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Les fausses confidences

Publié le 17/05/2021

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En français dans le texte Émission diffusée le 14 novembre 2020 Objet d’étude : Le théâtre du XVIIe siècle au XXIe siècle Parcours : théâtre et stratagème Œuvre : Marivaux, Les Fausses confidences Pour les classes de première de la voie générale Extrait : les scènes 8 à 11 de l’acte II I. ANALYSE LITTÉRAIRE Introduction/Mise en situation Rappel : Dorante se fait engager comme intendant d’Araminte, veuve fortunée, et l’on apprend dès la deuxième scène de la pièce qu’il souhaite l’épouser. L’aime-t-il d’un amour sincère ? On peut en avoir l’impression. Cependant Araminte, qui ne connaît même pas Dorante au début de la pièce, est plus ou moins engagée dans un projet de remariage avec le Comte Dorimont, qu’elle n’aime pas – mais cette alliance éviterait un procès au sujet d’une terre que tous deux se disputent, et sa mère, Mme Argante, la presse de se marier. Heureusement, l’ancien valet de Dorante, Dubois, est là pour mener la danse et faire tomber ces divers obstacles. Nous allons aujourd’hui nous focaliser sur un extrait de l’acte II, acte central où traditionnellement les différents fils de l’intrigue viennent se nouer. Dans La Surprise de l’amour, du même auteur, l’action de la fin de l’acte II puis de l’acte III progressait autour d’un objet : le portrait miniature de la Comtesse. Perdu, retrouvé et conservé par Lélio, puis découvert par la Comtesse dans la « poche de sa veste » (tout près du cœur donc), il venait sceller le rapprochement définitif des deux personnages principaux, qui tentaient jusque-là de résister à l’amour. Quinze ans plus tard, dans Les fausses confidences, Marivaux fait ressurgir cet objet, et lui donne à nouveau un rôle-clé dans l’intrigue. Le petit portrait d’Araminte, qu’un ouvrier vient de livrer à la scène 6, constitue au cours de l’extrait que nous allons étudier une preuve tangible de l’amour de Dorante pour sa maîtresse, cette fois-ci aux yeux de toute la maisonnée ainsi que du Comte. Mais il y a dans cette séquence centrale des Fausses confidences, composée de quatre scènes très vives, quelque chose d’étonnant, de très différent de la façon dont l’action progresse dans La Surprise de l’amour. À cette scène du portrait succède en effet la scène du « tableau », étrange redoublement… Comment l’expliquer ? Est-elle utile dans le nouement de la pièce ? Pourquoi ce double-nœud ? Pourquoi une telle dépense ? C’est ce questionnement qui nous servira de point de départ pour analyser les scènes 8 à 11 de l’acte II. Nouer « l’affaire », et faire des nœuds dans la tête du lecteur/spectateur Cette séquence de la pièce est d’une grande complexité. Il est tout à fait normal qu’un élève de Première soit perdu à la lecture de cet acte II, c’est même sans doute voulu… L’action de la pièce se noue, mais on a surtout l’impression que tout s’emberlificote. Et ceci à tous les niveaux. Dans les paroles : les premières répliques de Marton par exemple accumulent les adresses et évocations de personnages tiers (le « charmant homme », « M. Remy », l’« homme qui serait arrivé », « Arlequin »). Dans la confusion sur scène : on a dans cette séquence le plus grand nombre de personnages présents simultanément (six, alors que de nombreuses scènes