LES CONTES
Publié le 10/11/2018
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LA TRADITION ORALE
Si les écrivains modernes ont cherché à fixer des contes par écrit puis à en inventer, il n'en demeure pas moins que le genre se définit à l'origine par son caractère oral. Il n'y a pas de conte sans conteur : les œuvres vivent ainsi dans la voix de ceux qui, soir après soir, d'un conteur à l'autre et d'un siècle à l'autre, les répètent Qu'ils les enrichissent les modifient les enjolivent ou au contraire les raccourcissent ajoutent ou retranchent des épisodes, cela importe peu : ce ne sont que variations.
Le conteur, il faut le comprendre, n'est pas un créateur : il est celui par qui passe une tradition. Par rapport à l'écrivain tel que nous le concevons aujourd'hui, il pourrait se définir en reprenant la distinction entre l'artiste et l'artisan. À la manière d'un artisan, le conteur travaille sur une matière qui ne lui appartient pas en propre, et il se soucie peu d'y apposer sa \"marque\", sa signature ou son style. Son souci est plutôt soir après soir, de tenir son public en haleine.
L’art du conte est donc affaire de mémoire et d'habileté. Mémoire de celui qui possède et fait vivre une tradition, habileté de l'artisan sachant ménager un silence, baisser la voix, ou au contraire accélérer quand il le faut.
LES PARABOLES DE IMAGINAIRE
Au contraire du roman ou de la nouvelle, dont la création peut être datée, les origines du conte se perdent dans la nuit des temps. S'il est aujourd'hui associé à la littérature de jeunesse, ce genre a pu prendre au cours de son histoire des formes três diverses, et les plus grands écrivains n'ont pas craint de s'y essayer : les philosophes des Lumières, les romantiques et les adeptes du fantastique ont trouvé dans le conte des ressources
toujours nouvelles. Le genre a pourtant ses règles, identifiées de longue date par les critiques qui en ont tait pour cette raison, un objet d'étude privilégié. Mais les règles n'existent, en littérature, que pour être contournées, réinventées,
parodiées. Aussi les auteurs modernes ont-ils fait de ce genre leur terrain de jeu en même temps qu'un espace d'invention où peut
en Europe
s exprimer leu originalité. Ce peut sembler paradoxal, car les conteurs
reste du monde, ne se sont jamais considérés comme de véritables
écrivains.
CONTES ET MYTHES
Le poids de la tradition inscrit d'emblée le conte dans une culture locale, ethnique ou nationale. Dans le même temps, les similitudes sont souvent flagrantes entre deux récits originaires l'un du sud de l'Asie et l'autre du nord de l'Europe, par exemple. Des schémas archétypaux, relevant moins des différentes cultures que des structures profondes de l'anthropologie, se retrouvent en effet dans de nombreux contes.
Comme toutes les littératures primitives, les contes ont pour fonction d'expliciter des situations humaines fondamentales : les relations enfants-parents (récit des aventures d'Œdipe, par exemple), des hommes avec les femmes, des individus avec la communauté; l'amour et le mariage, la naissance et la mort la guerre. Le conte n'est pas voué à la mise en scène de finesses psychologiques, à la découverte de traits ignorés de la nature humaine, à la description du monde physique ou historique. Il se déroule au contraire dans un temps anhistorique (\"Il était une fois...\"), dans un espace lointain, disparu, ou anonyme.
«
aussi
à leur compliquer la vie pour
le plus grand plaisir des auditeurs.
Des poèmes viennent s'intercaler dans
des récits manifestement écrits pour
des adultes : méchants vizirs, érotisme
sous-jacen� soucis d'argent inscrivent
ces contes merveilleux dans une
critique réaliste du quotidien.
Le Décaméron (1349) de l'Italien
BCKcace et les
Contes de
C11nterbury,
réunis par
l'Anglais
Chaucer à la
une crudité et une cruauté que l'on
retrouve dans les fabliaux français et
Le Roman de Renart.
Plus raffinée,
Marie de France a donné au Xl� siècle
des Lais comme celui du Chèvrefeuille,
qui se rapprochent davantage de la
tradition des contes amoureux.
