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Les Confessions, Livre I, p. 63-64. Lecture méthodique - Rousseau

Publié le 23/06/2015

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Lecture méthodique

La tyrannie de mon maître finit par me rendre insuppor-table le travail que j'aurais aimé, et par me donner des vices que j'aurais haïs, tels que le mensonge, la fainéantise, le vol. Rien ne m'a mieux appris la différence qu'il y a de la dépen 

5 dance filiale à l'esclavage servile, que le souvenir des chan-gements que produisit en moi cette époque. Naturellement timide et honteux, je n'eus jamais plus d'éloignement pour aucun défaut que pour l'effronterie. Mais j'avais joui d'une liberté honnête, qui seulement s'était restreinte jusque-là

1c) par degrés, et s'évanouit enfin tout à fait. J'étais hardi chez mon père, libre chez M. Lambercier, discret chez mon oncle; je devins craintif chez mon maître, et dès lors je fus un enfant perdu. Accoutumé à une égalité parfaite avec mes supérieurs dans la manière de vivre, à ne pas connaître un plaisir qui ne

15 fût à ma portée, à ne pas voir un mets dont je n'eusse ma part, à n'avoir pas un désir que je ne témoignasse, à mettre enfin tous les mouvements de mon coeur sur mes lèvres : qu'on juge de ce que je dus devenir dans une maison où je n'osais pas ouvrir la bouche, où il fallait sortir de table au tiers du repas,

20 et de la chambre aussitôt que je n'y avais rien à faire, où, sans cesse enchaîné à mon travail, je ne voyais qu'objets de jouis¬sances pour d'autres et de privations pour moi seul ; où l'image de la liberté du maître et des compagnons augmentait le poids de mon assujettissement ; où, dans les disputes sur ce que je

25 savais le mieux, je n'osais ouvrir la bouche ; où tout enfin ce que je voyais devenait pour mon coeur un objet de convoitise, uniquement parce que j'étais privé de tout. Adieu l'aisance, la gaieté, les mots heureux qui jadis souvent dans mes fautes m'avaient fait échapper au châtiment.

Les Confessions, Livre I, p. 63-64.

 

Un bilan sans appel

Ces différentes interprétations possibles s'inscrivent en creux dans le texte où Rousseau regarde avec nostalgie les vrais bon­heurs à jamais enfuis de sa vie : la mise en relief de l'adieu final (I. 27) et la construction même de la dernière phrase (I. 27 à 29) l'attestent. L'absence de verbe dans la proposition principale, la juxtaposition des mots clés : « aisance «, « gaieté « (I. 27), « mots heureux « (I. 28), montrent le caractère inéluctable de la chute.

 

Le texte étudié se présente donc à la fois comme un constat désenchanté et un réquisitoire vigoureux. Le philosophe constate que le déterminisme social et l'éducation telle qu'elle est dis­pensée dégradent l'enfant. De ce point de vue, ce texte fait écho à Émile ou de l'éducation (1762), ouvrage dans lequel Rousseau dénonce la corruption de la société et propose les principes d'une éducation conforme à la nature.

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« --·INTRODUCTION Situation du passage Après avoir quitté les Lambercier, Jean-Jacques est de retour à Genève.

Recueilli par son oncle qui s'occupe fort peu de son éducation, le jeune garçon fait ses premiers pas dans la vie professionnelle.

Sa première expérience chez M.

Masseron.

gref­ fier de la ville, est un échec total et humiliant.

On le destine alors à un métier manuel et il entre en apprentissage chez le graveur Ducommun, « jeune homme rustre et violent » qui contribue à faire de l'enfant un polisson capable de tous les vices.

Axes de lecture Une première lecture du texte met en évidence un réseau d'oppositions entre les années passées auprès de son père, des Lambercier, de son oncle, et la triste vie qui lui est faite chez Ducommun.

Le thème dominant de l'extrait apparaît alors: c'est l'histoire de la chute sentimentale, morale et sociale d'un « enfant perdu>>, à laquelle l'écrivain Rousseau donne une dimension phi­ losophique supplémentaire.

1.

AUTREFOIS ET MAINTENANT: HISTOIRE D'UNE LIBERTÉ PERDUE Les nombreuses antithèses soulignent une lente dégradation que l'auteur tente de saisir dans ses étapes successives, ce qui lui permet de se justifier auprès de son lecteur.

Un texte construit sur un réseau d'oppositions Celles-ci font apparaître une nette coupure entre la « vie d'avant» dans les trois maisons du bonheur et celle« d'après», dans la maison du malheur(\.

18).

Relevons les antithèses les plus significatives.

À la « liberté » (1.

8 et 1 0), « l'égalité parfaite avec [ses] supérieurs» (1.

13), s'opposent la« tyrannie de [son] maître >> (1.

1 ), « l'esclavage servile >> (\.

5), « l'assujettissement>> (1.

24) de l'enfant« enchaîné à [son] travail>> (1.

2Q-21).

À la 139. »

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