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Les Confessions, Livre IV: J'aime à marcher à mon aise, et m'arrêter quand il me plaît. La vie ambulante est celle qu'il me faut...

Publié le 17/01/2022

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J'aime à marcher à mon aise, et m'arrêter quand il me plaît. La vie ambulante est celle qu'il me faut. Faire route à pied par un beau temps, dans un beau pays, sans être pressé, et avoir pour terme de ma course un objet agréable : voilà de toutes les manières de vivre celle qui est la plus de mon goût. Au reste, on sait déjà ce que j'entends par un beau pays. Jamais pays de plaine, quelque beau qu'il fût, ne parut tel à mes yeux. Il me faut des torrents, des rochers, des sapins, des bois noirs, des montagnes, des chemins raboteux à monter et à descendre, des précipices à mes côtés qui me fassent bien peur. J'eus ce plaisir, et je le goûtai dans tout son charme en approchant de Chambéry. Non loin d'une montagne coupée qu'on appelle le Pas-de-l'Échelle. Au-dessous du grand chemin taillé dans le roc, à l'endroit appelé Chailles, court et bouillonne dans des gouffres affreux une petite rivière qui paraît avoir mis à les creuser des milliers de siècles. On a bordé le chemin d'un parapet pour prévenir les malheurs : cela faisait que je pouvais contempler au fond et gagner des vertiges tout à mon aise, car ce qu'il y a de plaisant dans mon goût pour les lieux escarpés, est qu'ils me font tourner la tête, et j'aime beaucoup ce tournoiement, pourvu que je sois en sûreté. Bien appuyé sur le parapet, j'avançais le nez, et je restais là des heures entières, entrevoyant de temps en temps cette écume et cette eau bleue dont j'entendais le mugissement à travers les cris des corbeaux et des oiseaux de proie qui volaient de roche en roche et de broussaille en broussaille à cent toises au-dessous de moi. Dans les endroits où la pente était assez unie et la broussaille assez claire pour laisser passer des cailloux, j'en allais chercher au loin d'aussi gros que je les pouvais porter; je les rassemblais sur le parapet en pile ; puis, les lançant l'un après l'autre, je me délectais à les voir rouler, bondir et voler en mille éclats, avant que d'atteindre le fond du précipice. Les Confessions, livre IV, coll. «Folio», Éd. Gallimard, 1995, p. 227-228.

« II.

L'auto-portrait La confidence au lecteur Comme il le fait fréquemment, Rousseau s'abandonne au plaisir de se raconter.

Il brosse ici le portrait d'un hommeaux goûts simples mais nettement affirmés : s'adonnant avec bonheur aux exercices physiques, à la marche à pied y compris dans les «chemins raboteux»(I.

8) ; fuyant les contraintes comme l'indiquent les formules qui insistent sur son amour de la liberté («...

j'aime àmarcher à mon aise et m'arrêter quand il me plaît [...] sans être pressé» (I.

1 -3) ; savourant en épicurien les plaisirs qui passent à sa portée; il avoue avec un égoïsme tranquille que laperspective de revoir sa «chère Maman» ne l'empêche nullement de s'attarder en chemin. Rousseau entre les lignes Il y a aussi ce qui n'est pas dit mais qui se laisse deviner entre les lignes.

Tel qu'il est décrit, le paysage estrévélateur.

On peut le déchiffrer comme une projection du monde intérieur de l'auteur.

Dans le charme qu'exerce sur lui la nature sauvage, Rousseau trahit une tendance aurepliement sur soi-même.

Ce paysage presque déshumanisé révèle une inclination sans doute excessive vers lasolitude, voire une misanthropie que ses détracteurs lui ont souvent reprochée. De plus, à travers la nature, s'exprime l'un des penchants les plus intimes de Rousseau, celui de la contemplation etparticulièrement de la contemplation de l'eau qui a toujours exercé sur lui une véritable fascination.

Jean-Jacquess'attardant des « heures entières» (I.

20) pour entrevoir l'éclat du torrent annonce le «promeneur solitaire »s'abîmant jusqu'à l'extase dans «le flux et le reflux» des eaux du lac de Bienne'.

Le texte, d'ailleurs, tisse unecontinuité entre le passé et le présent : ainsi s'affirme la permanence de l'être. Ce passage tendrait à confirmer le jugement de certains critiques qui ont vu dans Les Confessions un roman du «Moi».

Écrit avec l'aisance, la liberté, la simplicité d'une confidence à bâtons rompus, le texte correspond à l'une desprincipales motivations de Rousseau lorsqu'il entreprend la rédaction de ses souvenirs : pallier les déceptions et lesamertumes de la vie réelle en se dévoilant à un lecteur idéal, capable de l'accepter tel qu'il est — ou tel qu'ilvoudrait être — dans sa sincérité et sa singularité.. »

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