CONTES GRIVOIS
ET CONTES DE FÉES
On attribue quelquefois à Boccace
l'invention de la nouvelle, et il est
certain que ses imitateurs français de
la Renaissance, comme Marguerite
de Navarre et Bonaventure des
Périen, donnent à leurs récits une
tournure anecdotique et réaliste qui les
sort définitivement du genre des contes.
Le passage d'une culture orale à une
culture écrite, entre la fin du Moyen Âge
et le début de la Renaissance, se traduit
par un relatif abandon du conte, délaissé
par les élites.
Ce sont dans
les cahiers grossièrement imprimés de
• La Bibliothèque bleue», èditée à Troyes
et vendue par les colporteurs, que le
conte va survivre, au côté de chansons
de gestes que l'on ne goûte plus que
dans les milieux populaires et paysans.
Dans les contes de fées continue à vivre
un fond folklorique d'origine surtout
celtique, qui se rencontre avec une
certaine diabolisation de la femme
au Moyen Âge.
Inquiétante mais
bienveillante,
la fée est
une figure
acceptable de
cette autre
image de la
femme qui
hante les
esprits et
cristallise
toutes les
peurs: la
sonièrr.
De la même façon, le conte va servir
d'exutoire à une sexualité peu à peu
écartée de la littérature officielle : forme
d'élection du récit paillard, le conte LE
CONTE ET LA NOUVELLE
Entre ces deux formes de récit,
marquées toutes deux par la brièveté,
on est quelquefois bien en peine de
faire la différence.
Elle existe, pourtant
Née en Italie à la Renaissance, la
nouvelle met en scène un univers plus
réaliste que le conte : un espace et un
temps précis, généralement nommés.
Elle est centrée sur une aventure
particulière, sans valeur générale,
souvent surprenante -cette surprise
étant d'ailleurs sa légitimation littéraire,
ce qui mérite que l'on annonce la
•nouvelle».
Sans valeur générale, elle
va davantage chercher du côté de
l'anecdote, du particulier, voire de
l'étrangeté : on sldentifie aussi peu au
héros d'une nouvelle qu'au personnage
d'un fait-divers dans le journal.
Enfin,
les mécanismes narratifs ne sont pas
les mêmes : là où le conte exploite
surtout les ressorts de l'épreuve, pour
mettre en scène l'intégration ou la
réintégration d'un personnage dans un
groupe (ou dans un couple), la
nouvelle se construit davantage sur le
ratage, l'échec, la déconfrture comique
ou tragique d'un personnage ne
maîtrisant pas ce qui lui arrive.
Un
des modes de cette création est
le détournemen� pratiqué notamment
Voltoire, à partir
années 1740,
ces contes
philiJsophiqu1es qu'il
lui-
que comme
un divertissement, et qui constituent
pour nous une part essentielle de son
œuvre, la seule qui ait conservé de
nombreux lecteurs.
Zadig ou la
Destinée (1747), Micromégas (1752),
Candide ou l'Optimisme (1759) -qui
outrepasse les dimensions du conte
pour s'aventurer dans le roman -,
L'Ingénu (1767) sont les œuvres les plus
connues d'une production qui
comprend aussi des contes en vers et
dont le ressort principal est la fausse
naïveté, instrument d'élection de la
fameuse ironie voltairienne.
Le Contes moraux de Marmontel,
dont la première série est publiée en
1755, apparaissent bien fades en
comparaison, mais ils obtinrent un
grand succès.
Le conte voit sa
dimension pédagogique exploitée par
les écrivains des Lumières, toujours
soucieux d'instruire en amusant.
On
1---------------i pourrait citer, dans une veine mi
grivois part d'une tradition de crudité
orale et populaire pour se faire peu à
peu franchement licencieux, voire
pornographique aux XVI� et XVIII' siècles.
