qui propose ainsi sa propre version de l’Autre Monde. Les sources multiples de ce motif et sa géométrie variable d’un texte à l’autre justifient le pluriel « Autres Mondes «. L’expression apparaît, au singulier, dans la seconde moitié du XIXe s., sous la plume des celtisants. Nous avons donc affaire à un concept anachronique, cas fréquent lorsqu’il s’agit de dresser un bilan théorique des phénomènes d’époques antérieures. Tout concept est réducteur, on le sait, et c’est particulièrement vrai de celui d’Autre Monde, tant le champ désigné se trouve vaste et sujet à d’infinies associations, à de nombreuses transformations. Or, au sein de ce phénomène littéraire et philosophique mouvant, on peut saisir des constantes, établir des influences, observer des évolutions. Par conséquent, le motif de l’Autre Monde possède son dynamisme interne en même temps qu’il se prête à une mise en contexte philosophique, historique, esthétique.

         Depuis l’Antiquité, l’évocation de l’Autre Monde procède de la conception de la nature double de l’homme – corps mortel et âme immortelle, celle-ci étant susceptible de s’incarner successivement (métempsychose). Cette idée est présente dans le mythe du guerrier Er (Platon, La République, X, 613b – 621d). La descente d’un homme vivant dans le royaume des morts (catabase) n’est réservée qu’à des êtres exceptionnels (Er, Héraclès, Orphée, Ulysse, Enée). Le héros se renseigne sur la vie passée de ses anciens amis et connaissances 

« 2 (notamment sur les circonstances de leur mort), de même que sur son propre avenir (Ulysse apprend du devin Tiresias comment il pourra retourner dans son pays natal, Ithaque – Odyssée , ch.

XI ; l’âme d’Anchise, le père d’Enée, révèle à son fils son avenir de fondateur d’empire – Enéide, ch.

VI).

L’Autre Monde devient le lieu de rencontre des vivants et des morts, opérant ainsi le lien entre passé, présent et futur.

Ce dernier se profile à travers le motif des âmes en attente de réincarnation (Er, Enéide , ch.

VI) ou bien d’un héros mû par un projet d’envergure.

La communication verbale et visuelle avec les âmes des défunts crée l’illusion que celles-ci possèdent une substance corporelle, illusion vite déjouée par ailleurs : Ulysse essaie en vain d’embrasser l’ombre de sa mère Anticleia ; l’élan d’Enée tendant les bras vers son père tourne également à vide. Chez Platon (l’histoire d’Er) et chez Virgile on trouve déjà cristallisée l’idée que l’âme du défunt doit passer par une longue période d’expiation et de purification avant de retourner dans le monde réel sous un corps nouveau. L’Autre Monde implique ainsi une idée de réparation du mal commis.

Dès lors, une certaine idée de justice lui sera souvent associée. Le royaume des morts impose des interdits qui sont autant de défis à relever par le visiteur vivant : ainsi, par exemple, Orphée n’est autorisé à emmener Eurydice des Enfers qu’à condition de ne pas se retourner et de ne pas la regarder.

Ces interdits creusent l’abîme qui le sépare du monde terrestre.

Le monde infernal est souvent empreint de traits merveilleux qui, appropriés par le visiteur, en font un élu, un être supérieur : lorsque le berger Gygès se retrouve dans l’Autre Monde, il y découvre une bague qui peut le rendre invisible et grâce à laquelle il deviendra le roi de son pays (Platon, La République , II 359 b6 – 360 b2).

La descente aux Enfers peut se justifier par la recherche d’un exploit exceptionnel : Héraclès s’y aventure pour capturer le Cerbère, Thésée – pour enlever une femme. L’entrée dans l’univers des morts implique souvent l’aide d’un guide : la déesse magicienne Circé livre à Ulysse le mode d’emploi des Enfers ; la prophétesse Sibylle servira de guide à Enée.

L’Autre Monde est rendu accessible dans le cadre d’un rite d’initiation qui rend indispensable la figure du passeur. Reste à voir si, et dans quelle mesure, pareil parcours initiatique entraîne un changement réel de l’identité ou du statut social du héros. Les descriptions de l’Autre Monde prennent consistance grâce à toute une série de motifs et d’éléments : une grotte profonde, rituels de purification (libations), sacrifice d’animaux dont le sang attire et ranime les âmes des défunts, promesse de la part du héros d’organiser les funérailles d’un ami mort sans sépulture (Elpénor, Odyssée ; Misène, Enéide ), cortège de morts célèbres, état somnolent du visiteur des Enfers (Ulysse, Enée).

À ces éléments s’ajoute un paysage macabre : portes de fer, fleuves noirs, lacs ou marais pestilentiels, montagnes et collines d’aspect lugubre, monstres grotesques, flammes dévorantes, cris de souffrance, le tout dans des proportions hypertrophiées.. »

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