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Les Confessions, Livre II, p. 125-126. Lecture méthodique - Rousseau

Publié le 23/06/2015

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  Lecture méthodique

 

C'est ce qui surprit quand je la nommai. L'on n'avait guère moins de confiance en moi qu'en elle, et l'on jugea qu'il impor¬tait de vérifier lequel était le fripon des deux. On la fit venir ; l'assemblée était nombreuse, le comte de la Roque y était.

5 Elle arrive, on lui montre le ruban, je la charge effrontément;

elle reste interdite, se tait, me jette un regard qui aurait désarmé les démons, et auquel mon barbare coeur résiste. Elle nie enfin avec assurance, mais sans emportement, m'apostrophe, m'exhorte à rentrer en moi-même, à ne pas déshonorer une

lo fille innocente qui ne m'a jamais fait de mal ; et moi, avec une impudence infernale, je confirme ma déclaration, et lui sou¬tiens en face qu'elle m'a donné le ruban. La pauvre fille se mit à pleurer, et ne me dit que ces mots : « Ah ! Rousseau, je vous croyais un bon caractère. Vous me rendez bien mal 

15 heureuse ; mais je ne voudrais pas être à votre place «. Voilà tout. Elle continua de se défendre avec autant de simplicité que de fermeté, mais sans se permettre jamais contre moi la moindre invective. Cette modération, comparée à mon ton décidé, lui fit tort. Il ne semblait pas naturel de supposer d'un

20 côté une audace aussi diabolique, et de l'autre une aussi angé¬lique douceur. On ne parut pas se décider absolument, mais les préjugés étaient pour moi. Dans le tracas où l'on était, on ne se donna pas le temps d'approfondir la chose; et le comte de la Roque, en nous renvoyant tous deux, se contenta de dire

25 que la conscience du coupable vengerait assez l'innocent. Sa prédiction n'a pas été vaine ; elle ne cesse pas un seul jour de s'accomplir.

Les Confessions, Livre II, p. 125-126.

 

Certes Rousseau soulage sa conscience en avouant son « crime «. Mais il pratique déjà, dans cet extrait, la rhétorique des casuistes (spécialistes des cas de conscience) qui consistait à excuser la gravité des actions par la pureté des intentions. Le talent avec lequel, tout en noircissant sa conduite, il prépare le plaidoyer qui va établir son « innocence «, a quelque chose de... diabolique ! Mais c'est là la complexité même de Rousseau qui, tout en faisant état de ses remords (c'est à cause du remords d'avoir calomnié Marion, dit-il, qu'il a notamment décidé d'écrire ses Confessions), ne peut pas s'accepter « méchant1 «.

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« --·INTRODUCTION Situation du passage À Turin, fin août 1728, Jean-Jacques Rousseau -âgé de 16 ans- est laquais chez Mme de Verce\\is.

Le décès de celle-ci entraîne une certaine confusion et le jeune homme en profite pour voler un ruban qui le tentait.

Interrogé, il accuse Marion, jeune et jolie cuisinière, de le lui avoir donné.

Une confrontation entre les deux suspects est aussitôt organisée, en présence du comte de la Roque, neveu et héritier de Mme de Verce\lis.

C'est cette confrontation que retrace l'extrait présenté ici.

Axes de lecture Cette confrontation où le jeune Rousseau, soupçonné, se trans­ forme en accusateur, en présence d'une nombreuse assemblée, fait naturellement penser à une scène de tribunal.

Le dispositif de ce procès et les rôles qui y sont joués feront l'objet de notre premier examen méthodique.

Mais, dans ce simple récit, le narrateur Rousseau veille : en même temps qu'il veut faire ressortir la gravité de la faute com­ mise par l'adolescent qu'il fut, il désire taire comprendre son attitude et il prépare déjà le plaidoyer qui occupera les pages sui­ vantes.

Paradoxalement, il bat sa coulpe ici (il s'accuse violem­ ment) pour mieux s'innocenter dans la suite, ce qui mérite d'être analysé de près.

Nous choisirons donc les deux axes d'étude suivants: - une scène de tribunal; - de l'expiation à l'innocence.

1.

UNE SCÈNE DE TRIBUNAL L'épisode du« ruban volé», présenté très solennellement par Jean-Jacques Rousseau, marque la fin du Livre Il.

C'est le premier aveu d'une faute véritable, depuis le début des ConfesskJns, faute jamais avouée, et que rien n'obligeait l'auteur à confesser, sinon le désir de soulager sa conscience.

Cette faute, notons-le, n'est pas le vol du ruban.

C'est d'avoir accusé à tort 167. »

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