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Les Femmes Savantes de Molière (Organisation de la pièce)

Publié le 07/03/2011

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   Sans prétendre entrer dans le secret d'une grande création, on peut calculer à peu près dans quel ordre se sont présentés à Molière les personnages qu'il voulait faire figurer dans sa comédie et les situations qui allaient les obliger à se manifester, à révéler le fond de leur nature.    Toutes les affectations — sauf celles du langage précieux qui a passé de mode — il va les associer en des femmes dont les prétentions seront aussi bien littéraires que scientifiques, capables de se passionner pour les petits vers comme pour l'astronomie.    L'une de ces femmes sera mariée et mère de famille, pour qu'on voie bien à quel point de telles ambitions doivent détourner les femmes de leurs devoirs essentiels. Ce seront des bourgeoises, peut-être parce que Molière a jugé trop hardi de ridiculiser sur la scène des personnes de cette haute société qui avait surtout encouragé le goût nouveau pour la science, — plus sûrement parce que dans la classe moyenne le contraste sera plus fort entre les fantaisies auxquelles ces dames s'émancipent et les idées qui règnent encore dans leur milieu familial. Elles seront riches : ainsi elles auront pu prendre beaucoup de maîtres, acheter des instruments très chers ; leur large train de vie pourra attirer chez elles les beaux esprits.

« pas le talent ; il lui était même arrivé plus d'une fois de les attaquer dans leur personne aussi bien que dans leursouvrages.

Mais, par tradition, on accordait des libertés particulières au genre qu'il avait choisi, et ces critiques, qu'ilne ménageait pas, il fallait les chercher dans les livres.

C'était une bien autre entreprise d'aller bafouer sur lethéâtre, exposer aux risées du public un honnête homme, que rendaient plus respectable sa robe et aussi son âge,puisqu'il avait près de soixante-huit ans. Il est probable que Molière n'a pas hésité longtemps. Sans doute il avait déclaré assez récemment, dans l'Impromptu de Versailles, « que rien ne lui donnait du déplaisircomme d'être accusé de regarder quelqu'un dans les portraits qu'il faisait », que son dessein était « de peindre 1mœurs sans vouloir toucher aux personnes ».

Mais il ne s'était jamais cru tout à fait lié par ces déclarationspolitiques : la preuve, c'est que, dans ce même Impromptu, il se moquait ouvertement d'un nouvel adversaire, lejeune Boursault, dont il affectait d'estropier le nom, pour bien faire voir que c'était a un auteur sans réputation ».

Etdepuis, pour amuser Sa Majesté, n'avait-il pas caricaturé dans l'Amour Médecin, en les faisant bien reconnaître parleurs tics ou par leurs infirmités, cinq des plus célèbres médecins de la capitale ? Cette fois, il était poussé par des motifs autrement forts.

Cotin s'était-il privé de les calomnier» lui et son amiDespréaux, de les offenser gravement en répétant sans cesse leurs noms, d'avilir sa profession, de condamner sonart ? La riposte allait être plus retentissante que l'attaque : mais ce n'était pas lui qui avait commencé. Naturellement il a pris quelques précautions.

Il a tout à fait changé les côtés extérieurs de son modèle : il atransformé le vieil ecclésiastique, plus que sexagénaire, en un coureur de dot assez jeune pour faire figure deprétendant.

Il a modifié son caractère ; pour employer une de ses expressions, il l'a « habillé à sa fantaisie pourréjouir les spectateurs » : il a donc grossi tous ses traits, suivant les traditions du théâtre, pour mieux faire rire àses dépens ; il l'a enlaidi, parce qu'il lui réservait un rôle assez odieux.

A-t-il supposé que de cette façon lapersonnalité s'effacerait ? Ne s'est-il pas rendu compte qu'aucun artifice ne pourrait empêcher de reconnaître Cotin,puisqu'il se désignerait lui-même par les deux pièces de vers qu'il allait réciter, et que lui, Molière, en défigurant, ennoircissant son image, ne faisait qu'aggraver son offense, au lieu de l'atténuer. S'il a eu quelques scrupules, ils ne l'ont guère arrêté.

Nous savons en effet par Brossette, bien renseigné parBoileau, qu'il a même songé d'abord à appeler son bel esprit Tricotin.

Il a reculé, au dernier moment, et décidémentpréféré Trissotin (c'est sous ce titre que Mme de Sévigné annonce la pièce avant la première représentation). Trissotin, c'est-à-dire trois fois sot : le nom n'était pas mal choisi, il attirait moins l'attention sur la victime ; mais ilrimait encore avec Cotin Le personnage étant ainsi constitué dans toutes ses parties et enfin nommé, il était bon de lui adjoindre un autreauteur de la même espèce.

Après avoir bien vu sa vanité s'épanouir au milieu des louanges, on pourrait la voir seheurter à celle d'un confrère, et l'on aurait ainsi une belle querelle de poètes, chose plus amusante encore qu'unerécitation. Justement Cotin était connu pour sa susceptibilité et son humeur hargneuse (Boileau et son ami en savaient quelquechose).

Ayant à lui choisir un adversaire, Molière s'est donné le malin plaisir de le prendre, lui aussi, parmi sescontemporains et il a tout de suite pensé à Ménage.

On peut dire que ce choix s'imposait. Ménage, en effet, était également célèbre par ses disputes acharnées avec toutes sortes de gens, Michel deMarolles, Chapelain, l'abbé d'Aubignac, et particulièrement avec Cotin lui-même qui avait écrit contre lui un lourdpamphlet, la Ménagerie, et qui l'avait même menacé (détail assez piquant) de la satire de Molière.

Les deux écrivainsétaient restés, au su de tout Paris, ennemis irréconciliables.

N'était-il pas plaisant de les mettre aux prises sur lascène ? Ménage était un homme prodigieusement instruit, que l'on cite aujourd'hui parmi les grands érudits qui font honneurà cette époque.

Sa réputation s'était étendue bien au delà de nos frontières.

Jouissant d'une large aisance, par sesbénéfices et par héritage, il pouvait faire figure honorable dans le monde, sans rien demander à personne.

Il avaitconquis l'estime et la sympathie de gens qui ne la prodiguaient pas, comme le prince de Condé, comme le duc deMontausier, gouverneur du Dauphin, comme Lamoignon, l'ami de Boileau. Quelques critiques peu bienveillants, Tallemant, par exemple, ou Bussy-Rabutin, lui ont reproché le goût innocent,mais un peu tardif, qu'il a eu pour la compagnie des dames ; ils se sont moqués de l'ingénuité avec laquelle il sevantait de ses belles relations.

Mais ses façons n'étaient point celles d'un précieux ni d'un pédant.

Croit-on que, s'ilavait été l'un ou l'autre, il aurait conservé si longtemps des amitiés qui étaient, en quelque sorte, dans ce siècle,des brevets d'honnêteté, celle de la marquise de Rambouillet, celle de Mme de Sévigné, et surtout celle de Mme deLa Fayette, dont on connaît l'extrême réserve et la distinction ? Molière n'avait, semble-t-il, aucune raison d'en vouloir particulièrement à Ménage.

Boileau n'avait lancé contre lui,dans ses Satires, qu'une malice assez innocente ; encore avait-il, par la suite, effacé son nom.

Ce qui en lui a parubon pour la comédie, c'était l'opposition amusante qu'il y avait entre sa science et sa galanterie, c'était l'idéesingulière qu'il avait eue de composer un recueil poétique où il célébrait de belles dames en toutes sortes delangues, c'était surtout son humeur belliqueuse.

Son long passé de querelles littéraires le désignait pour prendre. »

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