n’en comptent que deux, et tous les six parlent). Et dans l’action générale : pourquoi Dubois a-t-il voulu d’une part que ces stratagèmes du portrait et du tableau se succèdent et qu’ils se déroulent, d’autre part, devant Argante et Dorimont ? (N’était-ce pas prendre un grand risque, en excitant leur colère et jalousie ?) Premier exemple de notre manque de connaissance des véritables pensées et intentions des personnages : l’apparition de Dorante à la scène 8. De même qu’à la scène 3 il avait laissé Marton dans l’illusion d’être préférée à la femme aux 15.000 livres de rentes, de même, ici, il ne cherche pas à lui prouver que le portrait n’est pas pour elle, et il sort en riant ! Se moque-t-il de la crédulité de la jeune femme ? N’est-il qu’un vilain persifleur (à la fois railleur et méchant) ? On peut comprendre aux scènes suivantes qu’il était utile en effet que Marton « pr [ît] un peu de goût pour [lui] » – il s’agissait sans doute à la fois de s’en faire une alliée pour aider à installer Dorante dans la maison d’Araminte, mais aussi d’exciter une forme de jalousie chez celle-ci. En revanche, dans cette perspective, le rôle de la dernière scène de l’acte I est plus ambigu : pourquoi Dubois laissait-il entendre à Marton que Dorante était amoureux d’Araminte ? C’est de cet avertissement dont elle se souvient ici (« Dubois avait raison tantôt »), mais alors elle ne l’avait pas cru. Il semble que le principal enjeu dramatique de ce passage soit de renforcer le sentiment amoureux naissant d’Araminte pour Dorante. Pour cela, Dubois lui montre à la fois un homme désirable (aimé par Marton, qui l’ombre d’un instant passe du statut de servante à celui de rivale) et un homme désirant (qui voue à sa maîtresse une sorte de culte, adorant son image démultipliée – portrait et tableau). Elle fera d’ailleurs, au début de la scène qui suit notre extrait, ce reproche à son domestique : « sans toi je ne saurais pas que cet homme-là m’aime ». Comme l’analyse Anouk Grinberg qui interprète Araminte dans la mise en scène dont nous venons d’écouter un extrait : « Et tout à coup lui arrive cet amour de Dorante, qui est doublement de l’ordre de l’impossible, de l’impensable : d’abord parce qu’elle est sourde à elle-même, et parce qu’elle ne peut aimer quelqu’un qui lui est inférieur socialement […]. Pourtant, cette liberté?, elle la prend. C’est très beau, la manière dont elle trouve sa route au milieu de la déroute, et le courage qu’elle a de s’affranchir, de braver les interdits de tous ordres. » La scène 9 va en tout cas désillusionner Marton, qui était le personnage pivot, toujours présente des scènes 3 à 11 au cours de cet acte II. Ici, sa façon pathétique de récapituler toute l’histoire et de dire que sa méprise la pousse à se taire la rend extrêmement touchante. Quoi de plus significatif et terrible pour un personnage de théâtre que de se taire ? À la fin de la pièce, certes, Araminte comprendra la peine qu’éprouve sa suivante et lui témoignera son affection ; mais cela, dans le fond, ne changera pas grand-chose… Alors que ce type de personnage finit souvent marié chez Marivaux, pas forcément avec celui ou celle qu’il espérait au début, mais marié quand même, et heureux de l’être, Marton ne sera dédommagée en aucune façon. Didier Bezace repère bien ce qu’on pourrait appeler la tragédie de Marton, cette espèce d&r...