ÉPOQUE CLASSIQUE
C'est pourtant aux mêmes XVII' et
XVIII' siècles que le conte réinvestit la
littérature sérieuse.
la Fontaine donne
en 1665 quelques Contes dont la
dimension érotique fera scandale, mais
qui sont écrits dans la langue parfaite
d'un écrivain de haut vol.
Les Amours
de Psyché et de Cupidon, écrits en vers,
atténuent cet érotisme sans l'évacuer
totalemen� et surtout donnent au conte
ses lettres de noblesse en rappelant ses
origines antiques.
Charles Perrault, tout au contraire, va
s'employer à montrer dans le conte un
genre authentiquement français, associé
au cc merveilleux chrétien» et à un
imaginaire dont il tente de faire valoir
la dignité littéraire.
Ses Contes, dits
quelquefois de ma mère l'Oye (titre
du second recueil, publié en 1697), écrits
en vers et en prose, servent en quelque
sorte dlllustration à la thèse défendue
par Perrault dans la célèbre querelle des
Anciens et des Modernes : à ses yeux,
la modernité (c'est-à-dire le monde
français et chrétien) possède autant de
ressources littéraires que l'Antiquité.
Une véritable mode du conte de fées
se développe à l'époque, dont la
représentante la plus emblématique est
sans doute Mme d'Aulnoy, qui donne
à la fin du siècle pas moins de huit
volumes de contes, dont le célèbre
Oiseau bleu.
Antoine Galland rédige
entre 1704 et 1717 la première
adaptation française des Mille et
Une Nuits.
LES CONTIS PHILOSOPHIQUES
Sans vraiment que l'on s'en rende
compte, c'est dans ces années-là que
le conte devient un genre littéraire de
création, et non plus de tradition.
Les écrivains commencent à inventer
des contes, au lieu de puiser, comme
Perrault ou La Fontaine, dans un fonds
déjà existant.
morale,
mi-parodique, L'Oiseau blanc,
conte bleu (1748) ou encore Ceci n'est
pas un conte (1773), de Diderot.
i!JHM!IiiMII
Jeu de l'esprit, le conte philosophique
est fort éloigné de l'esprit originel des
contes populaires.
Ceux-ci vont susciter
un regain d'intérêt au moment où le
romantisme, délaissant l'idéal
universaliste des Lumières, redécouvre
les vertus des traditions locales.
Le
XIX' siècle voit ainsi un gigantesque
travail de collecte effectué par ceux que
l'on nomme les folkloristes, et dont les
plus importants sont les frrrrs Grimm.
Les Contes qu'ils publient en 1812
Genre littéraire ancien et bien
représenté, le conte a suscité de
longue date l'attention des critiques.
Parmi les travaux les plus fameux, on
retiendra notamment ceux de Vladimir
Propp, l'un des fondateurs d'une école
quelquefois nommée •les formalistes
russes"· Dans Morphologie du conte
(1928), il met en évidence la régularité
des schémas narratifs dans les contes
populaires, élaborant une grille de
«fonctions" qui permettent de
décomposer n'importe quel conte en
quelques éléments structurants.
�Américain Bruno Bettelheim, de son
côté, a tenté avec sa Psychanalyse des
contes de fées (1976) de montrer la
façon dont les contes de Perrault, par
exemple, mettent en jeu des éléments
fondamentaux de la psychologie
infantile, en permettant à certaines
émotions refoulées de se libérer et aux
désirs interdits de s'accomplir dans
l'imaginaire.
participent
ainsi d'une redécouverte
du génie national, indissociable dans
un contexte allemand de la résistance à
une culture française confondue avec
l'occupation napoléonienne.
Les auteurs romantiques français et
étrangers sont eux aussi sensibles aux
vertus du conte; soit, comme George
qu'ils apprécient
rurales
par l'oubli et
des éléments de
romanesques (La Mare au diable,
1846), soit qu'ils y voient une forme
en phase avec l'esprit du temps.
Les Contes d'Espagne et d'Italie (1829)
de Musset explorent une veine
provocante, tandis qu'Andersen
revient dans ses Contes (1835) à
une écriture beaucoup plus sage, dans
la tradition des contes de fées.
