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LES CAFÉS Littéraires de 1900 à 1909 : Histoire

Publié le 27/12/2018

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Si le xixe siècle mit à l'honneur le salon littéraire, lieu clos d'une sociabilité liée à la grande bourgeoisie, il allait appartenir au xxe siècle naissant d'inventer, ou plutôt de faire renaître, une convivialité artistique dont le café - que certains sociologues nomment à juste titre un «espace intermédiaire» (entre l'intimité du domicile et l'anonymat des rues) — deviendrait l'emblème. Gardons-nous cependant de faire du siècle précédent un «âge d'or des salons», à l'exclusion de toute institution, tant il est vrai que ce temps vit aussi l'avènement du Boulevard, microcosme magique où se vivifièrent mutuellement le théâtre, la grande presse, l'édition (Michel et Calmann Lévy, présents rue Vivienne dès 1845, s'installeront rue Auber en 1867, après un passage par le boulevard des Italiens), l'art lyrique et la gastronomie. De cette dernière, il n’est pas exagéré de dire qu’elle a catalysé la gloire légendaire du Boulevard. Le bien boire et le bien manger comptent au nombre de ces usages du monde auxquels les gens de plume ont toujours été particulièrement sensibles. Sur le Boulevard, ces messieurs sont servis: Frascati, le Brébant. le café Anglais, Tor-toni, le café Napolitain, le café Riche, autant d'établissements de luxe qui drainent, durant toute la seconde moitié du xixe siècle, tout ce que Paris compte d'artistes, de politiciens, de journalistes, d'écrivains, de gloires éphémères et de vraies demi-mondaines.

 

Par contraste, la rive gauche semble vivre la fin de siècle dans un quasi-sommeil paisible. Avec la mort de Verlaine en 1896, c'est toute une époque qui disparaît. Le Procope. archétype du café littéraire depuis 1686, n'est plus que l’ombre de lui-même. La grande édition n'a pas encore jeté son dévolu sur le faubourg Saint-Germain. Et pourtant ce calme n'est qu’apparence.

 

Bistrots et caveaux

 

Car aux fastes dispendieux du Boulevard, certains préfèrent la bohème fraternelle des petits cafés anonymes. Loin des stucs et des ors de la rive droite, la vie littéraire se recompose sous la double influence des poètes symbolistes et des «arts incohérents», cette féconde mouvance qui peut être tenue pour la préhistoire du surréalisme. Zutistes, Hydropathcs et chansonniers de caf’ conc' jettent les bases d'une esthétique de la dérision et de l'humour qui, au moins jusqu'en 1900, cohabitera en parfaite intelligence avec le sérieux marmoréen des versificateurs du temps. Au carrefour de tous les mouvements artistiques et littéraires de l’époque, une revue: la Plume. Fondée en 1889 par Léon Deschamps, qui en sera le directeur jusqu’à sa mort, en 1899, elle public des auteurs aussi divers que Charles Maurras et Kropotkine, les chansons zutistes de Marcel Baillot comme les vers de Karl Boès. Dans sa diversité, la Plume se veut une alternative à l’omniscience du Mercure de France.

 

Mais si la Plume se singularise, c’est moins pour la richesse de ses sommaires que pour la création d’une institution parallèle, les Soirées de la Plume, véritable cabaret littéraire sis au caveau du Soleil d'or, au numéro un de la place Saint-Michel. À propos de ces soirées où les verres côtoyaient les vers, André Salmon confirme, dans ses Souvenirs sans fin, la parenté avec les «arts incohérents»: «Léon Deschamps conçut les soirées de la revue en se souvenant de celles des Hydropathes, invention du poète Émile Goudeau. Ce sont les Hydropathcs de la rive gauche qui incitèrent l'ingénieux Rodolphe Salis à fonder à Montmartre le Chat noir. Léon Deschamps organisa des banquets littéraires que présidèrent tour à tour des personnages aussi diversement célèbres que: Émile Zola. François Coppée, Paul Verlaine, Aurélien Scholl. le brillant chroniqueur boulevardier florissant dès le second Empire, enfin Stéphane Mallarmé [...].»

 

Lorsque Karl Boès prend la direction de la revue, en 1900. le contenu rédactionnel et les options esthétiques changent — pas les soirées enfiévrées du Soleil d'or. C’est là qu'un soir du printemps 1903 Guillaume Apollinaire fait sensation en lisant des vers tirés de son Vent du Rhin, recueil avorté qui deviendra, remanié, la matière des Alcools de 1913. On y croise également Paul Géraldy, pas encore écrasé par le succès de Toi et Moi, Jean Moréas ou Paul Fort. Mais il semble que ni Picasso ni Max Jacob, déjà installés à Montmartre, ne se mêlèrent aux soirées du Soleil d'or. C’est également en 1903 que Guillaume Apollinaire conçoit le projet d'une revue qui deviendra

Ceux du boulevard

 

Retour au Boulevard, lieu consacré des arts et des lettres sur la rive droite. Au coin du boulevard des Capucines et de la rue Louis-le-Grand s’élevait le café Napolitain, communément appelé le «Napo» ou, sans modestie, le «temple de la littérature». «Mais ce fut surtout ici, affirme Robert Courtine, le triomphe de l'esprit de 1900.» S'y côtoyaient Courteline, Catulle Mendcs, Alphonse Allais, Georges Feydeau, Tristan Bernard ou le futur «Prince des gastronomes» Curnonsky. Il advint même que Jules Renard y entraînât Jaurès, en 1904. Mais le vrai maître des lieux était Catulle Mendès, alors auréolé d'une gloire un rien sulfureuse. On raconte que Jean Moréas, héraut autocrate de la Closeric et dont le «règne» n'était pas discuté sur la rive gauche, ne faisait que de la figuration lorsqu'on daignait lui accorder un strapontin autour de «la table à Mendès».