« Nouer «  l’affaire  », et faire des nœuds dans la tête du lecteur/spectateur Cette séquence de la pièce est d’une grande complexité .

Il est tout à fait normal qu’un élève de Première soit perdu à la lecture de cet acte II, c’est même sans doute voulu… L’action de la pièce se noue, mais on a surtout l’impression que tout s’emberlificote.

Et ceci à tous les niveaux.

Dans les paroles : les premières répliques de Marton par exemple accumulent les adresses et évocations de personnages tiers (le «  charmant homme  », «  M. Remy  », l’«  homme qui serait arrivé  », «  Arlequin  »).

Dans la confusion sur scène : on a dans cette séquence le plus grand nombre de personnages présents simultanément (six, alors que de nombreuses scènes n’en comptent que deux, et tous les six parlent).

Et dans l’action générale : pourquoi Dubois a -t-il voulu d’une part que ces stratagèmes du portrait et du tableau se succèdent et qu’ils se déroulent, d’autre part, devant Argante et Dorimont  ? (N’était -ce pas prendre un grand risque, en excitant leur colère et jalousie  ?) Premier exemple de notre manque de connaissance des véritables pensées et intentions des personnages : l’apparition de Dorante à la scène 8.

De même qu’à la scène 3 il avait laissé Marton dans l’illusion d’être préférée à la femme aux 15.000 livres de rentes, de même, ici, il ne cherche pas à lui prouver que le portrait n’est pas pour elle, et il sort en riant  ! Se moque -t-il de la crédulité de la jeune femme  ? N’est -il qu’un vilain persif leur (à la fois railleur et méchant)  ? On peut comprendre aux scènes suivantes qu’il était utile en effet que Marton «  pr [ît] un peu de goût pour [lui]  » – il s’agissait sans doute à la fois de s’en faire une alliée pour aider à installer Dorante dans la maison d’Araminte, mais aussi d’exciter une forme de jalousie chez celle -ci.

En revanche, dans cette perspective, le rôle de la dernière scène de l’acte I est plus ambigu : pourquoi Dubois laissait -il entendre à Marton que Dorante était amoureux d’Araminte  ? C’est de cet avertissement dont elle se souvient ici (« Dubois avait raison tantôt  »), mais alors elle ne l’avait pas cru.

Il semble que le principal enjeu dramatique de ce passage soit de renforcer le sentiment amoureux naissant d’Araminte pour Doran te.

Pour cela, Dubois lui montre à la fois un homme désirable (aimé par Marton, qui l’ombre d’un instant passe du statut de servante à celui de rivale) et un homme désirant (qui voue à sa maîtresse une sorte de culte, adorant son image démultipliée – portr ait et tableau).

Elle fera d’ailleurs, au début de la scène qui suit notre extrait, ce reproche à son domestique : «  sans toi je ne saurais pas que cet homme -là m’aime  ».

Comme l’analyse Anouk Grinberg qui interprète Araminte dans la mise en scène dont nou s venons d’écouter un extrait : «  Et tout à coup lui arrive cet amour de Dorante, qui est doublement de l ’ordre de l ’impossible, de l’impensable : d ’abord parce qu ’elle est sourde à elle -même, et parce qu ’elle ne peut aimer quelqu ’un qui lui est inférie ur socialement […].

Pourtant, cette libert é́, elle la prend.

C ’est très beau, la manière dont elle trouve sa route au milieu de la déroute , et le courage qu’elle a de s’affranchir, de braver les interdits de tous ordres.  » La scène 9 va en tout cas désill usionner Marton , qui était le personnage pivot, toujours présente des scènes 3 à 11 au cours de cet acte II.

Ici, sa façon pathétique de récapituler toute l’histoire et de dire que sa méprise la pousse à se taire la rend extrêmement touchante.

Quoi de plus significatif et terrible pour un personnage de théâtre que de se taire  ? À la fin de la pièce, certes, Araminte comprendra la peine qu’éprouve sa suivante et lui témoignera son affection  ; mais cela, dans le fond, ne changera pas grand -chose… Alors que ce type de personnage finit souvent marié chez Marivaux, pas forcément avec celui ou celle qu’il espérait au début, mais marié quand même, et heureux de l’être, Marton ne sera dédommagée en aucune façon.

Didier Bezace repère bien ce qu’on pourrait appeler la tragédie de Marton, cette espèce d’injustice, scandaleuse pour nous modernes  ; c’est sur elle qu’il clôt sa pièce : revenue sur scène, visiblement très triste, après le départ de tous les personnages (et notamment du couple d’amoureux, monté célébrer son union), tandis que retentit le Concerto pour deux violons et violoncelles RV 5 78 a de Vivaldi.

Comme souvent chez Marivaux, la pièce présente le rapport de forces qui, à travers les jeux amoureux, oppose les classes sociales entre elles (comme dans La double inconstance , où le Prince réussit à défaire le couple heureux que formaient Sylvia et Arlequin).

Ceci annonce le grand renouveau à la fois dramatique et politique du 18 e siècle : l’invention du drame , genre dans lequel les gens ordinaires peuvent avoir un «  sort  » (c’est ce qu’Argante refuse à Dorante), et qui préfigure le sort c ommun que le peuple va chercher à se donner à la Révolution. On a bien dans cette pièce, à nouveau, les jeux de l’amour et du hasard … On note en passant que le terme «  hasard  » apparaît trois fois dans l’extrait, dans des répliques d’Araminte et de Dubois (notamment : «  j’y ai vu par hasard un tableau où madame est peinte  »).

Comment interpréter l’insistance sur ce terme  ? Le piège que constitue l’intrigue est organisé par Dubois, maître du jeu,. »

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