Il faut signaler enfin, dans ces années
romantiques, les trop peu connus
Contes
drollltiques
que Balzac
considérait
constituent
une tentative de subversion littéraire
sans précédent, touchant aussi bien au
lexique qu'aux représentations : l'usage
de cette forme populaire est associée à
une crudité qui répond en creux au
romantisme éthéré d'œuvres comme
Le Lys dans la vallée, par exemple.
LE CONTE FANTASTIQUE
Le genre du conte fantastique est
inauguré par Jan PotCKki dans le
Manuscrit trouvé ti Saragosse (1805) et
illustré par Charles Nodier (Histoire
du roi de Bohême et
amoureuse, Arria
Marcella, 1852, Le
Spirite, 1866).
Aux Etats-Unis, -""""'=-. Poe donne à la même
époque des contes qui,
traduits par Baudelaire
dans les années 1850
(Double Assassinat dans
la rue Morgue, Le Chat noir, La Chute de
la maison Usher), deviendront des
chefs-d'œuvre de la littérature française.
Si la littérature fantastique trouve dans le
conte un genre à sa mesure, c'est
du fait de sa brièveté, d'abord, et aussi
parce qull est de longue date associé au
merveilleux, dont le fantastique,
précisémen� interroge la présence
dans le monde.
Le conte trouve ainsi une seconde
jeunesse, tout en s'éloignant de ses
thèmes et de son ambiance
traditionnels.
Inquiétant, sulfureux,
jouant sur l'angoisse et le suspense,
le conte fantastique deviendra chez
certains auteurs comme Maupassant
un moyen de dire la folie qui les
menace (Le Horta, 1887).
Les Contes cruels, de Villien de l'Isle
Adam en 1883, n'appartiennent pas
tous au registre de la littérature
fantastique, mais ils en reprennent l'atmosphère
angoissante- comme si
Btlrbe-Bieut, ce héros un peu atypique
des contes traditionnels, avait peu à peu
pris une place démesurée.
RETOUR EN ENFANCE
Relancé par le fantastique, le genre ne
va pourtant pas s'y cantonner.
Certains
écrivains réalistes et naturalistes y
trouvent une manière de respiration,
voire d'évasion de la réalité : on
n.!�IIIT!'rl"'l pourrait
citer ainsi les
J;t:J��� Lettres dt mon
moulin, qui valent à
Alphonse Daudet
son premier succès
en 1866, ou les Trois
Contes publiés par
Gustave Flaubert
en 1877.
Les œuvres de Rudy11rd
Kipling (Simples Contes
des collines, 1886), au
tournant du siècle,
illustrent la même tendance, sur un
mode exotique associé chez lui à
l'exaltation d'une vie aventureuse et
vertueuse.
Le conte retrouve ainsi une
dimension éducative qu'il avait un peu
perdu de vue depuis Marmontel.
Exotique elle aussi, mais dans un tout
autre sens, est l'Anthologie nègre
publiée par le poète Blaise Cendran
en 1921, avant les Petits Contes nègres
pour les enfants des Blancs (1929).
Loin
de l'esprit colonialiste et impérialiste qui
anime les œuvres de Kipling.
le conte
sert ici de support à une réévaluation
de la littérature orale africaine; des
écrivains de la négritude suivront cette
voie, tel Alexis Kagamé, qui a consacré
une partie de son œuvre à la collecte
des contes en langue kinyirawanda.
Dans la lignée de Daudet, Marcel
Aymé connaît dans les années 1930 un
grand succès avec ses Contts du chllt
perché (1934), qui contribuent à
réorienter le genre vers la littérature
enfantine.
Si, dans le domaine hispanique
notamment, des écrivains exigeants
comme Jorge luis Borges et Juan
Carlos Onetti ont donné des contes, la
fin du xx< siècle semble confirmer cette
orientation vers la littérature enfantine,
des œuvres de
qualité parfois,
celle de Pierre
(L11 Sorcirrr
Mo uffe t11rd
Contes dela
Broca, 1980, Contes
la Folie-Méricourt,
1983)..
»
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