 

Si la Closeric fut un forum, le Napolitain fut une académie. On allait au Napolitain pour avoir le plaisir de payer sa bière plus cher que partout ailleurs, là où les artistes de Montparnasse usaient de mille ruses pour ne pas avoir à honorer leurs ardoises. L’alternative boulevardière — quoique excentrée — à l’élitisme tapageur du Napo, on la trouvait Chez Weber, la taverne anglaise de la rue Royale. Les prix modiques, la cuisine simple et de bon aloi, le confort des lieux surent attirer bon nombre d’écrivains, et pas des moindres. Léon Daudet a longuement évoqué le café Weber dans son Paris vécu: «Ce n'est plus guère l'habitude des hommes de lettres et des artistes de se réunir dans les cafés, comme il y a trente ou quarante ans. Néanmoins, entre 1900 et 1905, un certain nombre de mes contemporains et d'hommes de la génération précédente se retrouvaient volontiers dans la soirée chez Weber.» Marcel Proust y vint passer ses insomnies en dégustant peut-être une «assiette anglaise», cette invention de la maison qui devait connaître la fortune que l'on sait. Parmi les habitués, citons également Curnonsky et Paul-Jean Toulet, l'auteur des Contrerimes et de la Jeune Fille verte, un peu trop vite rangé dans l’école des «fantaisistes». Toulet, que ses contemporains ne peignent pas autrement qu’avec un verre de whiskv-soda à la main, hanta les nuits de la rive droite, avec une prédilection pour le bar de la Paix, l'Élysée-Palace et, bien sûr, Weber, où il rencontra Claude Debussy, un autre habitué.

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« LES CAFÉS LITTÉRAIRES.

Le Lapin agile, dont on voit ici l'imérieur, esr enrrl dans la légende de la bohème monrmarrroise.

© Coll.

J.

Wamod LES CAFÉS L11TÉRAIRES.

Picasso dessine Apollinaire, l'amateur des cafés de la rive gauche.

©Coll.

J.

\4�mod © SPADEM 1991 l'éphémère Festin d'Ésope.

Pour bien manifester son indépen_dance à l'égard des anciens de la Plume, la jeune garde du Festin d'Esope se choisit un nouveau quartier général.

C'est un modeste bistrot de la rue de Seine qui s'enorgueillit d'une enseigne déjà prestigieuse: l'Odéon.

On peut y croiser Edmond-Marie Poullain, Jean Mollet, Arne Ham­ mer et d'autres membres de la revue pacifiste l'Européen, Apollinaire, le sculpteur Manuel Uge, dit Manolo, ct Alfred Jarry.

On peut s'éton­ ner, de nçs jours, de la prédilection des anistes pour des cafés sans prestige.

A cela, une raison simple: le père Jean, patron de l'Odéon, faisait largement crédit! LA CLOSERIE DES LILAS À quelques pas de la rue de Seine (il faut concevoir qu'en un temps où l'automobile en est à ses balbutiements, les longues marches n'effraient pas le promeneur), se dresse un autre café qui, lui, va devenir un mythe au même titre que le Procope: la Closerie des lilas.

Édifié en face de l'ancien bal Bullier, au carrefour du boulevard Saint­ Michel et du boulevard du Montparnasse, l'établissement a connu plusieurs métamorphoses.

De modeste guinguette, il est devenu un établissement confonable ct quiet en 1900, à la faveur de l'Exposition universelle.

Et c'est ici même que la légende dorée de Montparnasse va prendre corps.

La Closerie des lilas est sans conteste l'archétype moderne du café littéraire.

Paul Fort, poète aujourd'hui bien mésestimé, et Jean Moréas, versificateur dont les frasques sont plus mémorables que les œuvres qu'on lui doit, sont les deux grandes figures du lieu pendant la décennie.

C'est en 1905 que Paul Fort lance avec son ami André Salmon la revue Vers et Prose, dont le titre a été suggéré par Paul Valéry.

La légende veut que les deux compères envoyèrent pour l'oc­ casion quelque vingt-trois mille lettres aux artistes du monde entier pour les inviter à faire de Montparnasse le centre mondial des arts et des lettres.

Il semble en fait que quelques dizaines de missives seule­ ment furent envoyées.

Mais cela est sans importance eu égard à la pérennité des légendes qui composent la geste de Montparnasse.

Les Mardis de Vers et Prose s'imposèrent vite comme une institution du­ rable.

Tant et si bien que certains écrivains paraissent n'avoir jamais quitté le� confortables banquettes de la Closerie ...

De fait, il semble bien qu'ici, comme en tant d'autres cafés littéraires, l'amour de la chose écrite soit plus un prétexte à goûter une convivialité simple qu'un motif de réunion sérieuse.

Ce que déplore un Léautaud -la superficialité des rapports de comptoir -est bien justement ce que maints écrivains viennent chercher sous les lumières du zinc: l'oubli momentané de la difficile solitude créatrice.

Le café LES CAFÉS LITT ËRAIR ES.

En !904, Picasso s'insw/le au Bateau-Lavoir, à Mommame, dom il devie/li vire l'une des figures les plus célèbres.

©R.M.N.

littéraire en tant que tel n'a d'ailleurs jamais été un lieu où se produit de la littérature; ce qui le distingue, en revanche, c'est qu'il est le théâtre des rencontres les plus inattendues.

11 n'est qu'à se reporter, une fois de plus, à la Closerie des lilas, pour imaginer qu'un soir ou un autre aient pu cohabiter sous le même toit des personnalités aussi diverses que Picasso, Lénine ou Alfred Jarry descendu de sa. »

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